LETTRE D'UN EVEQUE
à ses prêtres et futurs prêtres
Nous donnons ci-dessous l'excellente exhortation que Mgr Pascal N'Kouf!2, Evêque de Natitingou (Bénin) a fait paraître dans le Bulletin de son diocèse et qu'il a eu l'amabilité de nous envoyer (à l’association Pro Liturgia). A l'occasion de l'Année Sacerdotale, Mgr N'Koué écrit à ses prêtres et futurs prêtres pour leur donner un enseignement d'une grande profondeur et d'une clarté exemplaire :
"Chers amis,
L'année sacerdotale m'inspire de vous écrire. Remercions ensemble le Seigneur qui vous appelle. Votre vocation est un privilège incomparable. Vous devenez de plus en plus nombreux dans le diocèse. Je vous souhaite une bonne montée vers l'autel de Dieu; elle sera consommée le jour de votre ordination presbytérale, jour unique dans l'histoire de votre vie. Je vous y encourage de tout cœur. Avancez contre vents et marées. Avancez avec joie et confiance. Plus que de policiers, de gendarmes et de militaires, sachez que le monde a besoin de bons prêtres, de saints prêtres. Prêtres de demain, vous serez comme des capitaines dans l'armée de Jésus-Christ. Le séminaire est votre camp d'entraînement. Si vous-mêmes vous êtes des déserteurs, ce sera la confusion. Dès maintenant, prenez conscience de l'importance et de la dignité de l'identité sacerdotale. Mais ne soyez pas naïfs. Cette vie est difficile. J'ai dit "difficile" mais non triste. Elle réclame des caractères doux et humbles, forts et énergiques, semblables au Coeur du Bon Pasteur, forgé sur l'enclume de la croix, signe éloquent du don de soi pour le salut du monde.
"Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire?". Question fondamentale. Le Christ boit la coupe avant nous et avec nous. C'est la coupe du renoncement total de soi et du sacrifice par amour désintéressé. Il nous devance dans nos missions austères. Il nous soutient et nous réconforte quand Satan veut nous entraîner au mal.
Vous savez donc déjà à peu près ce qui vous attend. Avancez librement et de façon responsable.
Collaborez à votre formation. C'est fondamental, indispensable et irremplaçable. "Toute formation, même sacerdotale, est finalement une autoformation ... C'est pourquoi l'action des différents éducateurs n'est vraiment et pleinement efficace que si le futur prêtre y collabore de façon personnelle, convaincue et de bon coeur" (Pastores Dabo Vobis n° 69).
On insiste beaucoup sur la formation intellectuelle. Et je suis d'accord. Mais il y en a qui, par nature, sont faibles intellectuellement. Que faire? "Quod natura non dat, Salmantica non praestat" disaient les Latins. Si la nature ne vous a pas donné l'intelligence, même la fameuse université de Salamanque ne peut rien pour vous. Pour le sacerdoce, ce n'est pas grave si vous n'êtes pas très doué, pourvu que cette carence soit comblée par des vertus comme l'humilité, la charité, l'effort à se cultiver. Les orgueilleux, les suffisants et les surdoués arrogants ne sont pas les plus utiles à la société, encore moins à l'Eglise.
Toutefois, je vous interdis de vous contenter d'une formation au rabais. La paresse, je vous le rappelle, est un péché capital. Contrairement à la faiblesse intellectuelle, le manque de jugement est, sans conteste chez un séminariste, quelque chose de très grave. Il est souvent dû aux étroitesses d'esprit, aux braquages. Le braqué est un individu buté, borné, bloqué qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Il a des idées arrêtées et s'y cramponne surtout quand elles sont bizarres. Celui-là n'a ni le bon sens, ni le sens commun des choses. Du coup, il est incapable de raisonner juste et droit.
Par ailleurs, un séminariste peut être intelligent mais pas humble du tout. Ce n'est pas mieux. Il devient aussi redoutable que celui qui manque de jugement. Il ne reconnaît jamais ou très superficiellement ses limites et ses erreurs. Il n'accepte ni les remarques ni les observations qu'on lui fait. Ce sont les autres qui ont toujours tort. Le pire c'est qu'il a réponse à tout, alors que l'Eglise, pourtant experte en humanité, n'a pas réponse à tout. Mais les réponses faciles qu'il trouve sont toujours celles qui l'arrangent. Il pourra tout au plus faire semblant d'accepter un conseil, mais il n'en tiendra pas compte. Ce séminariste est trois fois dangereux. Plus tard avec l'aide du Malin, il n'obéira à personne. Car la sainteté n'est pas son chemin. Comprenez l'Eglise si elle ne l'ordonne pas. Il n'y a rien de pire pour un Evêque d'ordonner quelqu'un et de dire après : "Si j'avais su ... ". Entrez dans la logique de l'Eglise et laissez-vous modeler par le "moule" dont elle se sert dans votre maison de formation.
Apprenez aussi à penser juste et à avoir le sens de l'objectivité. Ne négligez pas la philosophie (amour de la sagesse divine). Exercez-vous à la métaphysique. Intéressez-vous aux bons systèmes de pensée antiques (S. Thomas d'Aquin) et actuels. L'amour de notre culture africaine n'est pas facultatif. Pour entretenir votre jardin intérieur, ayez de la passion pour la lecture des bons livres. J'indique, entre autres, "L'Imitation de Jésus" et la vie des Saints.
Mais par-dessus tout, vous chercherez à avoir les mêmes dispositions qui furent celles du Christ Jésus, le seul vrai Prêtre. Il priait beaucoup et il était plein de compassion pour les pécheurs, les malades, les faibles et les petits. Si cette disposition vous manque, le discernement sur votre vocation est déjà réglé. En termes clairs, si vous n'avez pas de la passion pour le Christ, et si vous n'avez pas de la compassion pour les pauvres, vous allez traîner votre sacerdoce comme un boulet, comme une obligation pénible. Et vous ferez la honte de votre famille et de l'Eglise.
Le temps du Séminaire est un temps de structuration globale du candidat au sacerdoce. Vous n'avez pas le droit de prendre ce temps de formation à la légère. Le temps perdu ne se rattrape pas. Gérez-le comme il faut. Il vaut plus que l'or et l'argent. Aucune matière ne doit être considérée comme de peu d'importance, surtout pas la Bible et la liturgie.
Donnez le meilleur de vous-mêmes. Et vous ne le regretterez jamais.
Aimez rencontrer votre directeur spirituel, au moins une fois toutes les deux semaines. Devant lui, soyez comme un livre ouvert. Soyez vrais et transparents. Facilitez-lui la tâche de l'accompagnement. Confessez-vous régulièrement, de préférence auprès de lui.
Et quand vous êtes en vacances, évitez de vous comporter en adolescents immatures ou en hypocrites certifiés. Soyez cohérents. Nous sommes dans un diocèse rural, n'ayez pas honte de travailler la terre avec vos mains. Donnez plutôt envie aux autres jeunes de vous suivre au Séminaire, de vous imiter dans votre vocation. Evitez les mauvaises compagnies masculines et surtout féminines. Les relations avec la gent féminine doivent être imprégnées de pureté. "Il vaut mieux se marier que de brûler" de désir (S. Paul). La règle d'or en ce domaine est la prudence, la retenue et la prière.
Le Saint Curé d'Ars nous est proposé comme modèle en cette année. Le Pape Jean-Paul II s'est laissé séduire très tôt par la figure et la spiritualité de ce prêtre: "Dès l'époque où je me préparais au sacerdoce à Cracovie, je lisais la vie du Curé d'Ars. Et l'exemple de ce Curé me fortifiait dans mon désir de me consacrer totalement au salut des âmes". Chers amis, procurez-vous une bonne biographie de ce Curé. Rêvez de devenir d'autres curés d'Ars. Ayez de grandes et saines ambitions dans le service du Seigneur. Je ne vous demande pas d'imiter à la lettre ce Saint. D'ailleurs les Saints sont souvent plus admirables qu'imitables. Son extraordinaire ascèse, ses démêlés avec le diable, ses longues heures passées au confessionnal, ses eucharisties célébrées dignement et avec dévotion mais aussi ses prédications simples et profondes, sans oublier ses visites dans les familles et son attention envers les orphelins et les pauvres, ont fait de lui la figure achevée du prêtre heureux. Les âmes à sauver était sa grande préoccupation. Soyez donc déjà animés d'une véritable audace à répandre la bonne odeur de Jésus-Christ Sauveur.
Oui chers amis, n'avancez pas vers l'autel de Dieu avec des illusions. N'éliminez surtout pas la croix de vos vies. Vous aurez plutôt pour ennemis jurés les plaisirs charnels et mondains, l'alcool, la soif des commodités, l'amour effréné de l'argent. Le prêtre doit vivre pauvre, chaste et obéissant. Il est avant tout le représentant du Christ-Serviteur, médiateur entre Dieu et les hommes. Il existe pour montrer le chemin du Ciel.
Un pèlerin revenant d'Ars et après avoir rencontré l'Abbé Jean-Marie Vianney s'exprima ainsi :
"A Ars j'ai vu Dieu dans un homme". Voilà une belle définition du prêtre. S. Paul dira de lui-même :
"Ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi".
Cultivez aussi l'esprit de disponibilité. "Un prêtre diocésain est comme de l'huile en bouteille". Il doit pouvoir être capable de servir dans différentes sauces. Vicaire de paroisse ou Curé sont d'ordinaire nos principales tâches. Mais sur elles, peuvent se greffer d'autres responsabilités comme celles de professeur dans un Séminaire, directeur d'une revue, d'une école, aumônier d'un mouvement catholique, responsable d'un centre catéchétique ou même d'une ferme agricole etc., Comme vous le voyez, vous êtes invités à êtres des spécialistes de mille domaines. Mais vos six ans d'études au Grand Séminaire, avouons-le, ne vous le permettent pas. Alors écoutez ce grand conseil :
Soyez surtout des spécialistes de Dieu. Oui rayonnez de l'Evangile de Jésus-Christ, non pas au niveau cérébral mais existentiel. Soyez des amis joyeux du Christ et ses témoins convaincus et convaincants. Habituez-vous à être fidèles au devoir d'état bien accompli. Qu'en vous voyant vivre, on puisse déjà dire: "Ces Séminaristes sont des hommes de Dieu, ils seront des prêtres comme il le faut". Evitez le papillonnage, la superficialité et l'agitation stérile, et revenez chaque fois à l'essentiel: la vie intérieure avec le Seigneur, le silence, la méditation, l'oraison, la contemplation, l'Eucharistie: source et sommet de toute grâce. Dès les premiers jours de son arrivée àArs, Jean-Marie Vianney impressionnait ses fidèles par sa piété. Voici l'extrait d'une lettre qu'une demoiselle d'Ars a écrite à un séminariste: "Le prêtre qu'on nous a envoyé se nomme Jean-Marie Vianney ... Je n'ai pas connu de prêtre aussi pieux que lui; il est continuellement à l'église, offrant à Dieu l'encens de ses prières. A l'autel, c'est un ange, un séraphin; en chaire (en prédication) ce n'est pas, il est vrai, un orateur [ ... ] mais c'est un homme pénétré de l'amour de Dieu ... Priez Dieu pour qu'il le soutienne et nous le conserve longtemps". Quel beau témoignage! C'est le genre d'appréciation que je désire pour vous quand vous serez prêtres. Evidemment, si vous êtes, en plus de tout cela, un bon prédicateur, nous remercierons davantage le Père des cieux.
Cherchez donc, chers séminaristes, à vivre dans l'intimité avec Jésus et dans la communion permanente avec l'Esprit Saint et l'Eglise.
Je termine en vous exhortant à être des séminaristes mariais. Avec la discrète mais puissante Mère de Dieu vous ne risquez rien. Consacrez-lui toutes vos années de Séminaire. Prenez-la comme votre mère. Imitez sa disponibilité et sa fidélité à la volonté de Dieu. Personne mieux qu'elle ne pourra vous aider à ressembler au Coeur de son Fils, le Souverain Prêtre. Vous chantez tous les soirs le "Salve Regina". Récitez aussi le "Sub tuum" pour qu'elle vous protège. Alors et alors seulement vous serez des prêtres plein tarif, des prêtres 100%, des prêtres missionnaires selon le Coeur de Dieu pour votre diocèse et pour le monde entier.