Le devoir d’obéissance dans l’Eglise : le rôle de l’évêque

 

 

"L'obéissance dans l'Eglise est certainement fondamentale, mais cette obéissance doit être éclairée: c'est une obéissance filiale, une obéissance de la foi. L'obéissance [des fidèles] aux évêques, au Pape, au concile ne doit pas être passive mais véritablement illuminée par la foi, et le premier devoir de toute la hiérarchie est de la leur communiquer et de l'entretenir.

 

Lorsqu'il y a des défaillances individuelles ou même collectives de la part de ceux qui dans l'Eglise sont responsables avant tout de la foi, ce n'est pas du tout une infidélité de la part des fidèles mais au contraire une marque de fidélité de critiquer et de ne pas accepter ce qu'enseigne tel prêtre ou même tel évêque ou un groupe d'évêques, lorsqu'il est clair que cela est en contradiction avec ce que le Pape, les conciles, et toute la tradition des évêques jusqu'à nous ont enseigné.

 

L'obéissance des fidèles doit donc toujours être une obéissance éclairée et une obéissance (...) qui s'adresse, à travers les hommes, au Christ seul.

 

Et lorsque des hommes qui représentent le Christ se mettent visiblement en conflit avec Lui, avec toute la tradition de l'Eglise et avec ceux qui en sont les représentants les plus assurés aujourd'hui même, il n'y a pas à hésiter à leur résister, à leur résister respectueusement d'abord, et s'ils ne comprennent pas ou n'acceptent pas ces critiques, à leur résister fermement et en face.

 

(...) Il n'y a rien en effet qui ne soit plus important aujourd'hui pour une résurrection de la véritable tradition, de la véritable Eglise catholique, qu'un renouveau du sens de l'épiscopat. Alors que le concile avait marqué dans ses décisions et dans la manière même dont il s'était déroulé la nécessité de redonner à l'épiscopat un rôle actif qu'il avait en grande partie perdu depuis Vatican 1, on s'est trouvé, après le concile, en présence d'évêques qui n'avaient pas été formés pour jouer ce rôle: c'est le grand drame du concile du Vatican et de ses suites. Un évêque africain particulièrement brillant me disait malicieusement que ce qui s'est passé dans l'Eglise et peut-être particulièrement en France, après le concile, c'est un peu ce qui s'est passé dans les armées africaines : des gens qui avaient été formés pour être sergents chefs en fin de carrière sont devenus du jour au lendemain généraux. Il est évidemment impossible dans ces conditions que les choses marchent bien. Il faut le dire franchement :

 

Rome, depuis la fin du XIX ème siècle, avait la hantise de la renaissance possible du gallicanisme et pour acclimater l'infaillibilité pontificale, la primauté pontificale dans toutes ses applications maintenant connues, elle avait cru nécessaire de faire des épiscopats plus ou moins de simples organes de transmission des ordres qu'elle donnait. Rome, donc, avait choisi des évêques avec cette préoccupation. Il est résulté de cet état de choses que les évêques qui avaient été habitués à obéir passivement aux consignes romaines se sont révélés incapables de prendre en main les choses et de gouverner. Ils ont obéi tout aussi facilement qu'ils obéissaient à Rome au dernier article publié par un journaliste influent, ou tout simplement ils se sont soumis avec une passivité plus étrange encore à des groupes de pression hâtivement transformés en comités de consultation, mais qui en fait imposent leurs vues. Ainsi, l'Eglise, et spécialement peut-être en France, alors, n'est pas du tout gouvernée par les évêques mais par des hommes qu'ils ont mis comme experts, souvent fort peu compétents mais qui ont fait beaucoup de bruit et se sont beaucoup agités. Nous sommes donc en présence d'une espèce d'oligarchie démagogique aussi antidémocratique que possible, mais qui au nom de la démocratie - ce qui d'ailleurs ne veut pas dire grand-chose dans l'Eglise qui n'est ni monarchique, ni aristocratique, ni démocratique mais autre chose - _prétend procéder à une réforme de l'Eglise qui n'est en fait qu'une liquidation.

 

Quand on parle de cela avec des évêques pris individuellement, ils vous disent qu'ils sont d'accord avec vous, qu'ils sont désolés mais qu'ils ne voient pas ce qu'ils pourraient faire, alors qu'il faudrait simplement qu'ils aient conscience de leur rôle et qu'ils essaient de le remplir. Ils parlent constamment de pastorale, mais manifestement ce n'est là qu'un mot pour désigner ce qui les occupait jusqu'au concile et qui les occupe toujours mais dans des circonstances très changées, à savoir une administration pure et simple. Autrefois, ils réglaient ou croyaient régler localement les détails de cette administration d'une manière quasi dictatoriale, tout en étant humblement soumis à n'importe quelle directive romaine. Aujourd'hui ils ne font que contresigner les orientations prises par les groupes de pression dont je viens de parler.

 

( ... ) Je pense qu'on ne pourra sortir de la situation actuelle que lorsque les évêques redécouvriront leur vrai rôle: être avant tout des pasteurs et des témoins autorisés, les témoins ayant autorité, de la vérité, de l'annonce du mystère du Christ dans toute sa plénitude, annonce qui est absolument inséparable de la célébration liturgique, de l'assemblée de prière et de foi vivante, actualisée dans les sacrements, en quoi consiste avant tout l'Eglise. Si l'évêque était cela, si l'évêque concevait ses tâches d'autorité en étroite dépendance de cette tâche fondamentale d'être vraiment le prêtre de l'assemblée des fidèles, le prêtre qui fait vivre par la vie sacramentelle, par la célébration eucharistique, cette réalité du mystère qu'il est chargé d'annoncer, alors tout se remettrait en ordre. Quand on ose dire cela aux évêques, on a l'impression qu'ils se sentent insultés. Ils préfèrent être des bureaucrates mitrés et rien d'autre.

 

Il n' y a pas très longtemps un très haut personnage du Vatican me montrait une énorme pile de dossiers qu'il avait sur son bureau. Ce sont, me disait-il, des dossiers d'évêques qui demandent qu'on leur donne un auxiliaire pour présider aux cérémonies liturgiques, pour donner les confirmations, pour faire les visites pastorales des paroisses ... etc. afin qu'eux-mêmes puissent se consacrer davantage à l'administration et au travail des commissions épiscopales. C'est un non-sens complet, ajoutait ce très haut prélat: ce sont les évêques qui devraient faire le travail pour lequel ils demandent un auxiliaire, et ce sont les vicaires généraux, qui n'ont pas besoin d'être évêques, qui devraient faire le travail administratif. On ne peut pas stigmatiser plus exactement ~t plus précisément la situation présente."

 

Par le père Louis Bouyer dans son livre intitulé le métier de théologien en 1979 pages 141-142 et trouvé dans la revue Pro Liturgia.