C'est embêtant dit Dieu
C'est embêtant, dit Dieu. Quand il n'y aura plus ces Français,
Il y a des choses que je fais, il n'y aura plus personne pour les comprendre.
Peuple, les peuples de la terre te disent léger
Parce que tu es un peuple prompt.
Les peuples pharisiens te disent léger
Parce que tu es un peuple vite.
Tu es arrivé avant que les autres soient partis.
Mais moi je t'ai pesé, dit Dieu, et je ne t'ai point trouvé léger.
O peuple inventeur de la cathédrale, je ne t'ai point trouvé léger en foi.
O peuple inventeur de la croisade, je ne t'ai point trouvé léger en charité.
Quant à l'espérance, il ne vaut mieux pas en parler, il n'y en a que pour eux.
Tels sont nos Français, dit Dieu. Ils ne sont pas sans défauts. Il s'en faut. Ils ont même beaucoup de défauts.
Ils ont plus de défauts que les autres.
Mais avec tous leurs défauts je les aime encore mieux que tous les autres avec censément moins de défauts.
Je les aime comme ils sont. Il n'y a que moi, dit Dieu, qui suis sans défauts. Mon Fils et moi. Un Dieu avait un Fils.
Et comme créatures il n'y en a que trois qui aient été sans défauts.
Sans compter les anges.
Et c'est Adam et Eve avant le péché.
Et c'est la Vierge temporellement et éternellement.
Dans sa double éternité.
Et deux femmes seulement ont été pures étant charnelles.
Et ont été charnelles étant pures.
Et c'est Eve et Marie.
Eve jusqu'au péché.
Marie éternellement.
Nos Français sont comme tout le monde, dit Dieu. Peu de saints, beaucoup de pécheurs.
Un saint, trois pécheurs. Et trente pécheurs. Et trois cent pécheurs. Et plus.
Moi j'aime mieux un saint qui a des défauts qu'un pécheur qui n'en a pas. Non, je veux dire :
J'aime mieux un saint qui a des défauts qu'un neutre qui n'en a pas.
Je suis ainsi. Un homme avait deux fils.
Or ces Français, comme ils sont, ce sont mes meilleurs serviteurs.
Ils ont été, ils seront toujours mes meilleurs soldats dans la croisade.
Or il y aura toujours la croisade.
Enfin ils me plaisent. C'est tout dire. Ils ont du bon et du mauvais.
Ils ont du pour et du contre. Je connais l'homme.
Je sais trop ce qu'il faut demander à l'homme.
Et surtout ce qu'il ne faut pas lui.
Charles Péguy
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