La mission selon Monseigneur Rey
Mgr Dominique Rey, évêque de Toulon-fréjus, définit la mission comme la priorité de l’Eglise aujourd’hui. Plus que jamais la voix de l’Eglise doit se faire entendre dans un monde qui a besoin de la nouvelle évangélisation.
L’Eglise à quitter une pastorale d'entretien et de desserte au profit d'une
pastorale missionnaire, qui se déploie autour de quelques polarités.
Méfiant à l'égard de toute tradition, l'homme contemporain est contraint de
décider sa vie à partir de lui-même, comme s'il devait recréer le monde dont il
a besoin pour vivre. Cette méfiance systématique s'applique à l'Eglise. « Un
grand nombre de personnes prétend pouvoir vivre sans l'Église. Elle apparaît
pour eux comme quelque chose du passé» (Benoît XVI, lettre au clergé d'Aoste).
Mais alors, vers qui se tourner pour célébrer rituellement les grands passages
de la vie (la naissance, l'amour, la mort...) ?
L'actualité de la liturgie
Comment célébrer ces étapes sans se référer à un corpus de traditions et de symbole qui dépassent l'individu ? Toute communauté humaine ne peut fonctionner sans repères rituels, sauf à se condamner à l'autisme. Grâce à un dispositif sacramentel et liturgique, le christianisme répond à ce besoin de ritualisation. La foi n'e jaillit pas de notre intériorité. L'Église rappelle à. tous que la source de l'homme n'est pas en l'homme, mais en Dieu, car la foi chrétienne n'est pas le produit de nos expériences intérieures. Elle naît d'un évènement extérieur qui vient à notre rencontre, nous visite, nous transforme profondément en vue d'un dépassement, d'une sortie de soi, d'une nouvelle naissance. Notre désir de cet évènement de salut sculpte parfois douloureusement la place espérée de Dieu et de l'autre.
Le soin apporté à la vie liturgique, à la dignité de l'espace liturgique, le
respect du temps liturgique, en particulier du dimanche comme « jour du
Seigneur »... structurent notre existence chrétienne dans sa dimension
baptismale et sacerdotale. La messe n'épuise pas cette vie liturgique. Celle-ci
se déploie dans la manière d'habiter les activités les plus profanes de notre
vie. La liturgie rapporte notre vie à Dieu en nous donnant là grâce de
l'accueillir et d'en vivre.
La liturgie rappelle à notre monde prométhéen le primat de la grâce. Je ne peux
me donner à moi-même mes raisons de vivre, si je ne les reçois de Celui qui est
la Vie.
Dans la mesure où elle est digne et recueillie, la liturgie nous guérit de
l’activisme et nous plonge dans la vraie intériorité, celle qui est habitée
par la Parole de Dieu. Elle évangélise notre piété naturelle en la rapportant à
la foi dans le Christ Seigneur.
Un enjeu pastoral majeur
On constate dans bien des lieux une anémie des communautés chrétiennes, même si les effets de mobilisation et les projets généreux ne manquent pas, même si les situations sont très contrastées d'une paroisse à l'autre. La revitalisation des communautés chrétiennes constitue l'enjeu pastoral majeur des prochaines années. Ce renouveau passe en premier lieu par la promotion de « l'ecclesiola familiale », cellule de base de l'Eglise et de la société. La famille, une Église domestique, fondée sur la grâce du sacrement de mariage, initie l'enfant à un art de vivre en chrétien. Elle constitue un écosystème fondateur du vivre ensemble, selon l'Esprit du Christ. Elle doit intégrer cette dimension ecclésiologique de la famille, ce qui requiert sans doute une requalification du contenu, de la durée et la pédagogie de cette préparation. Les familles ont besoin d'être soutenues dans l'exercice de cette responsabilité « catéchétique » et de se constituer en écoles de vie (passer du temps ensemble, partager les repas, répartir les tâches domestiques, vivre l'hospitalité...).
Beaucoup de communautés chrétiennes et de paroisses n'ont pas -la « masse
critique » suffisante pour passer du registre de la prestation de services
cultuels (souvent sous mode de self-service) à celui de l'appartenance à une
communauté missionnaire. On ne résoudra pas la question pastorale de la
revitalisation des paroisses ; d'abord par une réforme de type administratif
organisationnel! On déplace alors le problème sans le résoudre ! La
constitution de communautés missionnaires appelle des conversions
spirituelles et pastorales considérables. La formation pastorale (séminaires,
instituts de formation catéchétique...) des prêtres et des fidèles est
directement concernée par ces perspectives. Pour se déployer en plénitude, la
vie chrétienne a besoin d'un « bain » de vie ecclésiale alors que tout porte à
vivre un rapport individualisé au Christ. Le christianisme est épiphanique, il
manifeste. Kérygmatique, il proclame. Levain dans la pâte, le chrétien est
appelé à « rendre compte de l'espérance qui est en lui ». La pastorale « du
retrait et de l'effacement » a longtemps gauchi le souci de l'inscription de
l'évangélisation dans l'épaisseur des réalités humaines et culturelles. Elle a
montré ses limites. On en est arrivé peu à peu à bâillonner la voix prophétique
de l'Église, à autocensurer sa parole, contribuant parfois à la faire
disparaître.
L’annonce de la foi
Le nouveau paradigme socioculturel dans lequel l'Église se trouve placée, invite les chrétiens à se réapproprier la dimension kérygmatique de la foi. À un monde sans culture religieuse, replié sur Î'individu ou sur des relations intrafamiliales « courtes et chaudes » (cocooning), l'annonce directe de la foi prend toute son actualité. Les modalités et les médiations de cette annonce sont diversifiées. Elles ne doivent pas s'apparenter à quelque forme de prosélytisme, de récupération, de manipulation. Il ne s'agit pas de violer la liberté d'autrui, mais de s'adresser à elle dans ses ressorts les plus secrets. Cette première annonce travaille à éveiller le désir, à suscite un intérêt... Cette proclamation sans arrogance passe par le témoignage de notre propre foi, non qu'elle soit toujours exemplaire, mais parce que, par elle, Dieu nous a fait un don que nous ne pouvons pas garder pour soi. En évangélisant, le Seigneur nous évangélise en retour.
La Révélation que Dieu fait de lui-même est l'évènement central de l'expérience
chrétienne. La catéchèse, dans tous ses aspects, prolonge et actualise ce
dynamisme de communication de la foi. Dans notre société complexe, rapide et
pluraliste, s'exprime une véritable quête d'identité et d'enracinement. « On ne
naît pas chrétien, on le devient », disaient les Pères de l'Eglise. Cet adage
souligne la nécessité pour chacun aujourd'hui de construire un édifice
chrétien solide par une éducation permanente et intégrale de la foi. La
catéchèse s'adresse à la personne globale, à la fois au cœur et à
l'intelligence, à la volonté et à la mémoire. Il s'agit de mûrir et
d’approfondir sa foi tout au long de sa vie. La famille et la communauté
chrétienne sont les milieux porteurs de ce cheminement de foi, tant sur le plan
spirituel qu'au niveau intellectuel. La catéchèse s’adresse non seulement les
enfants mais aussi les adultes. La catéchèse comprend une fonction centrale
d'enseignement, même si la transmission de la foi ne se résume pas à
l'acquisition d'un savoir. Elle s’adresse à l’intelligence. Elle a une
dimension didactique. Elle promeut un contenu objectif de la foi de l'Eglise.
La démarche catéchétique doit pouvoir conduire chacun à rendre compte de sa
foi, au terme d'un processus d'appropriation personnelle et des conversions de
vie qu'appelle l'accueil du Christ.
A côté des instituts traditionnels apostoliques et contemplatifs de vie
religieuse, fleurissent aujourd'hui de nouvelles formes de vie consacrée,
notamment dans le cadre des communautés nouvelles et des nouveaux mouvements
ecclésiaux. De forme et d'expression très variée cette floraison est un signe
prophétique et décalé de vie chrétienne par rapport au style de vie de nos
contemporains. La sollicitude des pasteurs s'avère indispensable pour soutenir
à la fois leur insertion dans le tissu ecclésial, réguler leur fonctionnement
interne et leur engagement missionnaire.
L’identité chrétienne
Comment être dans te monde sans être du monde (Jn 17). Tel est l'enjeu du positionnement de l'Eglise. S'agit-il de s'organiser en camp retranché, en essayant de bégayer le passé? Ou bien dénoncer une foi consensuelle et acceptable par tous, jusqu'à épouser l'évolution des mœurs, jusqu'à l'auto sécularisation. de l'Eglise ? Dans sa dimension prophétique, l'Évangile a toujours été un cri de révolte contre toutes les modes et les formes d'idolâtrie, de manipulation et de récupération. L'Eglise réclame des hommes libres.
Accepter d'aller à
contre-courant, consentir et assumer le décalage entre le monde et le message
évangélique, ce n'est pas se replier dans le mythe d'une contre-culture,
s'enfermer dans la dialectique de la négation de notre monde. C'est réfuter
les tentations de la « pureté» (Cathares), de l'isolement (ghetto), de la
distanciation (jansénisme), du rejet (fondamentalisme), de la « séparation »
élitiste (pharisianisme). Toutes ces dérives s'inscrivent en faux contre le
mystère de l'Incarnation. Elles ne comprennent pas le génie du christianisme.
Elles s'enferment dans un « huis clos ». Il s'agit au contraire de l'intérieur
de notre culture, en s'appuyant sur ses richesses et toutes ses potentialités,
d'habiter cette culture selon des formes et des modes qui signifient l'identité
chrétienne, sa contestation, parfois sa dissidence, et qui constituent autant
de signes et de rédemption pour notre monde et sa nouvelle évangélisation.
Article paru dans la revue "l'Homme Nouveau" en 2005