L'œuil
Chassé du Paradis terrestre, Caïn le fils d'Adam se croyait hors
d'atteinte.
Le voila un soir d'hiver chez sa soeur d'Ornaja : deux livres de pruneaux que
sur l'heure il mangea.
Mais a peine eut il fini qu'au ciel livide il aperçut un oeuil grand ouvert dans
le vide.
Cet œuil effrayant semblait demander au ravisseur : "qu'a tu fais des pruneaux
de ta soeur ?"
Le pauvre senti dans ses entrailles gronder un bruit pareil à celui des
batailles.
Il s'en alla chercher un endroit a l'écart ou on ait la liberté.
Il s'arrêta enfin au milieu d'une grotte.
Il défit en tremblant ses boutons de sa culotte.
Mais l'oeuil qui le suivait cria d'un air vengeur : "Caïn ! tu garderas les
pruneaux de ta soeur.
Le voleur chargé du fardeau de son crime s'enfuit dans un chalet.
Se croyant à l'abri sous ce toit protecteur il défit sa bretelle et cria : O
bonheur ! ".
Mais le chalet s'enduit de lueur de phosphore et l'oeuil qui le suivait lui cria
: "pas encore !".
Pale ! fuyant dehors ! courant sous le ciel noir, oubliant de payer la dame du
comptoir.
Et voyant que partout au milieu de cette ombre l'oeuil le poursuivait.
Le voleur d'un air sombre fit emplette d'un vase au village voisin.
Et cachant sous son bras ce meuble clandestin entrant dans sa maison et se
croyant plus brave.
Lorsqu'il se fût caché dans le fond de sa cave, il s'assit sur le vase et
s'écria : enfin !".
Mais pendant de longs jours ce fut des efforts en vains.
Caïn se retourna furieux par derrière afin de contempler ce vase réfractaire.
Mais il pâlit d'horreur et frissonna soudain !
L'œuil ! était dans le vase et contemplait Caïn.
Père Girod