LE SILENCE EN LITURGIE

 

 

            Dum medium Silentium tenerent omnia, et nox in sua cursu me lum iter haberet, omnipotenssermo tuus, Domine, de caelis a regalibus sedibus venit."

"Alors qu'un silence paisible enveloppait toutes choses et que la nuit parvenait au milieu de sa course rapide, du haut des cieux la Parole toute-puissante s'élança du trône royal." (Sg 18, 14-15a) Ce passage de l'Ancien Testament a été intégré à la liturgie de l'Eglise pour l'antienne d'entrée du Hème dimanche après Noël: elle! l'a compris comme se rapportant au mystère de l'Incarnation. Au cours de la liturgie du temps de Noël, ce verset biblique est repris pour décrire en langage poétique la naissance du Sauveur.

L'entrée de Jésus en ce monde a bien été, en effet, un événement silencieux, au cours de la nuit où tout se tait, loin de tout bruit et de tout public. Son retour en ce monde, le troisième jour après sa mort, se déroulera à nouveau dans un silence profond: tôt le matin, alors qu'il faisait encore sombre... Et valde mane una sabbatorum...

Entre ces deux moments de 1 'histoire du Salut - l'Incarnation et la Résurrection de Jésus - nous trouvons très souvent le Christ plongé dans la contemplation silencieuse. Plus d'une fois les Evangiles nous le montrent se retirant dans le silence "pour prier à l'écart" (Mt 14, 23). A des moments marquant un tournant décisif dans sa mission salvatrice, tels la Transfiguration, ou l'agonie au Mont des Oliviers, Jésus nous est présenté à l'écart de la foule, abîmé dans la prière.

De même, le silence de la nuit s'annonce déjà au moment où, au milieu de ses disciples, Jésus lance les préparatifs de la dernière Cène précédant sa Passion: celle où il va leur faire le don de l'Alliance nouvelle et éternelle. Au-dessus du lieu où ils étaient tous réunis planait une atmosphère de recueillement et d'intériorité.

De même que la vie de Jésus a baigné dans un silence contemplatif, de même la liturgie chrétienne, au-delà de sa beauté et de son caractère festif, doit-elle refléter ce silence du Christ. Max Thurian, qui avait participé avec le Frère Roger Schütz aux débuts de la Communauté oecuménique de Taizé (il s'est ensuite converti au catholicisme et a été ordonné prêtre), avait évoqué ce thème peu de temps avant sa mort: "Le grand problème de la vie liturgique de nos jours, est que la célébration a perdu ce caractère de mystère qui favorise l'esprit d'adoration. Le fidèle est très souvent témoin d'un flot de paroles, d'explications, de commentaires, ou de prédications bien trop longues et mal préparées, qui ne laissent que peu de place à la contemplation des mystères célébrés."

Disons-le autrement. Beaucoup de célébrations souffrent de surpoids: elles sont surchargées de paroles. Or, la qualité de la prière ne croît pas proportionnellement à la quantité des mots! Soeren Kierkegaard y voit même tout le contraire: "Je pensais d'abord que prier, c'est parler. Puis j'ai appris que prier, c'est non seulement se taire, mais également écouter..."

 

Bien sûr, la prière communautaire est différente de la prière personnelle faite en privé. La prière communautaire se réfère à des formes bien définies. Mais il faut veiller, au cours de sa réalisation, à toujours préserver un équilibre entre la parole et le silence, entre la parole et le signe sacramentel, entre l'action extérieure et ce qui favorise l'être intérieur.

Lors du dialogue de la préface, au moment où l'action liturgique se dirige vers son sommet, le prêtre s'adresse aux fidèles par cet appel: "Sursum corda" (littéralement: hauts les cœurs), et l'assistance répond: "Habemus ad Dominum" (littéralement : nous les avons [déjà] près du Seigneur). Pour que les fidèles puissent répondre ainsi en toute sincérité, il est indispensable qu'au cours de l'offertoire qui précède, le célébrant et les autres acteurs de la liturgie - y compris l'organiste - aient su créer une atmosphère de recueillement par la dignité pacifiante de leurs gestes et de la musique qui les accompagne.

Et cela commence très en amont: déjà dans la façon dont le prêtre, les acolytes, les lecteurs, les chantres se préparent à la célébration (la sacristie elle-même est un lieu de silence); dans la qualité du silence dans l'église, et même autour d'elle, pour que les fidèles puissent avoir le sentiment d'avancer aussi sur leur chemin intérieur. Peut-être les organistes devraient-ils s'habituer à préluder plus souvent, avant le début de la messe, sur des jeux doux (sans pour autant verser dans un romantisme exacerbé): une passacaille, un choral, un prélude joués avec maîtrise sur une belle montre de 8' ou des fonds de 8' et 4' favorisent la préparation du cœur à accueillir les saints mystères (ce qui n'interdit pas, bien entendu, un jeu plus brillant pour souligner une solennité).

La ponctualité a également son importance: si le prêtre "débarque" cinq minutes avant le début de la messe dans la sacristie, que l'organiste ait encore à décider rapidement avec lui le programme des chants, que les servants attendent les dernières instructions, que les livres liturgiques doivent être vérifiés et mis à la bonne page, et que les fidèles passent le pas de la porte à la dernière minute (parce qu'ils savent que "M. le curé est de toutes façons toujours en retard"), comment veut-on se concentrer et se recueillir?

L' "Introduction générale au Missel Romain", dans sa plus récente édition, prévoit des moments où il est nécessaire d'aménager de petits espaces de silence au cours de la célébration liturgique: lors de la préparation pénitentielle (toujours obligatoire mais de plus en plus omise!) avant le Confiteor, entre l'invitation "Oremus" (Prions le Seigneur) et le chant effectif de l'oraison, entre la première Lecture et le Psaume responsorial, après 1 'homélie, pendant la préparation des offrandes, après la distribution de.la communion...

Au-delà de ces moments de silence effectif et dense, l'attitude contemplative du prêtre contribue très certainement à ce que les cœurs puissent s'élever auprès de Dieu, être auprès de Dieu. En Allemagne, la Prière eucharistique est appelée: das Hochgebet, littéralement la "prière éminente", celle qui est au-dessus de toutes les autres, celle qui constitue vraiment le sommet spirituel de la messe. Ceci s'applique aussi à sa forme extérieure: elle devrait être prononcée (chantée de préférence) sans que domine l'ego du célébrant, de façon à ce que les anges du ciel puissent y joindre leur voix, afin d'unir leur louange à celle de 1 'Eglise sur terre et porter notre offrande sur l'autel céleste (cf. prière Supplices te rogamus de la Prière eucharistique I).

Toute forme de nervosité, de routine, de singularité, d'éclat de voix ou de recherche d'un contact visuel avec les fidèles est donc à proscrire. La Prière eucharistique n'est ni une homélie ni une histoire qu'on raconte: le ton de voix doit faire ici toute la différence! Le mental doit se diriger vers les cieux ouverts car la prière s'adresse non à l'assistance mais au Père, par le Fils, dans l'Esprit Saint. L'assistance est invitée à se taire, certes, mais elle n'est pas rendue inattentive, passive ou muette: elle n'est à aucun autre moment aussi active que lorsqu'elle entre ainsi, en toute connaissance de cause, dans le mouvement profond de ce qui est célébré.

La messe se termine par ces mots: "Ite missa est" (Allez dans la paix du Christ) qui, pour la plupart des fidèles signifient qu'ils ont "le droit" de partir. Il est bon pourtant de rester encore quelques minutes dans l'église pour prier et remercier le Seigneur pour sa présence qui s'est ancrée en nous par la sainte communion, cette présence qui ne cesse pas dès que l'organiste joue sa pièce finale.

Le Cardinal Schonborn, Archevêque de Vienne (Autriche) enseignait ceci lors d'une catéchèse sur l'Eucharistie: "Combien de temps dure la présence du Seigneur dans l'Eucharistie? La foi de l'Eglise le dit clairement: aussi longtemps que subsiste le signe sacramentel, la substance du sacrement. Par conséquent, dans la pratique, tant que 1 'hostie est présente en nous, nous ne pouvons pas tout simplement passer à tout autre chose, retourner au quotidien. Voilà pourquoi un moment de silence, de prière, d'adoration après la communion prend tout son sens. Voilà pourquoi j'ai insisté pour que dans notre diocèse soit instauré un moment de silence après la communion qui permette un contact intime avec ce Seigneur reçu dans la communion. Voilà pourquoi aussi, il est si beau, lorsque c'est possible, de laisser retentir en nous la sainte messe que nous venons de suivre, plutôt que de nous précipiter dehors et reprendre au plus vite nos occupations quotidiennes."

Il y a là une invitation à reprendre toute une éducation dans nos paroisses, dans nos diocèses: le silence des monastères peut nous y aider en servant d'exemple.

 

Auteur : Abbé Georg Haider

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