En toute simplicité.[1]
La simplicité est un caractère certain de la Liturgie de L'Eglise latine. La Liturgie latine est simple. Telle est sa propre tradition. Il importe de d'en souvenir si l'on veut éviter ces festivités emphatiques et bavarde} qui s'effondrent sous leur propre poids.
Au secours !
De l'air!
Cela ne nous renvoie pas à l'indigence, au néant, au degré zéro de la fête de certaines célébrations. Elle réside dans le refus de l’emphase, le refus de l’éloquence creuse et on a raison de vouloir s'en protéger. La simplicité c'est autre chose. Elle réside dans le refus de l'emphase, le refus de l'éloquence creuse, de la rhétorique, de la théâtralité. Elle accepte la limitation dans le temps. (Les braves gens l'acceptent volontiers, eux aussi !) Et la sobriété bénédictine est, en ce sens, un sommet.
Est-ce possible en paroisses ? Nous en connaissons une qui célèbre paisiblement la messe dominicale en 50 minutes. Les enfants sont contents, les mères aussi, les papas ne demandent pas mieux ; le repas dominical n'y perd rien… et l’équipe liturgique est invitée à aller droit au but ; la limpidité de l'ensemble y gagne. Mais il arrive parfois que la paroisse tout entière prenne ensemble un repas festif et fraternel, simple lui aussi ; façon de réintroduire la coutume du premier siècle, où, au jour du seigneur, était célébré une agape, un repas de l'amitié. Car on ne saurait séparer eucharistie et amitié, une amitié qui est allée «jusqu'au bout ».
En
Justement : la simplicité. Elle ne vise pas seulement le déroulement de la célébration, mais aussi sa préparation et sa conception. Et là, il convient de nommer l'équipe. C'est qui prépare et qui conçoit. Car il n'y a de vie ensemble, de vie en commun et de vie tout court, que là où chacun est accueilli avec ce qu’il est et ce qui peut apporter.
Il existe un lien intrinsèque entre « le culte » chrétien et la manière de le bâtir. Le jeudi saint a beaucoup à nous dire sur ce point. Il culmine dans le lavement des pieds, dont Jésus nous a donné le commandement : « vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis. Si donc mois, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai donné l'exemple afin que vous fassiez comme moi, ce que j'ai fait pour vous. »
L'obstacle majeur à toute vie en commun, est de vouloir, chacun, « être le premier ». Mais ceux-là sont pour nous importants qui nous ont permis d'avancer dans notre chemin personnel. En somme : qui nous ont permis de devenir nous-mêmes. Ils nous ont rendu cet immense service de faire de nous ce que nous sommes -un service donc - mais un service vraiment « seigneurial » où ils sont nos «Maîtres ».
Celui qui veut dominer est en réalité un faible qui cache sa faiblesse sous le poids qu'il fait porter à autrui. Celui au contraire qui fait exister, c'est lui qui est créateur, co-créateur avec le Christ. La simplicité dans l'équipe liturgique permet cela. L'équipe liturgique est en elle-même un lieu de travaux pratiques. Et dans cette équipe liturgique, nous nommons aussi les instruments de musique et le chant. La simplicité a été l'un des critères de la réforme conciliaire ; il est bon de le redire, alors que cette réforme est parfois présentée comme la démarche appauvrissante... qu'elle n'est pas. Au Concile, l'Eglise latine revenait à l'éclatant réalisme qui se dit en Saint Luc au retour d’Emmaüs : « il est ressuscité », leur disait les Onze. «Pour de vrai, il est ressuscité ! » leur répondent-ils. Voilà ce que nous vivons dans la Pâque, fruit du mouvement liturgique. Ce mouvement a abouti au rituel renouvelé de la Semaine Sainte, promulgué par Pie XII. Le mouvement était porté par l'idée de simplicité : retrouver la pureté de la tradition des apôtres. Non pas parce que c’est ancien (nous ne sommes pas des chineurs d'antiquités), mais parce que c’est pur, non pas encombré d'éléments adventices et pesants. : on a intenté à Jésus un simulacre de procès. Ce procès, le père l'a révisé ; le jugement, il l’a cassé ; le condamné, il l’a réhabilité ; bien plus, il l’a élevé, il l’a établi Seigneur, il lui a donné le rang qu’Adam n'a pas tenu : il a fait de lui « le Premier-Né d'entre les morts », l'espérance de la Création elle-même… Tel est la simplicité, l'acte unique en ce matin-là du premier jour..
Cette solennité était précédée depuis l'Antiquité chrétienne d'un «Triduum » ce qui veut dire d'un groupe de trois jours saints, débutant par l'institution de l'Eucharistie et le lavement des pieds au jeudi saint.
Être simple : vaste programme !
R.W.
Non, la simplicité n'est pas le n'importe quoi[2]
«Ne passons pas à côté des choses simples ». C'est à juste titre que du milieu de l'emballement de notre société de consommation, où l'écart des richesses d vient vertigineux, cette publicité; qui n'est certes pas innocente, laisse entendre que le bon n'est pas du côté de la sophistication et qu'il peut aussi être peu coûteux, s'il est préparé avec talent et présenté avec art. Simple a le sens de non maniéré et de naturel. Mais le fruit de la simplicité est toujours du côté de l'esthétique et du spirituel.
par Evelyne Frank
« Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? » disons-nous parfois avec enjouement. La boutade le laisse entendre, la simplicité ne va pas de soi. Des Esseintes est certes une caricature, lui qui, dans le roman de Huysmans A Rebours, recherche des fleurs naturelles paraissant artificielles. Mais il est vrai que les humains, peut-être pour se donner de l'importance, choisissent souvent la complication.
Pourtant la simplicité, qui est vertu, donc, selon l'étymologie de ce mot; force, est aussi bonheur, si bien que Jésus en fait l'une des béatitudes: « Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux. » (1) Nous le pressentons. Alors nous aspirons à la simplicité, et ceci tout particulièrement en notre siècle. En témoignent les lignes épurées de l'art, de l'architecture et du mobilier contemporains, ainsi que notre attirance pour l'esthétique asiatique.
C'est cette force, c'est ce bonheur que je voudrais ici approcher, consciente que, paradoxalement, tous les domaines de mon existence en seront, non pas amenuisés, mais magnifiés. Mes questions, dans ce travail, concerneront donc l'impact de la simplicité dans une vie, les confusions possibles relatives à cette valeur, ses fruits lorsqu'elle est choisie. Mon propos, qui ne saurait être exhaustif, s'achèvera par quelques réflexions. sur l'apprentissage de la simplicité.
Les domaines de la simplicité
C'est toute notre vie qui est concernée. Seule la simplicité dans la façon de vivre son physique permet une véritable présentation de soi, à la fois dans sa beauté et avec ses handicaps, tous deux - la beauté et le handicap - difficiles à porter, tous deux devenus compatibles grâce à la simplicité. Car oser sans prétention rend beau; Le« je suis» n'est possible que dans la simplicité et le «je suis» permet la beauté, qui transcende la faiblesse, ou plutôt la glorifie. Ce qui vaut pour le corps vaut ici pour l'esprit. Dans la vie intellectuelle, la simplicité fait la clarté de l'exposé d'une pensée et donc sa beauté. Elle permet aussi de reconnaître de bonne grâce ses erreurs, d'accepter qu'il y ait en tel endroit une limite dans ses possibilités et ses capacités, d'accueillir le talent de l'autre ici ou là plus doué que soi, de se réjouir de sa réussite, de faire sien ses apports. Puissions-nous pratiquer la citation dans cet esprit! Il en va de même, de façon plus intime, dans la vie affective. S'exprimer, dire un souhait, une attente, donc risquer sa vulnérabilité, se laisser aimer, permettre qu'une dissymétrie s'instaure dans la relation en sa propre faveur, c'est encore le fait de la simplicité. Dans la relation à l'autre, la simplicité a à voir avec la chasteté, c’est-à dire avec le refus, même pour le bien de l'autre, de mettre la main sur lui, de le manipuler, de le lier par quelque pression ou quelque dette, et même de voir au-delà de.. ce qui nous est présenté, jusque dans son Saint des Saints,. dans sa douleur, dans sa jubilation. En même temps, la simplicité, en cette chasteté, est regard direct, qui ose se poser sur, mais un regard direct qui ne fixe pas et connaît les limites à respecter, de la pudeur, jusque dans sa façon de regarder. Il y a donc. là un regard conforme à l'étymologie de ce mot: « égard ». La simplicité liée au respect préside dans le même esprit à l'esthétique, là pour célébrer la vie, pour saluer la relation, pour honorer le souci de soi. Dans la composition d'une œuvre, l'alphabet des couleurs, les formes d'une architecture, les lignes d'un jardin, la présentation de la table - tout ceci non seulement dans la fête mais bien au quotidien -, la simplicité se fait liturgie: elle souligne sans lourdeur l'essentiel et met sa noblesse en valeur. Or l'organisation de notre espace de vie renvoie à la cellule intérieure La simplicité concerne notre façon de nous tenir en elle devant Dieu, de nous dire à lui, avec nos peurs et nos colères et nos attentes et nos douleurs d'enfant jusque dans l'âge adulte, avec nos désillusions. C'est là, dans cet être devant Dieu en toute simplicité que se travaille le regard posé sur soi, qui conditionne le regard posé sur l'autre.
Parce qu'elle touche tous les domaines de notre existence, dans le visible et l'invisible, la simplicité sert de révélateur. Elle signale, sous-jacent, le fort, le vigoureux, le saint.
Pourquoi la simplicité?
Pourquoi la simplicité? Pour la simplicité, délicieuse! Qui chercherait à l'exercer pour autre chose, la perdrait aussitôt, la démarche étant intrinsèquement pervertie, emberlificotée dans la complication avant même l'actualisation du désir. La simplicité participe en effet du Royaume, dont il nous est dit: « Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice et toute chose vous sera donnée en plus. » Il est vrai cependant que la simplicité apporte dans l'existence un réel bien-être.
Elle est bienfaisante pour le corps. En effet, les choses ont leur saveur. « Ne passons pas à côté des choses simples.» C'est à juste titre que du milieu de l'emballement de notre société de consommation, où l'écart des richesses devient vertigineux, cette publicité, qui n'est certes pas innocente, laisse entendre que le bon n'est pas du côté de la sophistication et qu'il peut aussi être peu coûteux, s'il est préparé avec talent et présenté avec art. Ici, simple a le sens de non maniéré et de naturel. Mais simple signifie aussi non mêlé. Or l'un de mes proches ne veut pas de chocolat au café ou à l'orange, mais du chocolat. .. au chocolat, quitte à marier ce chocolat avec un café ou un fruit délicatement enrobé de cette fine carapace de chocolat craquante, pour faire jouer les goûts ensemble, leur donner de se rehausser l'un l'autre. Je crois que le palais y gagne, effectivement, dans cette obstination du simple, qui peut être raffiné! Le Christ, lui aussi, nous dit qu'une seule chose suffit, y compris à table. (2) Car le fruit de la simplicité est toujours du côté de l'esthétique et du spirituel.
La simplicité est santé mentale. J'ai un chef d'établissement bien au clair avec ce qu'il veut et ne veut pas, avec ce qu'il est et n'est pas. Quand cet homme dit quelque chose, inutile de chercher un sous-entendu dans ce qu'il dit. S'il pose une question, c'est ce qui est dans sa question qu'il veut savoir, inutile de chercher une défiance derrière elle. Comme par hasard, quand vous lui dites quelque chose, même s'il n'a pas le déroulement complet de votre propos il ne vous fait pas de procès d'intention. Résultat? Ceci lui permet sans doute de ne pas être deux, celui qu'il annonce et celui qu'il est, ce qui serait destructeur pour lui-même. Pour nous, la communication est aussi claire que possible, nous savons à quoi nous en tenir. C'est un gain de temps et d'énergie. Mais je vous assure que, surtout, ça fait du « du bien dans la tête» ! Ceci vous épargne de vous morfondre avec un cinéma intérieur idiot, dont les scénarios ont toutes les chances d'être faux, relativement à ce que cet homme pensait ou voulait ou reprochait en disant ceci ou cela. Il ne soupçonnait rien, il l'aurait dit! Qui plus est, parce que la simplicité exercée à l'égard d'autrui donne des points de repère, elle marque les limites de façon heureuse. Je pense à cette collègue qui me disait, un jour où j'avais une grosse angine, de lui dire franchement si j'avais besoin de quelque chose. Elle m'enjoignait ainsi: « Dis-moi vraiment de quoi tu as besoin. Sinon, je me fais trop de reproches. Et mon mari aussi, qui me dit "Rends toi compte, cette femme est seule! " Or je ne sais plus ce que je dois faire: je ne veux pas te harceler, je ne veux pas non plus te laisser sans aide. Dis-moi franchement où tu en es, pour que je puisse intérieurement être apaisée. » J'ai compris mieux que jamais ce jour-là qu'oser la simplicité de la demande est un bienfait pour l'entourage. Cette demande délivre sans doute également d'un enfermement dans la solitude. Enfin, si vous osez demander, si vous osez dire une difficulté, les autres se trouveront comme autorisés à dire aussi. Les tabous tombent. Délivrance!
La simplicité, C'est la vie plus facile. Notre quotidien sera transformé par la parole qui dit simplement ce qu'il en est, ou encore par l'accueil, sans façon, d'un événement favorable. J'ai beaucoup de gratitude à l'égard d'un jeune collègue qui a, récemment, accepté que je lui prenne exceptionnellement ses élèves, à l'heure de cours précédant son inspection, « sans remboursement aucun ». Je lui demandais ainsi d'accepter que la vie, pour une fois, soit plus facile; je lui demandais d'accepter de casser le système de la dette; je lui demandais qu'entre nous il y ait le mode de vie typique du Royaume. Car la bonne nouvelle du christianisme, c'est justement ceci: la disparition du poids de la dette. Le simple ouvre la liberté.
La simplicité est sécurité, à deux titres au moins. D'une part, à être simple comme l'humus, je ne peux pas tomber. Effectivement, celui qui sait qu'il est enfant des hommes n'a pas honte: il sait qu'il est vulnérable et faillible, mais que, justement, sa dignité, c'est aussi cette condition fragile. D'autre part, le simple est contact maintenu avec l'essentiel, en lequel résident la beauté et la joie imprenable. Une de mes connaissances, suite à un accident vasculaire cérébral, pendant longtemps ne pouvait plus prononcer, au grand dam de ses kinésithérapeutes, que ce mot du chapelet: « gebenedeit », « béni ». J'ose croire depuis que s'il ne me reste un jour que cela, le mot « béni »ou « amen », au fond, tout sera bien, car je serai dans l'essentiel et au fond je disposerai de tout dans ce simple vocable, que j'en aie conscience ou non. C'est ma prière pour quand je perdrai tout accès à la vie intellectuelle, si cela m'arrive.
La simplicité, cela s'apprend
Tous les franciscains, qui sont entrés dans un ordre pour cela, vous le diront, la simplicité, cela s'apprend et cela s'apprend tout au long d'une vie. Nous, à mesure que nous prenons de l'âge, nous comprenons que l'enfance, la simplicité confiante de l'enfant, ce n'est pas derrière nous mais devant nous, que c'est la haute tâche de l'adulte que d'entrer dans cette disposition d'esprit. Ici encore, les représentations de l'épiphanie sont significatives: le plus proche de l'enfant Dieu, c'est l'aîné des mages. .
Dans cet apprentissage, "des témoins peuvent nous aider l'auteur Alexandre Jollien tout particulièrement, qui parle à partir de son handicap, dans des ouvrages très stimulants comme L'Eloge de la faiblesse (3) et Le métier d'homme. (4) Il donne à comprendre que le fait de développer certaines dispositions intérieures nous aidera à entrer dans la simplicité: notamment le non mentir et l'humour de clown, donc l'humour, sans méchanceté aucune, exercé à l'égard de soi-même seulement, jamais des autres.
Je crois aussi qu'il n'y aura pas de simplicité si nous n'osons pas, paradoxalement, l'audace faramineuse de nous croire aimé, prodigieusement aimé. Nous, chrétiens, nous croyons que chaque homme, - dans les mathématiques de Dieu, parce que Dieu est Dieu, c'est possible - est au centre de la tendresse du Vivant. Donc, nous aussi, chacun de nous! Nous nous obstinons à nous recevoir de son ange, de ses anges. Nous nous risquons à croire que, dans le dénuement et même la perte et même la fin, d'une façon ou d'une autre, à découvrir, le Vivant se fera encore plus proche, qu'il fera que nous ne perdions finalement rien de ce qui nous est essentiel. C'est sur cette foi, toute aux sources de notre désir d'enfant, cette foi qui peut paraître la prétention extrême, celle de se sentir au centre du monde, que nous entrons en simplicité, comme dans un ordre.
La simplicité présuppose des non
Dans l'apprentissage de la simplicité, nous découvrons que la simplicité présuppose des non, des non pour des oui. Il s'agit de refuser un certain exercice de l'imaginaire: s'abstenir de rêver ou d'imaginer ce que l'autre veut et pense, lui en laisser la responsabilité, le prendre au" mot, ne pas « projeter », ceci pour oser faire ce qui est à faire. Par exemple, il me paraît important de dire à un supérieur le bien que l'on pense de lui, de souligner le beau qu'il met en place, de reconnaître le courage de telle décision. A son départ ou à son enterrement, c'est trop tard: il aurait pu bénéficier de ces paroles quand il était seul dans la tempête. Pour entrer dans cette liberté à l'égard d'un supérieur, il faudra ne pas se préoccuper de ce que les autres vont penser, de ce que le supérieur lui-même risque de penser de défavorable, de ce que le surmoi, en soi, va penser.
La simplicité nécessitera de quitter la préoccupation de l'image de soi, celle que les autres ont de nous, celle que nous serions tentés de cultiver à nos propres yeux. Quand nous avons choisi le simple, il n'est plus question de dire que cela va quand cela ne va pas, ce qui ne signifie pas se livrer à tout un chacun. A fortiori, il n'est plus question pour nous, alors, de chercher à impressionner; Nous ne brigons plus la relation duelle dominant/dominé. Les représentations de l'épiphanie disent ceci. Le plus vieux des mages est à genoux; il a déposé sa couronne. Or c'est le plus digne!
La simplicité reconnaît la limite: « Je ne suis pas tout, je ne peux pas tout, je ne peux plus ceci» et même: « Je suis méconnu des hommes », ce qui ne peut être enduré dans la paix, me semble-t-il, que si je sais qu'en Dieu je suis à ce moment-là toujours reconnu. Selon la formule de Marie Balmary (5), la puissance est alors libérée de la toute puissance. Un pas plus loin, il s'agira, sans renoncer à sa fierté et à sa liberté, car « ma vie, nul ne la prend, c'est moi qui la donne », d'accepter de se recevoir de quelqu'un. L'homme s'érige vraiment, pas seulement sexuellement mais aussi sexuellement, de s'être laissé ériger. Heureux celui, celle qui l'a compris. Le pardon, c'est-à-dire, étymologiquement, le don jusqu'au bout, le don plénier, est proche de lui. Un pas plus loin, nous accepterons la dépendance, c'est-à-dire qu'au lieu de la subir, nous en ferons un lieu d'humanité. J'ai 51 ans et j'en viens à me demander si la dépendance n'est pas là en fin de vie tout particulièrement parce qu'il n'est pas trop de toute une vie pour s'y préparer. Etre capable de vivre dans la dépendance, sans manipuler les autres, sans leur faire payer leur jeunesse ou leur santé, sans se haïr soi-même, sans maudire Dieu et l'existence, je me demande si ce n'est pas l'une des plus hautes vocations qui soit; je crois que c'est un couronnement, dans tous les sens que ce mot peut avoir. Toujours est-il qu'en naissant homme, Christ a été appelé à cela: vivre une extrême dépendance.
Oui, bonheur de la simplicité: la vie est autre! C'est au-delà, non en deçà des complications, mais cela désamorce le fatum, la demande permettant de changer le cours des choses. Elle devient possible quand nous nous savons enfant des hommes, humain, donc humus: pas rien, mais bonne terre, ayant besoin d'aide cependant pour pouvoir porter du fruit.
Parce que nous nous savons humain, nous pouvons être simple. Or, inversement, la simplicité nous rend humain, abordable; voici que nous ne faisons plus peur. C'est pour cette raison que la simplicité est l'habit des envoyés du Christ (6).
Nos vies sont suffisamment dures. Pourquoi en rajouter ? Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple et beau, simple et bon, simple et heureux ?
Notes
(1) Mt 5, 3. Trad. Bible de Jérusalem.
(2) Lc 10, 42.
(3) Paru au Cerf en 1999.
(4) Paru au Seuil en 2002.
(5) Marie Ba1mary : Le moine et la psychanalyste, Paris, Albin Michel, 2005,p. 188 : « La vie arrive comme la parole, là où la puissance a été délivrée de la toute-puissance. »
(6) Lc 9,3.