QUATRIÈME PÉRIODE
LE NOVICIAT
(janvier 1889 - septembre 1890)
LT 81 A Céline.
23-25 (?) janvier
1889
J.M.J.T.
Jésus et sa croix !...
Soeur chérie,
Oui, chérie de mon coeur, Jésus est là avec sa croix ! Privilégiée de son amour il veut te rendre semblable à lui, pourquoi t'effrayer de ne pas pouvoir porter cette croix sans faiblir ? Jésus sur la route du Calvaire est bien tombé trois fois, et toi, pauvre petite enfant, tu ne serais pas semblable à ton époux, tu ne voudrais pas tomber 100 fois s'il le faut pour lui prouver ton amour en te relevant avec plus de force qu'avant ta chute !...
Céline... il faut que Jésus t'aime d'un amour particulier pour t'éprouver ainsi. Sais-tu bien que j'en suis presque jalouse ? A ceux qui aiment plus il en donne plus, à ceux qui aiment moins il en donne moins !...
Mais tu ne sens pas ton amour pour ton époux, tu voudrais que ton coeur soit une flamme qui monte vers lui sans la plus légère fumée, fais bien attention que la fumée qui t'environne n'est que pour toi ; pour t'ôter toute la vue de ton amour pour Jésus, la flamme n'est vue que de lui seul, au moins alors il l'a tout entière, car pour peu qu'il nous la montre un peu, vite l'amour-propre vient comme un fatal vent qui éteint tout !...
[v°] Tu me fais en ce moment l'effet d'une personne qui est entourée de richesses immenses... la vue se perd à l'horizon... Cette personne veut tourner le dos parce que, dit-elle, trop de richesses la gêneraient, elle ne saurait qu'en faire, mieux vaut les laisser perdre, ou bien prendre par un autre !... Cet autre ne viendra pas, car ces richesses sont préparées pour la fiancée de Jésus... Et pour elle toute seule !... Dieu tournerait le monde pour trouver la souffrance afin de la donner à une âme sur laquelle son DIVIN regard s'est fixé avec un amour indicible !...
Que nous font, à nous... les choses de cette terre... Serait-ce notre patrie que ce limon si peu digne d'une âme immortelle... et que nous importe que de chétifs hommes coupent les moisissures qui poussent sur ce limon, plus notre coeur est au Ciel, moins nous sentons ces piqûres d'épingles...
Mais ne crois pas que ce ne soit une grâce et une grande de les sentir car alors notre vie est un martyre et un jour Jésus nous donnera la palme. Souffrir et être méprisé ! quelle amertume mais quelle gloire ! Voilà la devise du Lys-Immortelle !... Nulle autre ne saurait lui convenir. Mon coeur te suit dans la noble tâche que Jésus t'a confiée. Tu n'es pas Soldat mais Général... Souffrir et encore et toujours... Mais tout passe.
LT 82 A Céline.
J.M.J.T.
Jésus _ Carmel 28 Février 1889.
Ma Céline chérie,
Est-il possible que ce soit à Caen que je t'écrives ?... Je me demande si je rêve ou si je suis éveillée... Mais non, c'est bien une réalité !... Je vais t'étonner, petite soeur chérie, en te disant que je suis loin de te plaindre, mais vois-tu, je trouve ton sort digne d'envie. Jésus a sur toi des vues d'un amour indicible, il veut son petit lys-immortelle tout à lui, mais c'est lui-même qui se charge de lui faire son premier noviciat, c'est sa main divine qui orne son épouse pour le jour de ses noces, mais sa main chérie ne se trompe pas de parure... Jésus est un époux de sang... Il veut pour Lui tout le sang du coeur...
Oh ! qu'il en coûte pour donner à Jésus ce qu'il demande !... Quel bonheur que cela coûte... Quelle joie ineffable de porter nos croix faiblement. Le Lys-Immortelle a-t-il compris le pauvre grain de sable ?... Ton noviciat est celui de [v°] la douleur, quel privilège inexplicable...
Ah ! petite soeur chérie, loin de me plaindre à Jésus de la croix qu'il nous envoie, je ne puis comprendre l'amour infini qui l'a porté à nous traiter ainsi... Il faut que notre Père chéri soit bien aimé de Jésus pour avoir ainsi à souffrir, mais ne trouves-tu pas que le malheur qui le frappe est tout à fait le complément de sa belle vie ?... Je sens, petit Lys-Immortelle, que je te dis de vraies folies, mais n'importe, je pense encore beaucoup d'autres choses sur l'amour de Jésus qui sont peut-être beaucoup plus fortes que ce que je te dis... Quel bonheur d'être humiliée, c'est la seule voie qui fait les saints !... Pouvons-nous douter maintenant de la volonté de Jésus sur nos âmes ?... La vie n'est qu'un rêve, bientôt, nous nous réveillerons, et quelle joie... plus nos souffrances sont grandes, plus notre gloire sera infinie... Oh ! ne perdons pas l'épreuve que Jésus nous envoie, c'est une mine d'or à exploiter, allons-nous manquer l'occasion ?... Le grain de sable veut se mettre à l'oeuvre, sans joie, sans courage, sans force, et c'est tous ces titres qui lui faciliteront l'entreprise, il veut travailler par Amour.
C'est le Martyre qui commence, ensemble entrons dans la lice si le Lys-Immortelle veut bien ne pas dédaigner
le pauvre grain de Sable.
LT 83 A Céline.
5 mars 1889
J.M.J.T.
Jésus _
Ma Céline chérie,
Je ne saurais te dire combien ton cher petit mot m'a fait de bien !... C'est maintenant que tu es vraiment le Lys-Immortelle de Jésus, oh ! comme il est content de son lys, comme il regarde avec amour sa fleur chérie qui ne veut que lui seul, qui n'a d'autre désir que celui de le consoler...
Chaque nouvelle souffrance, chaque angoisse du coeur est comme un léger zéphir qui va porter à Jésus le parfum de son lys, alors il sourit avec amour et aussitôt il prépare une nouvelle amertume, il remplit le calice jusqu'au bord, pensant que plus son lys croît dans l'amour, plus aussi il doit croître dans la souffrance !...
Quel privilège Jésus nous fait en nous envoyant une si grande douleur, ah ! l'éternité ne sera pas trop longue pour le remercier. Il nous comble de ses faveurs comme il en comblait les plus [v°] grands saints, pourquoi une si grande prédilection ?... C'est un secret que Jésus nous révélera dans notre patrie le jour où « Il essuiera toutes les larmes de nos yeux »... Il faut que ce soit à mon âme que je parle ainsi, car autrement je ne serais pas comprise, mais c'est à elle que je m'adresse, et toutes mes pensées ont été devancées par elle ; cependant ce qu'elle ignore peut-être c'est l'amour que Jésus lui porte, amour qui demande tout, il n'y a rien qui puisse lui être impossible, il ne veut pas mettre de borne à la SAINTETÉ de son Lys, sa borne à lui c'est qu'il n'y en ait pas !... Pourquoi y en aurait-il ? nous sommes plus grandes que l'univers entier, un jour nous aurons nous-mêmes une existence Divine...
Oh ! que je remercie Jésus d'avoir ainsi placé un lys auprès de notre père chéri, un lys que rien n'effraye, un lys qui veut plutôt mourir que d'abandonner le champ glorieux où l'amour de Jésus l'a placé !...
Maintenant nous n'avons plus rien à espérer sur la terre, plus rien que la souffrance et encore la souffrance, quand nous aurons fini, la souffrance sera encore là qui nous tendra les bras, oh ! quel sort digne d'envie... Les chérubins dans le Ciel envient notre bonheur.
[v°tv] Ce n'est pas pour cela que j'écrivais à ma Céline chérie, c'était pour lui dire d'écrire a Mlle Pauline le malheur qui nous a frappées en la maladie de Papa. Ris à ton tour de ta pauvre Thérèse qui aborde son sujet à la fin de sa lettre. Pauvre Léonie, je l'aime bien aussi, elle est plus malheureuse que nous, Jésus lui a moins donné. Mais à celles à qui il a beaucoup donné il sera beaucoup demandé.
Ta petite Soeur
Thérèse de l'Enfant Jésus
post.carm.ind.
LT 84 A Mme Guérin.
J.M.J.T.
Jésus _... Carmel le 12 Mars 1889.
Ma petite Tante chérie,
Je me vois dans l'impossibilité de vous obéir, car il me serait trop difficile de ne pas vous dire merci !... Que ces cinq lettres sont peu de chose pour vous exprimer ma reconnaissance, mais ma Tante chérie, je vous en prie, comprenez tout ce que votre petite fille ne peut vous dire. O ma Tante, que vous êtes bonne !... Comme je vais prier [1v°] pour vous. Il est vrai, hélas ! que je suis incapable de faire quelque chose de bien, au lieu de gagner de l'argent je ne sais que le perdre, aussi l'attention délicate de ma chère petite Tante m'a bien vivement touchée. Je n'en revenais pas de me voir tout à coup si riche, sans avoir rien fait pour gagner tant d'argent... Je ne puis m'empêcher de sourire en pensant que grâce à mes bons parents, c'est moi qui vais fournir le poisson de la Communauté tout entière...
J'espère, ma Tante chérie, que vous [2r°] voudrez bien remercier pour moi mon cher Oncle et lui dire toute ma reconnaissance.
Il faut, ma chère Tante, que le bon Dieu vous aime bien particulièrement pour vous faire ainsi souffrir, cependant s'il m'exauçait vous ne seriez plus jamais malade, car je serais heureuse s'il voulait m'envoyer toutes les peines qu'il vous réserve.
Hélas ! ma Tante chérie, que ma lettre va peu vous exprimer les sentiments de mon coeur... je voudrais pouvoir vous montrer toute ma reconnaissance !...
[2v°] Que Jésus est bon de nous laisser, dans la cruelle épreuve qu'il nous envoie, la consolation de voir notre douleur partagée et comprise par nos bons Parents !...
J'embrasse de tout mon coeur ma petite Jeanne et aussi ma petite maîtresse de maison.
Adieu ma petite Tante chérie, je vous remercie encore ainsi que mon cher Oncle et vous embrasse bien tendrement.
Votre petite fille bien reconnaissante
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus
nov.carm.ind.
LT 85 A Céline.
J.M.J.T.
Carmel 12 Mars 1889.
« Vive Jésus !... Qu'il fait bon se vouer à Lui, se sacrifier pour son amour... »
Céline !... Ce nom chéri résonne doucement au fond de mon coeur !... Nos deux coeurs ne se répondent-ils pas parfaitement ?...
J'ai besoin ce soir de venir avec ma Céline me plonger dans l'infini... j'ai besoin d'oublier la terre... ici-bas tout me fatigue, tout m'est à charge... Je ne trouve qu'une joie, celle de souffrir pour Jésus, mais cette joie non sentie est au-dessus de toute joie !...
La vie passe... L'éternité s'avance à grands pas... Bientôt nous vivrons de la vie même de Jésus... après avoir été abreuvées à la source de toutes les amertumes, nous serons déifiées à la source même de toutes les joies, de toutes les délices... Bientôt, petite Soeur, d'un seul regard nous pourrons comprendre ce qui se passe dans l'intime de notre être !...
La figure de ce monde passe... Bientôt nous verrons de nouveaux cieux, un Soleil plus radieux éclairera de ses splendeurs des mers éthérées, des horizons infinis !... L'immensité sera notre domaine... nous ne serons plus prisonnières sur cette terre d'exil... tout sera passé !... Avec notre époux céleste nous voguerons sur des lacs sans rivage... l'infini n'a ni bornes ni fond, ni rivage !... « Courage, Jésus entend jusqu'au dernier écho de notre douleur. » Nos harpes sont en ce moment suspendues aux saules qui bordent le fleuve de mais [v°] au jour de notre délivrance, quelles harmonies ne ferons-nous pas entendre... avec quelle joie nous ferons vibrer toutes les cordes de nos instruments !...
L'amour de Jésus pour Céline ne saurait être compris que de Jésus !... Jésus a fait des folies pour Céline... Que Céline fasse des folies pour Jésus... L'amour ne se paie que par l'amour et les plaies de l'amour ne se guérissent que par l'amour.
Offrons bien nos souffrances à Jésus pour sauver les âmes, pauvres âmes !... elles ont moins de grâces que nous, et pourtant tout le sang d'un Dieu a été versé pour les sauver... pourtant Jésus veut bien faire dépendre leur salut d'un soupir de notre coeur... Quel mystère !... Si un soupir peut sauver une âme, que ne peuvent faire des souffrances comme les nôtres ?... Ne refusons rien à Jésus !...
La cloche sonne et je n'ai pas encore écrit à ma pauvre Léonie, fais-lui mes recommandations, embrasse-la et dis-lui que je l'aime !... Qu'elle soit bien fidèle à la grâce et Jésus la Bénira. Qu'elle demande à Jésus ce que je veux lui dire, je le charge de mes commissions !...
A bientôt !... Oh ! le Ciel, le Ciel ! Quand y serons-nous ?
Le petit grain de Sable de Jésus
LT 86 A Céline.
J.M.J.T.
Jésus _ 15 Mars 1889.
Merci de ta lettre chérie, elle a fait plaisir au petit grain de sable !...
Dans une de tes lettres tu disais dernièrement que tu étais mon ombre. Hélas ! ce serait bien triste si cela était, car qu'est-ce que l'ombre d'un pauvre petit grain de Sable ?...
J'ai pensé quelque chose de mieux pour ma Céline chérie ; cette idée d'ombre m'a plu, je me suis dit qu'en effet ma Céline devait être l'ombre de quelque chose, mais de quoi ?... Je ne puis rien trouver dans le créé qui puisse contenter l'idée que je me fais de cette réalité dont ma Céline chérie doit être l'ombre fidèle... C'est Jésus lui-même qui doit être cette divine réalité !...
Oui, Céline doit être, elle, la petite ombre de Jésus... Quel titre humble [v°] et pourtant glorieux, car qu'est-ce qu'une ombre ?... mais l'ombre de Jésus, quelle gloire !...
Que de choses j'aurais à dire sur ce sujet à la petite ombre de Jésus, mais j'ai trop peu de temps, cela m'est impossible !...
Le rêve de ma Céline est bien joli, peut-être un jour sera-t-il réalisé... mais en attendant commençons notre martyre, laissons Jésus nous arracher tout ce qui nous est le plus cher, et ne lui refusons rien. Avant de mourir par le glaive, mourons à coup d'épingles... Céline comprend-elle ?...
Le petit grain de Sable s'unit dans la souffrance à la petite ombre de Jésus
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
nov.carm.ind.
LT 87 A Céline.
J.M.J.T.
Jésus !... Au Carmel le 4 Avril 89.
Ma petite Céline chérie,
Ta lettre a mis une grande tristesse dans mon âme !... Pauvre petit Père !... Non, les pensées de Jésus ne sont pas nos pensées ni ses voies ne sont pas nos voies...
Il nous présente un calice aussi amer que notre faible nature peut le supporter !... ne retirons pas nos lèvres de ce calice préparé par la main de Jésus...
Voyons la vie sous son jour véritable... C'est un instant entre deux éternités... Souffrons en paix...
J'avoue que ce mot de paix me semblait un peu fort, mais l'autre jour, en y réfléchissant, j'ai trouvé le secret de souffrir en paix... Qui dit paix ne dit pas joie, ou du moins joie sentie... Pour souffrir en paix, il suffit de bien vouloir tout ce que Jésus veut... Pour être l'épouse de Jésus, il faut ressembler à Jésus, Jésus est tout sanglant, Il est couronné d'épines !...
Mille ans sont à vos yeux, Seigneur, comme le jour d'hier qui est passé !
Etant sur les bords du fleuve de Babylone nous nous y sommes assis, et nous avons répandu des larmes en nous y souvenant de Sion... Nous avons suspendu nos harpes aux saules qui sont dans les campagnes... Ceux qui nous ont emmenés captifs nous ont dit : « Chantez-nous un cantique agréable entre ceux de Sion »... Comment chanterions-nous les [1v°] cantiques du Seigneur sur une terre étrangère ?... Ps. de David...
Non, ne chantons pas les cantiques du Ciel aux créatures... mais comme Cécile, chantons dans notre coeur un cantique mélodieux à notre bien-aimé !
Le cantique de la souffrance unie à ses souffrances est ce qui ravit le plus son coeur !...
Jésus brûle d'amour pour nous... Regarde sa Face adorable !... Regarde ses yeux éteints et baissés !... regarde ces plaies... Regarde Jésus dans sa Face... Là tu verras comme il nous aime.
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
nov.carm.ind.
LT 88 A Marie Guérin.
24 avril 1889
J.M.J.T.
Jésus _ Mercredi Avril 89.
Ma petite Soeur chérie,
Je viens te demander un service, et c'est à toi que je m'adresse, car je sais que les Buissonnets qui maintenant, hélas ! sont déserts étaient autrefois ton domaine.
Te rappelles-tu un livre que Mme Tifenne m'avait donné au moment de ma 1re Communion ?... Il était intitulé : « Le bouquet de la jeune fille ». Ce livre doit se trouver dans un des tiroirs de la commode à ce pauvre petit Père, je serais bien heureuse si je pouvais l'avoir le plus tôt possible [1v°] ainsi qu'un autre plus petit que ces demoiselles Primois m'avaient donné. C'est un livre brun entouré d'une vignette or, je crois que ce sont des méditations sur l'Eucharistie. Ce livre est sur une des planches du placard de la chambre à Céline (celui du côté de la porte). Petite soeur chérie, pardonne-moi de te demander ce service !... Si cela était possible tu pourrais peut-être expliquer à la bonne ce que tu veux sans aller toi-même aux Buissonnets !
C'est incroyable comme maintenant, il me semble que nos liens se sont resserrés, il me semble qu'après notre terrible épreuve nous sommes encore plus Soeurs qu'avant !...
[2r°] Si tu savais comme je t'aime !... comme je pense à vous tous... Oh ! cela fait tant de bien quand on souffre d'avoir des coeurs amis dont l'écho répond à notre douleur !... Comme je remercie Jésus de nous avoir donné de si bons parents... des petites soeurs si gentilles. Nos pauvres petites soeurs de là-bas ne pouvaient se lasser l'autre jour de nous redire toutes les bontés que vous avez pour elles. J'ai vu que le coeur de ma petite Marie avait touché le coeur de ma Céline, et cela a fait une grande joie à mon pauvre coeur, car j'aime tant ma Marie !... Tous les compliments qu'on ferait d'elle [2v°] auraient de la peine à répondre à ce que j'en pense en moi-même.
Je me dépêche comme une petite folle sans penser que ma pauvre plume ne sait pas du tout répondre à mon coeur, et que sans doute je vais avoir la confusion de ne pouvoir être lue.
Petite soeur si chérie, embrasse pour moi tous ceux que j'aime tant, remercie-les bien de nous avoir gâtées pour Pâques avec le bon chocolat, et le bon Poisson... Ah ! je ne puis penser au poisson... mon oncle avait quelque chose de si PATERNEL ce jour-là, quelque chose de pas ordinaire !... jamais je n'oublierai ce parloir.
Ta petite soeur qui t'aime.
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus
LT 89 A Céline.
J.M.J.T.
Jésus _ !... Carmel 26 Avril 89.
C'est Jésus qui se charge de dire bon anniversaire pour les 20 ans de sa fiancée !...
Quelle 20e année fertile en souffrances, en grâces de choix !... 20 ans ! âge plein d'illusion... dis-moi, quelle illusion laisses-tu dans le coeur de ma Céline ?...
Que de souvenirs entre nous !... C'est un monde... Oui Jésus a ses préférences, il y a dans son jardin des fruits que le Soleil de son amour fait mûrir presque en un clin d'oeil... Pourquoi sommes-nous de ce nombre ?... Question pleine de mystère... Quelle raison Jésus peut-il nous donner ? [1v°] Hélas ! sa raison est qu'il n'a pas de raison !... Céline !... usons de la préférence de Jésus qui nous a appris tant de choses en peu d'années, ne négligeons rien de ce qui peut lui faire plaisir !... Ah ! Laissons-nous dorer par le Soleil de son amour... ce soleil est brûlant... consumons-nous d'amour !... St François de Sales dit : « Quand le feu de l'amour est dans un coeur tous les meubles volent par les fenêtres ». Oh ! ne laissons rien... rien dans notre coeur que Jésus !...
Ne croyons pas pouvoir aimer sans souffrir, sans souffrir beaucoup... notre pauvre nature est là ! et elle n'y est pas pour rien !... C'est notre richesse, notre gagne-pain !... Elle est si précieuse que Jésus est venu sur la terre exprès pour la posséder.
[2r°] Souffrons avec amertume, sans courage !... « Jésus a souffert avec tristesse ! Sans tristesse est-ce que l'âme souffrirait !... » Et nous voudrions souffrir généreusement, grandement !... Céline ! Quelle illusion !... Nous voudrions ne jamais tomber ?... Qu'importe, mon Jésus, si je tombe à chaque instant, je vois par là ma faiblesse et c'est pour moi un grand gain... Vous voyez par là ce que je puis faire et maintenant vous serez plus tenté de me porter en vos bras... Si vous ne le faites pas, c'est que cela vous plaît de me voir par terre... alors je ne vais pas m'inquiéter, mais toujours je tendrai vers vous des bras suppliants et pleins d'amour !... Je ne puis croire que vous m'abandonniez !
[2v°] « Les Saints lorsqu'ils étaient aux pieds de Notre Seigneur, c'est alors qu'ils rencontraient leurs croix » !...
Céline chérie, doux écho de mon âme !... Si tu connaissais ma misère !... oh ! Si tu savais... La Sainteté ne consiste pas à dire de belles choses, elle ne consiste pas même à les penser, à les sentir !... elle consiste à souffrir et à souffrir de tout. « La Sainteté ! il faut la conquérir à la pointe de l'épée, il faut souffrir... il faut agoniser !... »
Un jour viendra où les ombres disparaîtront, alors il ne restera plus que la joie, l'ivresse...
Profitons de notre unique moment de souffrance !... ne voyons que chaque instant !... un instant c'est un trésor... Un seul acte d'amour nous fera mieux connaître Jésus... il nous rapprochera de Lui pendant toute l'éternité !...
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
nov.carm.ind.
LT 90 A Céline.
27 (?) avril 1889
Pour le 28 Avril
J.M.J.T.
Je veux encore souhaiter un bon anniversaire à ma Céline chérie, je lui envoie un petit bouquet de la part du petit Jésus, il la remercie de toutes les belles fleurs qu'elle lui a données. Hélas ! ces fleurs ne sont pas brillantes, le petit Jésus du Carmel est pauvre, mais au Ciel il [1v°] nous montrera ses richesses et je sais bien qui il en comblera...
Demain je recevrai mon Jésus ! oh ! comme je lui parlerai de ma Céline, de cette autre moi-même. J'aurai bien des choses à lui dire mais cela ne me sera pas difficile, un seul soupir lui dira tout.
Quel petit brouillon ! mais je vais si vite qu'il faut m'excuser. Je voudrais que mon coeur et tout ce qu'il renferme pour toi te soit connu, mais il est de ces choses qui ne peuvent s'écrire et que le coeur seul comprend.
[2r°] (Le bouquet de Jésus a passé plusieurs heures devant lui dans un vase encore plus pauvre que lui !...)
Céline chérie, un jour nous irons au Ciel, pour toujours, alors il n'y aura plus de jour ni de nuit comme sur cette terre... Oh ! quelle joie, marchons en paix en regardant le Ciel, l'unique but de nos travaux. L'heure du repos approche.
Embrasse bien fort pour moi ma Léonie que j'aime tant. Je n'oublie pas le jour de ses 25 ans, [2v°] depuis que je suis au Carmel j'ai beaucoup de mémoire pour les dates.
A bientôt ma Céline, immortelle de Jésus... je t'aime plus que je ne saurais le dire.
Ta petite soeur
Thérèse de l'Enfant Jésus.
LT 91 A soeur Marie du Sacré-Coeur.
Fin mai 1889
J.M.J.T.
Jésus _
Lion chéri, merci, merci !... Que voulez-vous que vous dise le pauvre agnelet ?... N'a-t-il pas été instruit par vous... Rappelez-vous le temps où, assise sur la grande chaise, me tenant sur vos genoux, vous me parliez du ciel... je vous entends encore me dire : « Regarde les marchands comme ils se donnent du mal pour gagner de l'argent, et nous, nous pouvons amasser des trésors pour le ciel à chaque instant sans nous donner tant de mal, nous n'avons qu'à ramasser des diamants avec un rateau. »
[v°] Et je m'en allais le coeur rempli de joie, plein de bonnes résolutions !... Peut-être, sans vous, ne serais-je pas au Carmel !...
Le temps a passé, depuis ces heureux moments écoulés dans notre doux nid... Jésus est venu nous visiter... Il nous a trouvés dignes de passer par le creuset de la souffrance...
Avant mon entrée au Carmel, notre incomparable Père disait en me donnant au bon Dieu : « Je voudrais bien avoir quelque chose de mieux à offrir au bon Dieu. » Jésus a écouté sa prière... ce quelque chose de mieux, c'était lui-même !... Quelle joie pour un moment de souffrance... C'est le Seigneur qui a fait cela... Et le Seigneur aime incomparablement mieux Papa que nous ne l'aimons. Papa, c'est le petit enfant du bon Dieu ; [v°tv] le bon Dieu, pour lui épargner de grandes souffrances, veut que nous souffrions pour lui !...
C'est à nous de le remercier !...
Lion chéri, la vie passera bien vite, au Ciel cela nous sera bien égal de voir que toutes les reliques des Buissonnets auront été transportées ici et là !... Qu'importe la terre ?...
Votre petite fille que vous avez élevée !...
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
nov.carm.ind.
LT 92 A Marie Guérin.
J.M.J.T.
Jésus _... Jeudi 30 Mai 89
Ma petite soeur chérie
Tu as bien fait de m'écrire, j'ai tout compris... tout tout tout !...
Tu n'as pas fait l'ombre du mal, je sais si bien ce que sont ces sortes de tentations que je puis te l'assurer sans crainte, d'ailleurs Jésus me le dit au fond du coeur... Il faut mépriser toutes ces tentations, n'y faire aucune attention.
Faut-il te confier une chose qui m'a fait beaucoup de peine ?...
C'est que ma petite Marie a laissé ses communions... le jour de l'Ascension et le dernier jour du mois de Marie !... Oh ! que cela a fait de peine à Jésus !...
Il faut que le démon soit bien fin pour tromper ainsi une âme !... mais ne sais-tu pas, ma chérie, que c'est là tout le but de ses désirs. Il sait bien, le perfide, qu'il ne peut faire pécher une âme qui voudrait être toute à Jésus, [1v°] aussi n'essaye-t-il que de le lui faire croire. C'est déjà beaucoup pour lui de mettre le trouble dans cette âme, mais pour sa rage il faut autre chose, il veut priver Jésus d'un tabernacle aimé, ne pouvant entrer dans ce sanctuaire, il veut du moins qu'il demeure vide et sans maître !... Hélas ! que deviendra ce pauvre coeur ?... Quand le diable a réussi à éloigner une âme de la Ste Communion il a tout gagné... Et Jésus pleure !...
O ma chérie, pense donc que Jésus est là dans le tabernacle exprès pour toi, pour toi seule, il brûle du désir d'entrer dans ton coeur... va, n'écoute pas le démon, moque-toi de lui et va sans crainte recevoir le Jésus de la paix et de l'amour !...
Mais je t'entends dire « Thérèse dit cela parce qu'elle ne sait pas... elle ne sait pas comme je le fais bien exprès... cela m'amuse... et puis je ne puis communier, puisque je crois faire un sacrilège, etc., etc., etc. » Si, ta pauvre petite Thérèse sait bien, [2r°] je te dis qu'elle devine tout, elle t'assure que tu peux aller sans crainte recevoir ton seul ami véritable... Elle aussi a passé par le martyre du scrupule mais Jésus lui a fait la grâce de communier quand même, alors même qu'elle croyait avoir fait de grands péchés... eh bien ! je t'assure qu'elle a reconnu que c'était le seul moyen de se débarrasser du démon, car quand il voit qu'il perd son temps il vous laisse tranquille !
Non, il est impossible qu'un coeur « qui ne se repose qu'à la vue du tabernacle » offense Jésus au point de ne pouvoir le recevoir. Ce qui offense Jésus, ce qui le blesse au coeur c'est le manque de confiance !...
Petite Soeur, avant de recevoir ta lettre je pressentais tes angoisses, mon coeur était uni à ton coeur, cette nuit dans mon rêve je tâchais de te consoler, mais hélas ! je ne pouvais y réussir !... Je ne vais pas être plus heureuse aujourd'hui à moins que Jésus et la Ste Vierge me viennent en aide ; j'espère que mon [2v°] désir va être réalisé et que le dernier jour de son mois, la Ste Vierge va guérir ma petite soeur chérie. Mais pour cela il faut prier, beaucoup prier, si tu pouvais mettre un cierge à Notre-Dame-des-Victoires... j'ai tant de confiance en elle ?... Ton coeur est fait pour aimer Jésus, pour l'aimer passionnément, prie bien afin que les plus belles années de ta vie ne se passent pas en craintes chimériques.
Nous n'avons que les courts instants de notre vie pour aimer Jésus, le diable le sait bien, aussi tâche-t-il de la consumer en travaux inutiles...
Petite Soeur chérie, communie Souvent, bien souvent... Voilà le seul remède si tu veux guérir, Jésus n'a pas mis pour rien cet attrait dans ton âme. (Je crois qu'il serait content si tu pouvais reprendre tes Communions manquées, car alors la victoire du démon serait moins grande puisqu'il n'aurait pu réussir à éloigner Jésus de ton coeur.) Ne crains pas d'aimer trop la Ste Vierge, jamais tu ne l'aimeras assez, et Jésus sera bien content puisque la Ste Vierge est sa Mère.
Adieu petite Soeur, pardonne mon brouillon que je ne puis même relire, le temps me manquant, embrasse pour moi tous les miens.
[2v°tv]Sr Thérèse de l'Enfant Jésus
nov.carm.ind.
LT 93 A Marie Guérin.
J. M.J.T.
Jésus _ Dimanche 14 Juillet 89.
Ma petite Soeur chérie,
Puisque tu as l'humilité de demander des conseils à ta petite Thérèse, elle ne peut te les refuser, mais pauvre petite novice sans expérience elle craindrait de se tromper, et toi-même tu pourrais avoir des doutes sur ce qu'elle te dit. Mais aujourd'hui, ne crains pas, c'est la réponse même de Jésus que je t'apporte... Oh ! que je suis heureuse de te la transmettre...
Ce matin j'ai demandé à notre bonne Mère ce que je devais te répondre à propos de ce que tu as dit à Céline. En faisant ce que m'a dit pour toi cette Mère chérie, tu n'as pas à craindre de te tromper car Dieu a mis dans son coeur une profonde connaissance des âmes et de toutes leurs misères, elle sait tout ; rien ne lui est caché, ta petite âme lui est parfaitement connue ; voici ce qu'elle m'a dit de te dire de la part de Jésus : « Tu as très bien fait de tout dire à Céline, cependant il vaut mieux ne pas s'entretenir de ces choses-là, il vaut mieux n'y faire aucune attention, car notre Mère est sûre que tu ne fais pas de mal. » Voyons, es-tu rassurée ?... Il me semble qu'à ta place, si on m'en avait dit autant j'aurais été bien guérie et je me serais laissée conduire [v°] en aveugle, car c'est le seul moyen pour avoir la paix et surtout pour faire plaisir à Jésus.
Quand même tu serais sûre de faire du mal il n'y a aucun danger puisque notre Mère qui a (je pense) plus d'expérience que toi te dit que tu n'en fais pas...
Oh ! Marie, que tu es heureuse d'avoir un coeur qui sait ainsi Aimer... Remercie Jésus de t'avoir fait un don aussi précieux, et donne-lui ton coeur tout entier. Les créatures sont trop petites pour remplir le vide immense que Jésus a creusé en toi, ne leur donne pas de place dans ton âme...
Le bon Dieu ne te prendra pas dans ses filets car tu y es bien emprisonnée...
Oui, c'est bien vrai que notre affection n'est pas de la terre, elle est trop forte pour cela, la mort même ne serait pas capable de la briser...
Ne te fais pas de peine de ne sentir aucune consolation dans tes communions, c'est une épreuve qu'il faut supporter avec amour, ne perds aucune des épines que tu rencontres tous les jours ; avec une d'elles tu peux sauver une âme !...
Ah ! Si tu savais combien le bon Dieu est offensé ! Ton âme est si bien faite pour le consoler... aime-le à la folie pour tous ceux qui ne l'aiment pas !... Petite Soeur, après sa course folle il faut que ma plume s'arrête, j'ai 5 lettres à écrire aujourd'hui, mais j'ai commencé par ma petite Marie... je l'aime tant, et si peu naturellement !... Embrasse pour moi mon Oncle, ma Tante et ma chère Jeanne, et dis-leur que je les aime. Toi, petite privilégiée de Jésus, prie pour que ton indigne petite soeur puisse Aimer autant que toi si cela est possible !...
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
nov.carm.ind.
LT 94 A Céline.
J.M.J.T.
Jésus _ Carmel 14 Juillet 89.
Ma Céline chérie
Mon âme ne te quitte pas... elle souffre l'exil avec toi ! Oh ! qu'il en coûte de vivre, de rester sur cette terre d'amertume et d'angoisse... Mais demain... dans une heure, nous serons au port, quel bonheur ! Ah ! qu'il fera bon contempler Jésus face à face pendant toute l'éternité ! toujours toujours plus d'amour, toujours des joies plus enivrantes... un bonheur sans nuage !
Comment donc Jésus a-t-il fait pour détacher ainsi nos âmes de tout le créé ? Ah ! il a frappé un grand coup... mais c'est un coup d'amour. Dieu est admirable, mais surtout il est aimable, aimons-le donc... aimons-le assez pour souffrir pour lui tout ce qu'il voudra, même les peines de l'âme, les aridités, les angoisses, les froideurs apparentes... ah ! c'est là un grand amour d'aimer Jésus sans sentir la douceur de cet amour... c'est là un martyre... Et bien ! mourons Martyres. Oh ! ma Céline... le doux écho de mon âme, comprends-tu ?... le martyre ignoré, connu de Dieu seul, que l'oeil de la créature ne peut découvrir, martyre sans honneur, sans [v°] triomphe... Voilà l'amour poussé jusqu'à l'héroïsme... Mais un jour le Dieu reconnaissant s'écriera : « Maintenant mon tour. » Oh ! que verrons-nous alors ?... Qu'est-ce que c'est que cette vie qui n'aura plus de fin ?... Dieu sera l'âme de notre âme... mystère insondable... L'oeil de l'homme n'a point vu la lumière incréée, son oreille n'a pas entendu les incomparables harmonies et son coeur ne peut pressentir ce que Dieu réserve à ceux qu'il aime. Et tout cela arrivera bientôt, oui bientôt, dépêchons-nous de faire notre couronne, tendons la main pour saisir la palme et si nous aimons beaucoup, si nous aimons Jésus avec passion, il ne sera pas assez cruel pour nous laisser longtemps en cette terre d'exil... Céline, pendant les courts instants qui nous restent ne perdons pas notre temps... sauvons les âmes... les âmes, elles se perdent comme des flocons de neige, et Jésus pleure, et nous... nous pensons à notre douleur sans consoler notre fiancé... Oh ma Céline, vivons pour les âmes... soyons apôtres... sauvons surtout les âmes des Prêtres, ces âmes devaient être plus transparentes que le cristal... Hélas ! combien de mauvais prêtres, de prêtres qui ne sont pas assez saints... Prions, souffrons pour eux, et au dernier jour Jésus sera reconnaissant. Nous lui donnerons des âmes !...
Céline, comprends-tu le cri de mon coeur ?... Ensemble... Toujours ensemble
Céline et Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face.
nov.carm.ind.
[v°tv] Sr Marie du Sacré Coeur ne peut pas t'écrire parce que la lettre pèserait trop lourd.
LT 95 A soeur Agnès de Jésus.
Juillet-août (?)
1889
J.M.J.T.
Jésus _
Petit agneau chéri, laissez bêler un peu votre pauvre agnelet... L'agneau m'a fait du bien Dimanche !...
Il y a surtout une phrase qui a été pour moi lumineuse, c'était : « Retenons une parole qui pourrait nous élever. » C'est vrai qu'il faut tout garder pour Jésus avec un soin jaloux... Agneau chéri, qu'il fait bon travailler pour Jésus seul, pour Lui tout seul !... Oh ! alors comme le coeur est rempli, comme on se sent légère... Petit Belloni de Jésus, priez pour le pauvre petit grain de Sable, que le grain de sable soit toujours à sa place c'est-à-dire sous les pieds de tous, que personne ne pense à lui, que son existence soit pour ainsi dire ignorée, le grain de sable ne désire pas d'être humilié, c'est encore [1v°] trop glorieux puisqu'on serait obligé de s'occuper de lui, il ne désire qu'une chose, être oublié, compté pour rien !... Mais il désire être vu de Jésus, si les regards des créatures ne peuvent s'abaisser jusqu'à lui que du moins la face ensanglantée de Jésus se tourne vers lui... Il ne désire qu'un regard, un seul regard !...
S'il était possible à un grain de sable de consoler Jésus, d'essuyer ses larmes, comme il en est un qui voudrait le faire...
Que Jésus prenne le pauvre grain de sable et qu'il le cache dans sa Face adorable... là le pauvre atome n'aura plus rien à craindre, il sera sûr de ne plus pécher !...
[2r°] Le grain de sable veut à tout prix sauver des âmes... il faut que Jésus lui accorde cette grâce ; petite Véronique, demandez cette grâce à la Face lumineuse de Jésus !... Oui la Face de Jésus est lumineuse mais si, au milieu des blessures et des larmes elle est déjà si belle, que sera-ce donc quand nous la verrons dans le Ciel ? Oh ! le ciel... le Ciel... Oui, pour voir un jour la Face de Jésus, pour contempler éternellement [2v°] la merveilleuse beauté de Jésus, le pauvre grain de sable désire être méprisé sur la terre !
Agneau chéri, demandez à Jésus que son grain de sable se dépêche de sauver beaucoup d'âmes en peu de temps pour voler plus promptement vers sa Face chérie !...
Je souffre !... mais l'espoir de la Patrie me donne du courage, bientôt nous serons au Ciel... Là il n'y aura plus de jour ni de nuit mais la Face de Jésus fera régner une lumière sans égale !...
Agneau chéri, comprenez le grain de sable, il ne sait pas ce qu'il a dit ce soir, mais bien sûr il n'avait pas l'intention d'écrire un seul mot de tout ce qu'il a griffonné...
LT 96 A Céline.
J.M.J.T.
Jésus _ 15 Octobre 89.
Ma Céline chérie,
Si tu savais comme tu as touché le coeur de ta Th. !... Tes petits pots sont RAVISSANTS, tu ne sais pas le plaisir qu'ils m'ont fait !... Céline... Ta lettre m'a fait bien bien plaisir, j'ai senti combien nos âmes sont faites pour se comprendre, pour marcher par la même voie !... La vie... ah ! c'est vrai que pour nous elle n'a plus de charme... mais je me trompe, c'est vrai que [1v°] les charmes du monde se sont évanouis pour nous, mais c'est une fumée... et la réalité nous reste, oui, la vie c'est un trésor... chaque instant c'est une éternité, une éternité de joie pour le ciel , une éternité de voir Dieu face à face, de n'être qu'un avec lui !... Il n'y a que Jésus qui est ; tout le reste n'est pas...aimons-le donc à la folie, sauvons-lui des âmes, ah ! Céline, je sens que Jésus demande de nous deux, de désaltérer sa soif en lui donnant des âmes, des âmes de prêtres surtout, [2r°] je sens que Jésus veut que je te dise cela, car notre mission c'est de nous oublier, de nous anéantir... nous sommes si peu de chose... et pourtant Jésus veut que le salut des âmes dépende de nos sacrifices, de notre amour, il nous mendie des âmes... ah ! comprenons son regard ! si peu savent le comprendre, Jésus nous fait la grâce insigne de nous instruire lui-même, de nous montrer une lumière cachée !... Céline... la vie sera courte, l'éternité est sans fin... Faisons de notre vie un sacrifice continuel, un martyre d'amour, pour consoler [2v°] Jésus, il ne veut qu'un regard, un soupir, mais un regard et un soupir qui soient pour lui seul !... Que tous les instants de notre vie soient pour lui seul, que les créatures ne nous touchent qu'en passant... Il n'y a qu'une seule chose à faire pendant la nuit, l'unique nuit de la vie qui ne viendra qu'une fois, c'est d'aimer, d'Aimer Jésus de toute la force de notre coeur et de lui sauver des âmes pour qu'il soit aimé... Oh ! faire aimer Jésus ! Céline ! comme je parle bien avec toi... c'est comme si je parlais à mon âme... Céline, il me semble qu'à toi je peux tout dire...
(Merci encore de tes jolis pots, le petit Jésus a l'air radieux d'être si bien paré.)
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
nov.carm.ind.
LT 97 A Mme Guérin.
J.M.J.T.
Jésus _ 15 Octobre 1889.
Ma chère Tante,
Je ne saurais vous dire combien j'ai été touchée de toutes vos gâteries !... C'est ma Ste patronne que je prie de vous remercier, en vous comblant de ses grâces ainsi que mon cher Oncle. Je vous charge de remercier pour moi mes chères petites soeurs Jeanne et Marie de leurs jolis bouquets et de leur délicieux raisin.
[1v°] Ma lettre a été interrompue par l'arrivée d'un nouveau cadeau, deux magnifiques plantes pour le petit Jésus... Vraiment je suis trop comblée, j'en serais confuse si cela n'était pas pour orner l'autel de l'enfant Jésus, c'est lui sans doute qui se charge de payer ma dette auprès de mes chers parents. J'ignore le nom de la personne qui fait ce gracieux cadeau au Jésus de Thérèse... Si vous la connaissez, ma chère Tante, je vous prie de lui témoigner ma reconnaissance...
O ma Tante, comme je prie [2r°] aujourd'hui Ste Thérèse de vous rendre au centuple tout ce que vous faites pour nous. Céline, dans sa petite lettre de l'été, me parlait de vos bontés pour elle, j'en ai été bien touchée, mais je n'en ai pas été surprise car je connais toutes les délicatesses maternelles que vous avez pour nous.
Ma chère Tante, j'ai le coeur rempli de douces choses que je voudrais pouvoir redire, mais je suis obligée de vous quitter pour aller aux Vêpres.
Je vous envoie mes meilleurs baisers ainsi qu'à mon oncle et à mes 4 petites soeurs.
Votre petite fille bien reconnaissante
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus
nov.carm.ind.
LT 98 A Céline.
J.M.J.T.
Jésus _ Au Carmel 22 Octobre 89.
Ma Céline chérie,
Si tu savais la peine que j'ai quand je pense que j'ai laissé passer le 21 sans souhaiter la fête de ma Céline !... Céline aura-t-elle douté du coeur de sa Thérèse ?...
Il y avait pourtant bien longtemps qu'elle pensait à cette fête chérie, mais la vie du Carmel est si érémitique que la pauvre petite solitaire ne sait jamais à quelle date elle se trouve... Céline, cet oubli m'a été au coeur, mais vois-tu, je pense que cette année Jésus a voulu que notre fête soit le même jour ; n'est-ce pas aujourd'hui l'octave de Ste Thérèse ? Oui Céline, Ste Thérèse est aussi ta patronne puisque tu es déjà sa fille chérie...
Si tu savais comme je regarde la peine que j'ai aujourd'hui comme voulue de Jésus, car Il se plaît à semer ainsi de petites peines notre vie...
Je t'envoie une belle image de la Ste Face que notre Mère chérie m'a donnée il y a quelque temps. Je trouve qu'elle convient si bien à Marie de la Ste Face [v°] que je ne puis la garder pour moi ; depuis longtemps déjà je pensais à la donner à ma Céline... à ma Câline à moi... que Marie de la Ste Face soit une autre Véronique qui essuie tout le sang et les larmes de Jésus, son unique bien aimé, qu'elle lui gagne des âmes, surtout les âmes qu'elle aime, qu'elle s'acharne à braver les soldats, c'est-à-dire le monde pour arriver jusqu'à Lui... ah ! qu'elle sera heureuse quand elle pourra un jour contempler dans la gloire le breuvage mystérieux dont elle aura désaéré son Fiancé céleste, quand elle verra ses lèvres autrefois desséchées s'ouvrir pour lui dire l'unique et éternelle parole de l'Amour !... Le Merci qui n'aura pas de fin...
A Bientôt petite Véronique chérie, demain sans doute le bien Aimé demandera un nouveau sacrifice, un nouveau soulagement à sa soif, mais qu'importe, mourons avec lui...
Bonne fête Céline chérie...
Ta pauvre petite Soeur.
Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
nov.carm.ind.
[v°tv] N'oublie pas de cueillir une petite fleur Céline, c'est mon coeur qui va te l'offrir...
LT 99 A Mme Guérin.
J.M.J.T.
Jésus !... Au Carmel 18 Nov. 89.
Ma petite Tante chérie,
Comme le temps passe... Il y a déjà deux ans que je vous envoyais de Rome mes souhaits de Fête, et pourtant il me semble que c'était hier.
Pendant ces deux années il s'est passé bien des choses, le bon Dieu m'a accordé de grandes grâces... Il nous a aussi visitées de sa croix, [1v°] et en même temps Il nous a révélé toute la tendresse qu'Il avait mise dans le coeur de notre Tante chérie...
Que de souvenirs pour moi dans cette date du 19 Novembre, quelle joie quand je voyais ce moment arriver !... C'est toujours avec le même bonheur que je viens redire à ma chère Tante tous les souhaits que je forme pour elle ; mais je me trompe, je ne vais pas perdre mon temps à les énumérer, car je crois qu'un volume entier [2r°] ne me suffirait pas...
Si vous saviez, ma petite Tante chérie, comme votre petite fille va prier pour vous le jour de votre fête, hélas ! je suis si imparfaite que mes pauvres prières n'ont pas sans doute beaucoup de prix, mais il est des mendiants qui à force d'importuner obtiennent ce qu'ils désirent ; je ferai comme eux et le bon Dieu ne pourra me renvoyer les mains vides...
Voici quatre heures qui sonnent, il faut que je vous quitte, ma [2v°] chère petite Tante, mais je vous assure que mon coeur reste auprès de vous.
Je vous prie, ma chère petite Tante, de me rappeler au souvenir de Madame Fournet, car je n'oublie pas que c'est sa fête.
Il va sans dire que j'embrasse de tout mon coeur mon cher Oncle et mes chères petites soeurs.
Pour vous ma Tante chérie, je vous envoie le meilleur baiser du coeur de la plus petite de vos 7 petites filles
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus
nov.carm.ind.
LT 100 A M. et Mme Guérin.
J.M.J.T.
Jésus _ 30 Décembre 89.
Mon cher Oncle et ma chère Tante,
Votre Benjamin vient à son tour vous souhaiter une bonne année !... Comme chaque jour a sa dernière heure, chaque année voit aussi arriver son dernier soir, et c'est au soir de cette année que je me [1v°] sens portée à jeter un regard sur le passé et sur l'avenir ; en considérant le temps qui vient de s'écouler, je me sens portée à remercier le bon Dieu, car si sa main nous a présenté un calice d'amertume, son coeur divin a su nous soutenir dans l'épreuve et il nous a donné la force nécessaire pour boire son calice jusqu'à la lie... Pour l'année qui va s'ouvrir que nous réserve-t-il ?... Il ne m'est pas donné de pénétrer ce mystère, mais je supplie [2r°] le bon Dieu de récompenser au centuple mes chers parents, de toutes les bontés si touchantes qu'ils ont pour nous !
Le premier jour de l'an est pour moi un monde de souvenirs... Je vois encore Papa nous comblant de ses caresses... Il était si bon !... Mais pourquoi rappeler ces souvenirs ? Ce Père chéri a reçu la récompense de ses vertus, Dieu lui a envoyé une épreuve digne de lui.
Voici neuf heures qui sonnent, [2v°] je suis obligée de terminer ma lettre sans avoir rien dit de ce que j'aurais dû parler, mais j'espère que mes chers Parents vont excuser leur petite Thérèse, et surtout pardonner l'écriture qui n'est pas lisible...
Bonne année à mes chères petites Soeurs ... Surtout que Marie se guérisse bien vite, je serai fâchée contre elle si l'influenza l'empêche de venir nous voir !...
Au revoir mon cher Oncle et ma Tante chérie, votre petite fille vous souhaite une bonne bonne Année et vous embrasse de tout son coeur
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus
nov.carm.ind.
LT 101 A Céline.
J.M.J.T.
Jésus _ Le 31 Décembre 89.
Ma Céline chérie,
C'est toi qui as mon dernier adieu de cette année !... Dans quelques heures elle sera passée pour toujours... elle sera dans l'éternité !...
Puisque ma Céline est dans son dodo, c'est à moi d'aller la trouver pour lui souhaiter une bonne année...
Te rappelles-tu autrefois ?... [1v°] L'année qui vient de s'écouler a été bonne, oui elle a été précieuse pour le ciel, puisse celle qui va suivre lui ressembler !
Céline, je ne suis pas étonnée de te voir dans le lit après une pareille année, à la fin d'un jour comme celui-là il y a de quoi se reposer... ! Comprends-tu ?... Peut-être l'année qui va commencer sera-t-elle la dernière ! ! ! ah ! profitons, profitons des [2r°] plus courts instants, faisons comme les avares, soyons jalouses des plus petites choses pour le bien-Aimé !... Notre jour de l'an est bien triste cette année... c'est le coeur rempli de souvenirs que je vais veiller en attendant minuit... Je me rappelle tout... maintenant nous sommes orphelines, mais nous pouvons dire avec amour « Notre Père qui êtes aux Cieux ». Oui, il nous reste encore l'unique tout de nos âmes !...
[2v°] Encore une année de passée !... Céline ! elle est passée, passée, elle ne reviendra jamais ; comme cette année a passé notre vie aussi passera et bientôt nous dirons : « Elle est passée », ne perdons pas notre temps, bientôt l'éternité luira pour nous !... Céline, si tu veux, convertissons les âmes, il faut que cette année nous fassions beaucoup de prêtres qui sachent aimer Jésus !... qui le touchent avec la même délicatesse que Marie le touchait dans son berceau !...
Ta petite Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus
de la Ste Face
nov.carm.ind.
[2v°tv] Je souhaite aussi une bonne année à Lolo mais je crois bien que je la verrai !... [1r°tv] Remercie beaucoup mon oncle et ma tante, dis-leur que je suis bien touchée de tous leurs cadeaux, remercie aussi beaucoup Jeanne et Marie, elles sont vraiment trop gentilles.
LT 102 A Céline.
27 avril 1890
J.M.J.T.
Jésus _
Ma Céline chérie,
Moi qui me réjouissais de t'écrire une longue lettre pour tes 21 ans, et voilà que j'ai à peine quelques instants !... Céline, croyais-tu que ta Th. pouvait oublier le 28 Avril ?... Céline, mon coeur est rempli de souvenirs... il me semble qu'il y a des siècles que je t'aime, et pourtant il n'y a pas 21 ans... mais maintenant j'ai l'éternité devant moi...
Céline, la lyre de mon coeur chantera pour toi le 28, ton nom résonnera souvent aux oreilles chéries de mon Jésus !... Ah ! puisque notre coeur est le même donnons-le tout entier à Jésus, il faut que nous allions ensemble car Jésus ne peut habiter dans un demi coeur !... Demande que ta Th. ne reste pas en arrière...
[v°] En voyant l'image de la Ste Face, les larmes me sont venues dans les yeux, n'est-ce pas l'image de notre famille ? oui, notre famille est une branche de lis et le Lis sans nom réside au milieu, il y réside en roi et il nous fait partager les honneurs de sa royauté, son sang divin arrose nos corolles, et ses épines en nous déchirant laissent exhaler le parfum de notre amour.
Adieu Céline, on vient rompre mon entretien, comprends tout
Thérèse
LT 103 A soeur Agnès de Jésus.
4 (?) mai 1890
J.M.J.T.
Jésus _
Petit agneau chéri, mon coeur vous suit dans la solitude, vous savez « alouette légère » que vous avez un fil à la patte, et si haut que vous montiez il faudra entraîner votre fardeau... mais un grain de sable n'est pas lourd, et puis il sera plus léger si vous le demandez à Jésus... Oh ! comme il désire d'être réduit à rien, d'être inconnu de toutes les créatures, pauvre petit, il ne désire plus rien, rien que l'oubli... non pas les mépris, les injures, ce serait trop glorieux pour un grain de sable. Si on le méprisait, il faudrait bien le voir. [v°] Mais l'oubli !... Oui je désire d'être oubliée, et non seulement des créatures mais aussi de moi-même, je voudrais être tellement réduite au néant que je n'aie aucun désir... La gloire de mon Jésus, voilà tout ; pour la mienne, je la lui abandonne, et s'il semble m'oublier, eh bien ! il est libre, puisque je ne suis plus à moi, mais à lui... Il se lassera plus vite de me faire attendre que moi de l'attendre !...
Agneau chéri, comprenez-vous ?... Comprenez tout, même ce que mon coeur ne peut exprimer. Vous qui êtes un flambeau lumineux que Jésus m'a donné pour éclairer mes pas dans les sentiers ténébreux de l'exil, ayez pitié [v°tv] de ma faiblesse, cachez-moi sous votre voile afin que j'aie part à votre lumière... Dites à Jésus de me regarder, que les belles de nuit pénètrent de leurs lumineux rayons le coeur du grain de sable, et si ce n'est pas trop, demandez aussi que la Fleur des fleurs entrouvre sa corolle et que le son mélodieux qui s'en échappe fasse vibrer dans mon coeur ses mystérieux enseignements... Agneau chéri, n'oubliez pas le grain de sable !...
LT 104 A soeur Agnès de Jésus. (Fragments)
5-6 mai 1890
J.M.J.T.
Merci de votre lettre, ah ! merci !...
[r°] Cela ne m'étonne pas que vous n'ayez pas de consolation, car Jésus est si peu consolé qu'il est heureux de trouver une âme où il puisse se reposer sans faire de cérémonies...
Que je suis fière d'être votre soeur ! Et aussi votre petite fille car c'est vous qui m'avez appris à aimer Jésus, à ne chercher que Lui.
[r°] (...) et à mépriser toutes les créatures...
Pour Céline, je n'en sais pas plus long que vous, et même moins, car je ne savais pas qu'elle souffre, si ce n'est dans (...) [v°] ennuyeux, d'abord Céline nous a parlé de ce pauvre petit Père, elle a remarqué que c'est
(...)
elle nous (...) de Jeanne. Elle nous a dit aussi de beaucoup prier pour Léonie, car elle souffre de son mal et je crois que mon oncle trouve cela dangereux, c'est enflé tout autour.
Céline nous a parlé de ce pauvre petit Père, elle a remarqué que c'est samedi, jour de l'Invention de la Sainte Croix, que nous aussi nous avons retrouvé notre croix ! Léonie était là. Elle espère être guérie à la Ste Face ou à Lourdes. Elle descendra dans la piscine. Pauvre Léonie, elle était bien bonne et voulait se priver de ses parloirs pour faire plaisir à Céline... Vêpres ayant sonné, je suis partie. Je ne sais pas quand elles seront à Tours, mais je crois que la semaine prochaine, elles seront à Lourdes. Il faut écrire lundi ou mardi avant midi, afin que la lettre arrive samedi.
Oh ! que la terre est exil !... Il n'y a aucun appui à chercher en dehors de Jésus car Lui seul est immuable. Quel bonheur de penser qu'il ne peut changer... Quelle joie pour notre coeur de penser que notre petite famille aime si tendrement Jésus ; c'est toujours ma consolation ; notre famille n'est-elle pas une famille virginale, une famille de lys ?... Demandez à Jésus que le plus petit, que le dernier ne soit pas le dernier à l'aimer de toute sa puissance d'aimer !...
LT 105 A Céline.
10 mai 1890
J.M.J.T.
Jésus _
Ma Céline chérie,
Es-tu contente de ton voyage ?... J'espère que la Ste Vierge te comble de ses grâces, si ce ne sont pas des grâces de consolation, ce sont sans doute des grâces de lumière !... Et la Ste Face !... Céline, sais-tu que c'est une grande grâce de visiter tous ces lieux bénis... Mon coeur voudrait te suivre [1v°] partout, mais hélas ! je ne connais pas l'itinéraire du voyage, je croyais même que vous ne seriez à Lourdes que la semaine prochaine.
Céline, tu dois être bien heureuse de contempler la belle nature, les montagnes... les rivières argentées, tout cela est si grandiose, si bien fait pour élever nos âmes... Ah ! petite soeur, détachons-nous de la terre, volons sur la montagne de l'amour ou se trouve le beau Lys de nos âmes... Détachons-nous [2r°] des consolations de Jésus, pour nous attacher à Lui !...
Et la Ste Vierge ! Ah ! Céline, cache-toi bien à l'ombre de son manteau virginal afin qu'elle te virginise !... La pureté c'est si beau, si blanc !... Bienheureux les coeurs purs car ils verront Dieu !... Oui, ils le verront même sur la terre, où rien n'est pur, mais où toutes les créatures deviennent limpides quand elles sont vues à travers la Face du plus beau et du plus blanc des Lys !...
[2v°] Céline, les coeurs purs sont parfois environnés d'épines... Ils sont souvent dans les ténèbres, alors ces Lys croient avoir perdu leur blancheur, ils pensent que les épines qui les entourent sont parvenues à déchirer leur corolle !... Céline, comprends-tu ?... Les lys au milieu des épines sont les bien-aimés de Jésus, c'est au milieu d'eux qu'il prend ses délices !...
Bienheureux celui qui a été trouvé digne de souffrir la tentation !...
Th. de l'Enfant Jésus de la Ste Face
nov.carm.ind.
[2v°tv] J'aurais voulu écrire à ma chère Léonie, mais cela m'est impossible faute de temps, dis-lui combien je prie pour elle, et combien je pense à ma marraine chérie. Je comptais aussi écrire à petite Marie, mais je ne puis pas, je prie beaucoup pour que la Ste Vierge en fasse un petit lys, qui pense beaucoup à Jésus et s'oublie ainsi que toutes ses misères entre les mains de l'obéissance !... Je n'oublie pas ma Jeanne...
[1r°tv] Nous n'avons rien reçu du Canada. Sr Agnès de Jésus ne peut écrire à cause de sa retraite.
Si tu n'as rien acheté pour Notre Mère tu pourrais rapporter une notre-dame de Lourdes sans être peinte dans les 4 ou 5 f.
LT 106 A soeur Agnès de Jésus.
10 mai 1890
J.M.J.T.
Jésus _
Agneau chéri, encore un jour et vous reviendrez combattre dans la plaine !... Le pauvre agnelet retrouvera enfin sa Maman... Que je suis heureuse d'être pour toujours prisonnière au Carmel, je n'ai pas envie d'aller a Lourdes pour avoir des extases, [v°] je préfère « la monotonie du sacrifice » ! Quel bonheur d'être si bien cachée que personne ne pense à vous !... d'être inconnue même aux personnes qui vivent avec vous...
Agneau chéri, comme je remercie Jésus de m'avoir donnée à vous, de faire que vous compreniez si bien mon âme !... Je ne puis vous dire tout ce que je pense... Ah ! le CIEL ! ! ! Alors un seul [v°tv] regard et tout sera dit et compris !...
Le Silence, voilà le langage qui peut vous dire seul ce qui se passe dans mon âme !...
LT 107 A Céline.
19-20 mai 1890
J.M.J.T.
Jésus _ Mai 90
Ma petite Céline chérie,
Je suis chargée de t'écrire un petit mot pour te dire de ne pas venir nous donner des nouvelles de Papa pendant la retraite de la Pentecôte ; si tu voulais nous écrire un petit mot tu serais bien gentille, et puis tu viendrais [1v°] Lundi pour nous voir. Céline chérie, je suis heureuse d'être chargée de la commission, car j'ai besoin de te dire combien je trouve que le bon Dieu t'aime et te traite en privilégiée... Ah ! tu peux bien dire que ta récompense est grande dans les Cieux, puisqu'il est dit « Vous serez heureux quand on vous persécutera et qu'on dira faussement toute sorte de mal contre [2r°] vous. » Alors réjouis-toi et tressaille de joie !...
Céline, quel privilège d'être méconnue sur la terre !... Ah ! les pensées du bon Dieu ne sont pas nos pensées, si elles l'étaient notre vie ne serait qu'une hymne de reconnaissance !...
Céline, penses-tu que Ste Thérèse ait reçu plus de grâces que toi ?... pour moi je ne te dirai pas [2v°] de viser à sa sainteté séraphique, mais bien d'être parfaite comme ton Père céleste est parfait !... Ah ! Céline, nos désirs infinis ne sont donc ni des rêves ni des chimères puisque Jésus nous a lui-même fait ce commandement !...
Céline, ne trouves-tu pas que sur la terre il ne nous reste rien ! Jésus veut nous faire boire son calice jusqu'à la lie en laissant notre cher petit Père là-bas, ah ! ne lui refusons rien, il a tant besoin d'amour et il est si altéré qu'il attend de nous la goutte d'eau qui doit le rafraîchir !... Ah ! donnons sans compter, [2v°tv] un jour il saura dire : « maintenant mon tour ».
Remercie beaucoup ma chère petite Marie de son ravissant bouquet, dis-lui que je l'offre à Jésus de sa part, et lui demande en retour d'orner son âme d'autant de vertus qu'il y a de boutons de rose !...
Ta petite Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
nov.carm.ind.
LT 108 A Céline.
J.M.J.T.
Jésus _ !... Au Carmel le 18 Juillet 90
Céline chérie,
Si tu savais ce que ta lettre a dit à mon âme !... Ah ! la joie inondait mon coeur comme un vaste océan !... Céline, tout ce que j'ai à te dire tu le sais, puisque toi c'est moi... Je t'envoie une feuille qui en dit bien long à mon âme, il me semble que la tienne va aussi s'y plonger...
Céline, il y a si longtemps... et déjà l'âme du prophète Isaïe se plongeait comme la nôtre dans les BEAUTÉS CACHÉES de Jésus... Ah ! Céline, quand je lis ces choses je me demande ce qu'est le temps ?... Le temps, ce n'est qu'un mirage, un rêve... déjà Dieu nous voit dans la gloire, il jouit de notre béatitude éternelle !... Ah ! que cette pensée fait de bien à mon âme, je comprends alors pourquoi il ne marchande pas avec nous... Il sent que nous le comprenons, et il nous traite comme ses amis, comme ses épouses les plus chères...
Céline, puisque Jésus a été « seul à fouler le vin » qu'il nous donne à boire, à notre tour ne refusons pas de porter des vêtements teints [1v°] de sang... foulons pour Jésus un vin nouveau qui le désaltère, qui lui rende amour pour amour, ah ! ne gardons pas une seule goutte du vin que nous pouvons lui donner... alors, regardant autour de Lui il verra que nous venons pour lui aider !... Son visage était comme caché !... Céline, il l'est encore aujourd'hui, car qui est-ce qui comprend les larmes de Jésus ?...
Céline chérie, faisons dans notre coeur un petit tabernacle où Jésus puisse se réfugier, alors Il sera consolé et Il oubliera ce que nous ne pouvons oublier : « L'ingratitude des âmes qui l'abandonnent dans un tabernacle désert !...»
« Ouvre-moi, ma soeur, mon épouse, car ma face est pleine de rosée et mes cheveux des gouttes de la nuit » (cant. des Can.) voilà ce que Jésus nous dit a l'âme quand il est abandonné et oublié !... Céline, l'oubli, il me semble que c'est ce qui lui fait le plus de peine !...
Papa !... ah ! Céline je ne puis te dire tout ce que je pense, ce serait trop long, et comment dire des choses que la pensée même peut à peine traduire, des profondeurs qui sont dans les abîmes les plus intimes de l'âme !...
Jésus nous a envoyé la croix la mieux choisie qu'il a pu inventer dans son amour immense... comment nous plaindre quand lui-même a été considéré comme un homme frappé de Dieu et humilié !... Le divin charme, charme mon âme et la console merveilleusement, à chaque instant du jour ! ah ! les larmes de Jésus quels sourires !...
[1v°tv] Embrasse tout le monde pour moi et dis-lui tout ce que tu voudras !... Je pense beaucoup à ma Léonie chérie, ma chère petite Visitandine. Dis à Marie du St Sacrement que Jésus demande d'elle beaucoup d'amour, il veut d'elle la réparation des froideurs qu'il reçoit, il faut que son coeur soit un brasier où Jésus puisse se réchauffer !... Il faut qu'elle s'oublie entièrement pour ne penser qu'à Lui seul...
Céline, prions pour les prêtres, ah ! prions pour eux. Que notre vie leur soit consacrée, Jésus me fait tous les jours sentir qu'il veut cela de nous deux
C.T.
[2r°]
J.M.J.T.
Du Prophète Isaïe (ch. 53)
Qui a cru à notre parole, et à qui la force du bras du Seigneur a-t-elle été révélée ? Le Christ s'élèvera devant le Seigneur comme un arbrisseau, et comme un rejeton qui sort d'une terre sèche Il est sans beauté et sans éclat ; nous l'avons vu ; Il n'avait rien qui attirât les regards et nous l'avons méconnu. Il nous a paru un objet de mépris, le dernier des hommes, un homme de douleurs qui sait ce que c'est de souffrir !... Son visage était comme caché !... Il paraissait méprisable et nous ne l'avons pas reconnu. Il a pris véritablement nos langueurs sur Lui et Il s'est chargé de nos douleurs. Nous l'avons considéré comme un lépreux, comme un homme frappé de Dieu et humilié !... Et cependant Il a été percé de plaies pour nos iniquités, Il a été brisé pour nos crimes. Le châtiment qui nous devait procurer la paix est tombé sur Lui, et nous avons été guéris par ses meurtrissures.
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Suite du ch. 53
Quel est celui qui vient d'Edom et de Bosra avec sa robe teinte de rouge ?... Quel est Celui qui éclate dans la beauté de ses vêtements, et qui marche avec une force toute Puissante ?... C'est moi dont la parole est une parole de [2v°] justice, qui viens pour défendre et pour sauver. Pourquoi donc votre robe est-elle toute rouge, et pourquoi vos vêtements sont-ils comme les habits de ceux qui foulent le vin dans le pressoir ? J'ai été seul à fouler le vin sans qu'aucun homme d'entre tous les peuples fût avec moi. J'ai regardé autour de moi, et il n'y avait personne pour m'aider ; j'ai cherché et je n'ai point trouvé de secours !
Ceux-ci qui sont revêtus de robes blanches, qui sont-ils et d'où viennent-ils ? Ce sont ceux qui sont venus par de grandes tribulations et qui ont lavé leur robe dans le sang de l'Agneau. C'est pour cela qu'ils sont devant le trône de Dieu et ils le servent nuit et jour...
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Mon bien aimé est un bouquet de myrrhe, il reposera sur mon coeur !... Mon bien aimé brille par la blancheur et l'éclat de son visage, les cheveux de sa tête sont semblables à la pourpre royale. Mon bien aimé est tout aimable, son visage inspire l'amour, et sa face inclinée me presse de lui rendre amour pour Amour.
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Le visage penché sur mon bien Aimé je restai là et m'oubliai ; tout disparut pour moi et je m'abandonnai, laissant toutes mes sollicitudes perdues au milieu des Lys !... (Fragment d'un cantique de Notre Père St Jean de la Croix.)
LT 109 A Marie Guérin.
27-29 juillet 1890
J.M.J.T.
Jésus _ Au Carmel Juillet 90
Ma chère petite Marie,
Remercie bien le bon Dieu de toutes les grâces qu'il te fait et ne sois pas assez ingrate pour ne pas les reconnaître. Tu me fais l'effet d'une petite villageoise qu'un roi puissant viendrait demander en mariage et qui n'oserait accepter sous prétexte qu'elle n'est pas assez riche et assez formée aux usages de la cour, sans faire la réflexion que son royal fiancé connaît sa pauvreté et sa faiblesse beaucoup mieux qu'elle ne la connaît elle-même... Marie, si tu n'es rien il ne faut pas oublier que Jésus est tout, aussi il faut perdre ton petit rien dans son infini tout et ne plus penser qu'à ce tout uniquement aimable... Il ne faut pas désirer non plus de voir le fruit recueilli de tes efforts ; Jésus se plaît à garder pour lui seul ces petits riens qui le consolent... Tu te trompes, ma chérie, si tu crois que ta petite Thérèse marche toujours avec ardeur dans le chemin de la vertu, elle est faible et bien faible, tous les jours elle en fait une nouvelle expérience, mais Marie, Jésus se plaît à lui enseigner comme a St Paul la science de se glorifier dans ses infirmités, c'est une grande grâce que celle-là et je prie Jésus de te l'enseigner, car là seulement se trouve la paix et le repos du coeur, quand on se voit si misérable on ne veut plus se considérer et on ne regarde que l'unique Bien-Aimé !...
[v°] Ma chère petite Marie, pour moi je ne connais pas d'autre moyen pour arriver à la perfection que « L'amour »... Aimer, comme notre coeur est bien fait pour cela !... Parfois je cherche un autre mot pour exprimer l'amour, mais sur la terre d'exil les paroles sont impuissantes a rendre toutes les vibrations de l'âme, aussi il faut s'en tenir à ce mot unique : Aimer !...
Mais à qui notre pauvre coeur affamé d'Amour le prodiguera-t-il ?... Ah ! qui sera assez grand pour cela... un être humain pourra-t-il le comprendre... et surtout saura-t-il le rendre ?... Marie, il n'y a qu'un être qui puisse comprendre la profondeur de ce mot : Aimer !... Il n'y a que notre Jésus qui sache nous rendre infiniment plus que nous lui donnons...
Marie du St Sacrement !... ton nom te dit ta mission... Consoler Jésus, le faire aimer des âmes... Jésus est malade et il faut remarquer que la maladie de l'amour ne se guérit que par l'amour !... Marie, donne bien tout ton coeur à Jésus, il en a soif, il en est affamé, ton coeur, voilà ce qu'il ambitionne au point que pour l'avoir pour Lui, il consent à loger sous un réduit sale et obscur !... Ah ! comment ne pas aimer un ami qui se réduit à une si extrême indigence, comment oser alléguer encore sa pauvreté quand Jésus se rend semblable à sa Fiancée... Il était riche et il s'est fait pauvre pour unir sa pauvreté à la pauvreté de Marie du St Sacrement... Quel mystère d'amour !...
[v°tv] Toutes mes amitiés à la chère Colonie.
Mon coeur est toujours avec Marie du St Sacrement, le tabernacle est la maison d'amour où nos deux âmes sont enfermées... Ta petite Soeur qui te demande de ne pas l'oublier dans tes prières
Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
nov.carm.(ind.)
LT 110 A soeur Agnès de Jésus.
30-31 août 1890
J.M.J.T.
Jésus _
Petite Maman à moi, merci, oh ! merci !... Si vous saviez ce que votre lettre dit à mon âme !...
Mais il faut que la petite solitaire vous dise l'itinéraire de son voyage, le voici. Avant de partir son Fiancé a semblé lui demander dans quel pays elle voulait voyager, quelle route elle désirait suivre, etc., etc. La petite Fiancée a répondu qu'elle n'avait qu'un désir, celui de se rendre au sommet de la montagne de l'Amour. Pour y parvenir, bien des routes s'offraient à elle, il y en avait tant de parfaites qu'elle se voyait incapable de choisir, alors elle a dit à son divin guide : « Vous savez où je désire me rendre, vous savez pour qui je veux gravir la montagne, [1v°] pour qui je veux arriver au terme, vous savez celui que j'aime et celui que je veux contenter uniquement, c'est pour Lui seul que j'entreprends ce voyage, menez-moi donc par les sentiers qu'il aime à parcourir, pourvu qu'Il soit content je serai au comble du bonheur. Alors Jésus m'a prise par la main, et Il m'a fait entrer dans un souterrain où il ne fait ni froid ni chaud, où le soleil ne luit pas et que la pluie ni le vent ne visitent pas, un souterrain où je ne vois rien qu'une clarté à demi voilée, la clarté que répandent autour d'eux les yeux baissés de la face de mon Fiancé !
Mon Fiancé ne me dit rien et moi je ne lui dis rien non plus sinon que je l'aime plus que moi, et je sens au fond de mon coeur que c'est vrai car je suis plus à Lui [2r°] qu'à moi !... Je ne vois pas que nous avancions vers le terme de la montagne puisque notre voyage se fait sous terre, mais pourtant il me semble que nous en approchons sans savoir comment. La route que je suis n'est d'aucune consolation pour moi et pourtant elle m'apporte toutes les consolations puisque c'est Jésus qui l'a choisie, et que je désire le consoler tout seul, tout seul !... Ah ! c'est bien vrai que si je lui donne du raisin de mon coeur, c'est entre le B et l'A car je n'y comprends rien moi-même.
[2v°] Faut-il écrire à M. Lepelletier et à M. Révérony que je fais profession ?...
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Surtout n'oubliez pas d'aller dans la cave prendre votre petit vin, en le prenant vous penserez à votre petite fille qui, bien sûr, ne boit pas non plus du bon vin sucré d'Engaddi... demandez qu'elle sache en donner à son Epoux en sauvant les âmes et elle sera consolée...
LT 111 A soeur Marie du Sacré-Coeur.
30-31 août 1890
Petite Marraine chérie, si vous saviez comme votre chant du Ciel a ravi l'âme de votre petite fille !...
Je vous assure qu'elle n'entend guère les harmonies célestes. Son voyage de noces est bien aride, son fiancé lui fait, il est vrai, parcourir des pays fertiles et magnifiques mais la nuit lui empêche de rien admirer et surtout de jouir de toutes ces merveilles.
Vous allez peut-être croire qu'elle s'en afflige [v°] mais non, au contraire, elle est heureuse de suivre son fiancé à cause de l'amour de Lui seul et non pas à cause de ses dons... Lui seul il est si beau, si ravissant ! même quand Il se tait... même quand il se cache !...
Comprenez-vous votre petite fille ?...
Elle est lasse des consolations de la terre, elle ne veut plus que son Bien-Aimé tout seul... N'oublie pas de prier beaucoup pour la petite fille que vous avez élevée et qui est à vous.
LT 112 A soeur Agnès de Jésus.
1er septembre
1890
J.M.J.T.
Jésus _ Lundi
Je vous donne la lettre que j'ai écrite pour Papa ; si vous trouvez qu'elle ne peut pas aller, vous allez bien vouloir me faire un petit brouillon, mais je crois bien qu'il ne comprendra pas... Ah ! quel mystère que l'amour de Jésus sur notre famille !... quel mystère que les larmes et l'amour de cet époux de sang...
Demain je vais trouver M. Youf ; il m'a dit de lui faire une petite revue seulement depuis que je suis au Carmel ; priez bien afin que Jésus me laisse la paix qu'il M'A DONNÉE. J'ai été bien heureuse de recevoir l'absolution Samedi... Mais je ne comprends pas la retraite [v°] que je fais, je ne pense à rien, en un mot je suis dans un souterrain bien obscur !... Oh ! demandez à Jésus, vous qui êtes ma lumière, qu'il ne permette pas que les âmes soient privées à cause de moi des lumières qui leur sont nécessaires, mais que mes ténèbres servent à les éclairer... Demandez-lui aussi que je fasse une bonne retraite et qu'il soit aussi content qu'il puisse l'être ; alors moi aussi je serai contente et je consentirai, si c'est sa volonté, à marcher toute ma vie dans la route obscure que je suis pourvu qu'un jour j'arrive au terme de la montagne de l'Amour, mais je crois que ce ne sera pas ici-bas.
(Je vais prendre mon petit vin, le même ce matin aurait été bien de mon goût mais je n'ai pas pu trouver Notre Mère.)
[v°tv] Faut-il écrire à Mme Papinot ?... Il me semble que ce n'est pas la peine, elle ne comprendrait pas, il vaudrait peut-être mieux attendre à la prise de voile ?...
LT 113 A soeur Marie du Sacré-Coeur.
2-3 septembre
1890
J.M.J.T.
Jésus _
Si vous saviez comme vos petits mots me font du bien !... C'est pour moi une musique du Ciel, il me semble que j'entends la voix d'un ange...
Mais aussi n'êtes-vous pas l'ange qui m'a conduite et guidée dans la route de l'exil jusqu'à mon entrée au Carmel ? Maintenant encore vous êtes toujours pour moi l'ange qui a consolé mon enfance [v°] et je vois en vous ce que les autres ne peuvent y voir car vous savez si bien cacher ce que vous êtes qu'au jour de l'éternité bien des personnes seront surprises.
Mais votre petite fille ne sera surprise de rien, et si beaux que soient votre trône et votre diadème, elle ne saura s'étonner de ce que l'amour de l'Epoux divin donnera à celle qui aura formé dans son coeur le même amour pour l'Epoux des vierges, et votre petite fille espère aussi être dans votre couronne une toute petite fleur qui prêtera son humble éclat à la gloire de son ange visible de la terre.
LT 114 A soeur Agnès de Jésus.
3 septembre 1890
J.M.J.T.
Jésus _
Agneau chéri, oui, pour nous les joies seront toujours mêlées à la souffrance, la grâce d'hier demandait un couronnement et c'est à vous que Jésus l'a donné, et puis à moi en même temps, car tout ce qui vous fait souffrir me blesse profondément !... Je voudrais bien savoir si Notre Mère vous a consolée et si vous avez encore du chagrin ? Il me semble qu'il faudrait remercier le « St Vieillard Siméon » et lui dire que sa lettre est arrivée, qu'en pensez-vous ?... Je vous donne un petit mot de ma Sr Thérèse de Jésus, elle me l'a donné ce matin. Faut-il lui faire tout cela ?... Je n'ai pas de modèles et puis il me semble que le linge et la Ste Vierge sont plus pressés, mais je vais faire ce que vous allez me dire.
Croyez-vous que Céline va vraiment mourir ?... Je lui ai promis hier de faire profession pour nous deux, mais je n'aurai pas le courage de demander a Jésus qu'Il la laisse sur [v°] la terre si ce n'est pas sa volonté. Il me semble que l'amour peut suppléer à une longue vie... Jésus ne regarde pas au temps puisqu'il n'y en a plus au Ciel, Il ne doit regarder qu'à l'amour. Demandez-lui de m'en donner beaucoup aussi à moi, je ne demande pas de l'amour sensible mais seulement senti de Jésus. Oh ! L'aimer et le faire aimer, que c'est doux !... Dites-lui aussi de me prendre le jour de ma profession si je dois encore l'offenser après, car je voudrais emporter au ciel la robe blanche de mon second baptême sans aucune souillure, mais il me semble que Jésus peut bien faire la grâce de ne plus l'offenser ou bien de ne faire que des fautes qui ne l'OFFENSENT pas mais ne font que d'humilier et de rendre l'amour plus fort. Si vous saviez comme je vous en dirais long si j'avais des paroles pour exprimer ce que je pense ou plutôt que je ne pense pas mais que je sens !... La vie est bien mystérieuse !... C'est un désert et un exil... mais au fond de l'âme on sent qu'il y aura un jour des LOINTAINS infinis, LOINTAINS qui feront oublier pour toujours les tristesses du désert et de l'exil...
le petit grain de sable.
[r°tv] M. l'abbé Domin ne sait pas que je fais profession, faut-il lui dire ? Il me semble que si Notre Mère n'a pas encore écrit a l'Abbaye, elle pourrait dire à ces Dames de lui en faire part ?
LT 115 A soeur Agnès de Jésus.
4 septembre 1890
J.M.J.T.
Je vous donne la lettre de Rome pour que vous la donniez à Céline si vous voulez. Peut-être Papa ne comprendra-t-il pas, mais cela n'est pas difficile à emporter et si quelquefois il comprenait il serait si heureux. Faut-il aussi lui envoyer mes voeux pour qu'il les bénisse ? Si vous trouvez que oui, voudriez-vous me le dire demain matin pour que je les écrive bien vite. On les mettrait au milieu de la couronne, mais il vaut peut-être mieux ne rien faire ?...
Merci de votre petite lettre, si vous saviez comme elle m'a fait plaisir !... Mon âme est toujours dans le souterrain [v°] mais elle y est bien heureuse, oui heureuse de n'avoir aucune consolation car je trouve qu'alors son amour n'est pas comme l'amour des fiancées de la terre qui regardent toujours aux mains de leur Fiancé pour voir s'il ne leur apporte pas quelques présents, ou bien à leur visage pour y surprendre un sourire d'amour qui les ravit...
Mais la pauvre petite fiancée de Jésus sent qu'elle aime Jésus pour Lui seul, et elle ne veut regarder le visage de son bien-aimé que pour y surprendre les larmes qui coulent des yeux qui l'ont ravie par leurs charmes cachés !... Elle veut les essuyer, ces larmes, pour en faire sa parure au jour de ses noces, parure qui elle aussi sera cachée mais sera comprise du Bien-Aimé.
LT 116 A soeur Marie du Sacré-Coeur.
7 septembre 1890
J.M.J.T.
Je voudrais bien que les bougies du petit Jésus soient allumées quand j'irai au chapitre, voudrez-vous y aller ?... Je vous en prie, n'oubliez pas... Je n'ai pas mis les bougies roses neuves car celles-ci m'en disent plus long à l'âme, elles ont commencé à brûler le jour de ma prise d'habit, alors elles étaient roses et fraîches. Papa (qui me les avait données) était là et tout était joie !... mais maintenant la couleur de rose est partie, y a-t-il encore pour l'orpheline de la Beresina des joies couleur [v°] de rose ici-bas ?... Oh ! non il n'y a plus pour elle que des joies célestes... des joies où tout le créé qui n'est rien fait place à l'incréé qui est la réalité...
Comprenez-vous votre petite fille ?... Demain elle sera l'épouse de Jésus, demain elle sera l'épouse de celui dont le visage était caché et que personne n'a reconnu !... Quelle alliance, et quel avenir !... Oui, je le sens, mes noces seront environnées d'anges, il n'y aura que le Ciel qui se réjouira et aussi la petite épouse et ses soeurs chéries !...
LT 117 A soeur Marie du Sacré-Coeur.
Souvenir du 8 Septembre 1890.
Jour d'éternel souvenir où votre petite fille est devenue comme vous l'épouse de celui qui a dit « Mon royaume n'est pas de ce monde » et plus loin : « Mais au reste, bientôt vous verrez le fils de l'homme qui viendra sur les nuées du Ciel à la droite de Dieu. » Pour nous c'est ce jour que nous attendons... Jour des noces éternelles ou notre Jésus essuiera toutes les larmes de nos yeux, où Il nous fera asseoir avec Lui sur son trône...
Maintenant son visage est comme caché aux yeux des mortels, mais pour nous qui comprenons ses larmes en cette vallée d'exil, bientôt sa face resplendissante nous sera montrée dans la patrie et alors ce sera l'extase, l'union éternelle de gloire avec notre époux... Priez pour que celle que vous avez instruite dans les voies de la vertu soit un jour tout près de vous dans la patrie !...
Votre petite fille.
LT 118 « Lettre d'Invitation aux Noces de soeur Thérèse de l'Enfant Jésus de la Sainte Face »
8-20 septembre (?)
1890
J.M.J.T.
Le Dieu tout-puissant, créateur du Ciel et de la terre, souverain dominateur du monde, et la très glorieuse Vierge Marie, Reine et princesse de la cour céleste, s'abaissent à vous faire part du mariage de leur fils Jésus Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs, avec Mademoiselle Thérèse Martin maintenant dame et princesse des royaumes apportés en dot par son époux, savoir L'enfance de Jésus et sa Passion, ses titres de noblesse étant de L'Enfant Jésus et de la Ste Face.
Monsieur Louis Martin, propriétaire et maître des Seigneuries de la souffrance et de l'humiliation, et Madame Martin, princesse et dame d'honneur de la cour céleste, veulent bien vous faire part du mariage de leur fille Thérèse avec Jésus le Verbe de Dieu, seconde personne de la Ste Trinité qui, par l'opération du St Esprit, se faisant homme est né de la vierge Marie.
N'ayant pu vous inviter à assister à la bénédiction nuptiale qui leur a été donnée sur la montagne du Carmel (la cour céleste seule y étant admise), vous êtes néanmoins priés de vous rendre au retour de noces qui aura lieu demain jour de l'Eternité, auquel Jésus fils de Dieu viendra sur les nuées du Ciel pour juger les vivants et les morts (l'heure étant encore incertaine vous êtes invités à vous tenir prêts et à veiller).
LT 119 A soeur Marthe de Jésus.
23 septembre
1890
A ma chère petite Compagne souvenir du plus beau jour de votre vie, jour unique auquel vous avez été consacrée à Jésus.
Ensemble consolons Jésus de toutes les ingratitudes des âmes, et par notre amour faisons-lui oublier ses douleurs.
Votre indigne petite Soeur
Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Ste Face
rel.carm.ind.
LT 120 A Céline.
23 septembre
1890
J.M.J.T.
Jésus _
Oh ! Céline, comment te dire ce qui se passe dans mon âme ?... Elle est déchirée mais je sens que cette blessure est faite par une main amie, par une main divinement jalouse !...
Tout était prêt pour mes noces, mais ne trouves-tu pas qu'il manquait quelque chose à la fête ? Il est vrai que Jésus avait déjà mis bien des joyaux dans ma corbeille, mais il en manquait sans doute un d'une beauté incomparable et ce diamant précieux Jésus me l'a donné aujourd'hui... Céline... en le recevant mes larmes ont coulé... elles coulent encore et je me les reprocherais presque si je ne savais pas « Qu'il existe un amour dont les larmes sont le seul gage ». C'est Jésus seul qui a conduit cette affaire, c'est Lui, et j'ai reconnu sa touche d'amour...
Tu sais à quel point je désirais ce matin revoir notre Père chéri, eh bien ! maintenant je vois clairement que la volonté du bon Dieu est qu'il n'y soit pas ; Il a permis cela simplement pour éprouver notre amour... Jésus me veut orpheline, il veut que je sois seule avec Lui seul pour s'unir plus intimement à moi et Il veut aussi me rendre dans la Patrie les joies si légitimes qu'il m'a refusées dans l'exil !... Céline, console-toi, notre époux est un époux de larmes et non pas de sourires, donnons-lui nos larmes pour le consoler, et un jour ces larmes se changeront en sourires d'une douceur ineffable !...
Céline, je ne sais si tu vas comprendre ma lettre, je puis à peine tenir ma plume... [v°] et puis une autre te ferait beaucoup d'explications du parloir de mon oncle, mais ta Thérèse ne sait te parler que le langage du Ciel. Céline, comprends ta Thérèse !...
L'épreuve d'aujourd'hui est une douleur difficile à comprendre, on voit une joie qui nous est offerte, elle est possible, naturelle, nous avançons la main... et nous ne pouvons saisir cette consolation si désirée... mais Céline, que tout cela est mystérieux !... nous n'avons plus d'asile ici-bas ou du moins tu peux dire comme la Ste Vierge : « Quel asile ! » oui, quel asile... mais ce n'est pas une main humaine qui a fait cela, c'est Jésus, c'est son « regard voilé » qui est tombé sur nous !... J'ai reçu une lettre du Père exilé et en voici un passage : « Oh ! mon alleluia est imprégné de larmes. Ni l'un, ni l'autre de vos pères ne sera là pour vous offrir à Jésus. Faut-il beaucoup vous plaindre ici-bas, quand là-haut les anges vous félicitent et les saints vous envient. C'est votre couronne d'épines qui les rend jaloux. Aimez donc ses piqûres comme autant de gages d'amour du divin époux. »
Céline, acceptons de bon coeur l'épine que Jésus nous présente, la fête de demain sera une fête de larmes pour nous, mais je sens que Jésus sera si consolé !... Je voudrais t'en dire bien long mais les paroles me manquent !... Je suis chargée de t'écrire pour te consoler mais je m'en suis sans doute bien mal acquittée... Ah !... Si je pouvais te communiquer la paix que Jésus a mise dans mon âme au plus fort de mes larmes, c'est ce que je Lui demande pour toi qui es moi !...
Céline !... Les ombres déclinent et la figure de ce monde passe, bientôt, oui bientôt nous verrons le visage inconnu et aimé qui nous ravit par ses larmes
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus, de la Ste Face
rel.carm.ind.