Devant et derrière

 

 

Père Volle, nous sommes parfois bien embarrassés pour témoigner de no­tre foi sans paraître passéistes, car c'est vrai qu'on nous le jette à la face telle une fin de non-recevoir : « Vo­tre Jésus-Christ, mais c'est vieux de 2000 ans, qu'est-ce que vous voulez que ça nous dise? Les hommes ont beau­coup changé depuis lors et c'est à une vitesse accélérée que se modifient les rapports entre eux ».

 

Alors, trouvez-nous d'autres modèles, s'il vous plaît ! » Que répondre ?

 

Père Volle : Mais d'abord reconnaître le fait, pour sûr! L'objection d'ailleurs pourrait s'alimenter non seulement des mille constats présents mais de ceux bien plus nombreux que nous apporteront les siècles à venir. Nous nous imaginons aisément être la fine fleur du genre hu­main, mais cela fera rire nos succes­seurs, chaque époque s'amusant de l'in­culture précédente ou de ses fantaisies jugées grotesques. Quand les voyages de noces se feront dans la lune, nos tourtereaux se gausseront pas mal de la ca­lèche qui attendait les arrière-grands-pa­rents à la sortie de l'église. Et de la robe de la mariée ! Voyez déjà vous-mêmes en regardant vos photos de jeunesse ! 

 

Certes, mais vous laissez de côté no­tre question de départ, puisque vous abondez dans le sens de l'objection !

 

 Père Volle : D'objection, il n'yen a pas. N'importe qui peut tout à la fois 1 admettre les variations de culture, voire de nature dans le superficiel de l'hu­1 main, et maintenir un « invariant» qui nous définit. 

 

Mais pour en venir à Jésus-Christ...

 

Père Volle : Oui, j'y viendrai, n'ayez crainte ! Aussi longtemps qu'on parlera des hommes ce sera pour les figurer composés de corps et d'âme. Qu'ils s'habillent d'une façon ou d'une autre, voire qu'ils préfèrent aller tout nus, qu'ils s'alimentent à partir de végétaux ou de viandes, ou bien de comprimés pharmaceutiques, qu'ils marchent sur leurs jambes ou se déplacent auto-éjec­tés, qu'ils défient d'une manière ou de l'autre les lois de la pesanteur, qu'ils sur­passent à la nage les poissons les plus rapides, ou volent aussi aisément qu'oiseaux ou papillons ...

 

Vous n'allez pas assez loin dans vos constats. S'il ne s'agissait que de détails, chapeau ou cravate, pas de gros problème en effet, mais on se trouve parfois devant des façons de parler sinon de penser déconcertan­tes! Avec des mises en cause, qui, du principe d'identité ».  C'est tout pareil, tout se vaut, etc »), qui, du principe de contradiction (« le oui et le non s'imbriquent »). A croire que nous n'appartenons pas à la même espèce d'hommes !

 

Père Volle : C'est d'accord. Je sais que le relativisme auquel vous faites allusion, doctrinal ou moral, se répand à grande allure! On fait ce qu'on veut si on peut penser ce qu'on veut! Cependant n'exagérons rien. Il ne faut pas mettre sur le même pied les propos de philosophes en chambre, ou en mal de noto­riété, avec la pratique qu'impose tôt ou tard la réalité, disons la «dureté» des choses. Quelquefois même nous avons à nous instruire par des oppositions de point de vue qui n'affectent pas vrai­ment« l'invariant humain» évoqué plus haut. Un ami cambodgien me le montrait récemment : « Devant une sphère l'occidental dit: 'c'est convexe.' Parce qu'il la regarde du dehors. Alors que l'oriental qui la regarde à partir du de­dans dit : 'C'est concave.' Ce sont là des différences d'approche qui engen­drent des difficultés de rapports, mais ne prétendent pas pour autant tout ni­veler. 

Vous savez bien, de plus, que le bon sens ne perd jamais ses droits et surtout que le naturel finit toujours par s'imposer. Ce qui est violent ne dure pas éternelle­ment puisqu'il faudrait constamment y mettre la pression. Les petits Chinois, sont communistes, s'ils sont éduqués « à la Mao ». Mais ils ne naissent pas 'l' tels. Ils naissent aussi vierges que de bons petits Français, ce qui permet toutes les espérances de rattrapage ! C'est comme les cheveux teints : ça repousse « nature », par la racine !

 

Oui, d'accord, vous avez beau jeu d'imaginer des variations de ce type, nous sommes habitués à plus de fantaisie que cela, mais, à nouveau, quel peut bien être dans toutes ces pers­pectives le poids de Jésus-Christ, si étranger à nos modernes ?

Père Volle : Si vous admettez, ou plu­tôt si vous faites admettre à vos interlo­cuteurs, un « invariant » humain, Jé­sus-Christ sera d'autant plus à leur ni­veau qu'il l'a établi pour son compte à sa portée la plus accessible ; comme qui dirait, selon une autre image, dans Expliquez vous !

 

Père Volle : En prenant place parmi les hommes, devenu l'un d'entre eux par son Incarnation, Dieu ne pouvait pas ne pas se figer dans une culture détermi­née, celle du pays et du temps qui le recevraient. Avec les petites variations, bien sûr, qui sont celles de toute vie dans son déploiement. Ce fut la culture juive, de ce calendrier qui nous porte encore, mais ç'aurait pu, en absolu, en être tout aussi bien une autre. « Figé» quant à sa manière de s'habiller, de manger, de par­ler, de se déplacer, etc. Il ne serait ef­fectivement qu'un lointain modèle s'il ne transcendait tous les temps et toutes les cultures du fait de sa Seigneurie di­vine. Pas maître de sagesse seulement et pour une époque, mais référence ra­dicale pour l'essentiel dans la vie de tout homme.

 

Vous allez trop vite, Père Volle ! Nos interlocuteurs vous suivraient en­core moins que nous !

 

Père Volle : C'est que j'ai hâte de vous dire qu'il faut dépasser, dès qu'on aborde ce thème, l'ordre des techniques, du savoir, de toutes les interventions pos­sibles et imaginables, pour en arriver à l'essentiel, d'une part cet« invariable» humain dont nous avons parlé; d'autre part la fonction seigneuriale de Jésus, juge universel des vivants et des morts.

Avec un renvoi à l'Evangile pour ce qui est du mode de vie. A côté de cela tout n'est qu'amusette !

 

Vous en restez à l'homme corps et âme, appelé à rendre compte de ses actes. C'est compris. Mais pourquoi avez-vous parlé pour Jésus-Christ d'une « réduction à l'essentiel » ?

 

Père Volle : Parce qu'il s'est situé dans l'échelle humaine à un niveau très com­mun, celui de la précarité dans le man­ger et le boire, celui d'un travail manuel universellement accessible (menuisier­-charpentier), celui du chaud et du froid comme l'ont toujours supporté et le supporteront toujours les petites gens. Ce n'est pas qu'il n'y ait de la grandeur dans cet état de fait, mais d'une gran­deur à portée de regard, de main, de pied, de bourse ... C'est magnifique !

En somme pour vous, Père Volle, Jé­sus-Christ sera toujours d'actualité parce qu'il est aussi bien devant que derrière dans le cheminement des populations.

Père Volle : Vous avez bien dit, et figu­rez-vous que vous le faites en utilisant me formule employée de tout temps Jour définir l'Eglise elle-même. Elle est « bi-oculata », ce qui signifie « douée d'une double vue », regardant à la fois devant et derrière.

 
Auteur : Père Francis volle et paru dans la revue des C.P.C.R au mois de septembre 2008.