SEPTIÈME PÉRIODE
NOUVEAU PRIORAT DE MÈRE
MARIE DE GONZAGUE
(21 mars 1896 - 30 septembre 1897)
LT 186 A Léonie.
11 avril 1896
J.M.J.T.
Ma chère Léonie,
Ta toute petite Soeur ne peut s'empêcher de venir aussi te dire combien elle t'aime et pense à toi, surtout en ce jour de ta fête. Je n'ai rien à t'offrir, pas même une image, mais je me trompe, je t'offrirai demain la divine Réalité, Jésus-Hostie, ton Epoux et le mien... Chère petite Soeur, qu'il nous est doux de pouvoir toutes les cinq nommer Jésus « Notre Bien-Aimé » mais que sera-ce lorsque nous le verrons au Ciel et que partout, nous le suivrons, chantant le même cantique, qu'il n'est permis qu'aux vierges de redire
[v°] Alors nous comprendrons le prix de la souffrance et de l'épreuve, comme Jésus, nous redirons : « Il était véritablement nécessaire que la souffrance nous éprouvât et nous fit parvenir à la gloire. »
Ma petite Soeur chérie, je ne puis te dire tout ce que mon coeur renferme de pensées profondes qui se rapportent à toi ; la seule chose que je veux te répéter est celle-ci : « Je t'aime mille fois plus tendrement que ne s'aiment des soeurs ordinaires, puisque je puis t'aimer avec le Coeur de notre Céleste Epoux. »
C'est en Lui que nous vivons de la même vie et que pour l'éternité je resterai
Ta toute petite soeur
Thérèse de l'Enfant Jésus
rel.carm.ind.
LT 187 A soeur Marie de la Trinité.
30 avril 1896
Ma petite Soeur chérie,
Je voudrais avoir des fleurs immortelles à vous offrir, en souvenir de ce beau jour, mais ce n'est qu'au Ciel que les fleurs ne se flétriront jamais !...
Ces myosotis vous diront au moins que dans le coeur de votre petite soeur restera toujours gravé le souvenir du jour où Jésus vous a donné le Baiser de l'union qui doit se terminer ou plutôt s'accomplir aux Cieux !...
Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
rel.carm.
LT 188 A soeur Marie de la Trinité.
7 mai 1896
(Au recto :)
Par Amour, souffrir et être méprisée
(Au verso :)
Pensées de N.P. St Jean de la Croix.
Quand l'amour que l'on porte à la créature est une affection toute spirituelle et fondée sur Dieu seul, à mesure qu'elle croît, l'amour de Dieu croît aussi dans notre âme ; plus alors le coeur se souvient du prochain, plus il se souvient aussi de Dieu et le désire, ces deux amours croissant à l'envi l'un de l'autre.
Celui qui aime vraiment Dieu regarde comme un gain et une récompense de perdre toute chose et de se perdre encore lui-même pour Dieu...
Au soir de cette vie, on vous examinera sur l'amour. Apprenez donc à aimer Dieu comme il veut être aimé et laissez-vous.
Souvenir du 7 Mai de l'an de grâce l896. Offert à ma chère petite soeur Marie de la Trinité et de la Ste Face.
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus, de la Ste Face
rel.carm.ind.
LT 189 Au Père Adolphe Roulland.
J.M.J.T.
23 Juin 1896
Carmel de Lisieux.
Jésus _
Mon Révérend Père,
J'ai pensé que je serais agréable à notre Bonne Mère, en lui offrant le 21 Juin, pour sa fête, un corporal et un purificatoire avec une pale afin qu'elle ait le plaisir de vous les envoyer pour le 29. C'est à cette Vénérée Mère que je dois le bonheur intime d'être unie à vous par les liens apostoliques de la prière et de la mortification, aussi je vous supplie, mon Révérend Père, de m'aider au Saint Autel à lui payer ma dette de reconnaissance.
Je me sens bien indigne d'être associée spécialement à l'un des Missionnaires de notre Adorable Jésus, mais puisque l'obéissance me confie cette douce tâche, je suis assurée que mon Céleste Epoux suppléera à mes faibles mérites (sur lesquels je ne m'appuie aucunement) et qu'il exaucera les désirs de mon âme en fécondant votre apostolat. Je serai vraiment heureuse de travailler avec vous au salut des âmes ; c'est dans ce but que je me suis faite carmélite ; ne pouvant être missionnaire d'action, j'ai voulu l'être par l'amour et la pénitence comme Sainte Thérèse ma séraphique Mère... Je vous en supplie, mon Révérend Père, demandez pour moi à Jésus, le jour qu'il daignera pour la première fois descendre du Ciel à votre voix, demandez-Lui de m'embraser du feu de son Amour afin que je puisse ensuite vous aider à l'allumer dans les coeurs.
Depuis longtemps, je désirais connaître un Apôtre qui voulût bien prononcer mon nom au Saint Autel le jour de sa première Messe... Je désirais lui préparer moi-même les linges sacrés et la blanche hostie destinée à voiler le Roi du Ciel... Ce Dieu de Bonté a voulu réaliser mon rêve et me montrer une fois de plus combien Il se plaît à combler les désirs des âmes qui n'aiment que Lui seul.
Si je ne craignais d'être indiscrète, je vous demanderais encore, mon Révérend Père, d'avoir chaque jour au Saint Autel, un [v°] souvenir pour moi... Lorsque l'océan vous séparera de la France, vous vous rappellerez en regardant la pale que j'ai peinte avec tant de bonheur, que sur la montagne du Carmel une âme prie sans cesse le Divin Prisonnier d'Amour, pour le succès de votre glorieuse conquête.
Je désire, mon Révérend Père, que notre union apostolique ne soit connue que de Jésus seul, et je réclame l'une de vos premières bénédictions pour celle qui sera heureuse de se dire éternellement
Votre indigne petite Soeur en Jésus-Hostie
Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
rel.carm.ind.
LT 190 A Mère Marie de Gonzague.
J.M.J.T.
29 Juin 1896
Légende d'un tout petit Agneau.
Dans une riante et fertile prairie, vivait une heureuse Bergère ; elle aimait son troupeau avec toute la tendresse de son coeur, et brebis et agneaux chérissaient aussi leur Bergère... Mais le bonheur parfait ne se trouve pas dans la vallée des larmes ; un jour le beau Ciel bleu de la prairie se couvrit de nuages et la Bergère devint triste, elle ne trouva plus de joie à garder son troupeau et, faut-il le dire ? la pensée de s'éloigner de lui pour toujours vint à son esprit... Heureusement elle aimait encore un tout petit agneau, souvent elle le prenait dans ses bras, le caressait et, comme si l'agneau eût été son égal, la Bergère lui confiait ses peines et parfois pleurait avec lui...
Voyant pleurer sa Bergère le pauvre petit s'affligeait, il cherchait en vain dans son tout petit coeur le moyen de consoler celle qu'il aimait plus que lui-même.
Un soir le petit agneau s'endormit aux pieds de sa Bergère, alors la prairie... les nuages... tout disparut à ses yeux. Il se trouva dans une campagne infiniment plus vaste et plus belle. Au milieu d'un troupeau plus blanc que la neige il aperçut un Pasteur resplendissant de gloire et de douce majesté... Le pauvre agneau n'osait avancer, mais venant à lui, le Bon, le Divin Pasteur le prit sur ses genoux, le baisa comme autrefois sa douce Bergère... puis il dit : « Petit Agneau, pourquoi des larmes brillent-elles dans tes yeux, pourquoi ta Bergère que j'aime, verse-t-elle souvent des pleurs ?... parle, je veux vous consoler tous les deux. »
« Si je pleure, répondit l'agneau, ce n'est qu'en voyant pleurer ma Bergère chérie, écoutez, Divin Pasteur, le sujet de ses larmes : Autrefois elle se croyait aimée de son cher troupeau, elle aurait donné sa vie pour le rendre heureux, mais par votre ordre elle fut obligée de s'absenter pendant quelques années ; à son retour, il lui sembla ne plus reconnaître le même esprit qu'elle avait tant aimé dans ses brebis. [1v°] Vous le savez, Seigneur, c'est au troupeau que vous avez donné le pouvoir et la liberté de choisir sa bergère. Eh bien, au lieu de se voir comme autrefois choisie unanimement, ce ne fut qu'après avoir délibéré 7 fois que la houlette fut placée dans ses mains ... Vous qui avez autrefois pleuré sur notre terre, ne comprenez-vous pas combien le coeur de ma Bergère chérie doit souffrir ?...
(Le bon Pasteur sourit et, se penchant vers l'agneau :) « Oui, dit-il, je comprends... mais que ta Bergère se console, c'est Moi qui ai, non pas permis, mais voulu, la grande épreuve qui l'a fait tant souffrir. » - « Est-il possible, Jésus ! » reprit le petit agneau. « Je croyais que vous étiez si bon, si doux... n'auriez-vous donc pas pu donner la houlette à une autre, comme le désirait ma Mère chérie, ou bien si vous vouliez absolument la remettre en ses mains, pourquoi ne pas l'avoir fait après la première délibération ?... » - « Pourquoi, petit agneau ? c'est parce que j'aime ta Bergère ! Toute sa vie je l'ai gardée avec un soin jaloux, elle avait déjà beaucoup souffert pour moi, dans son âme, dans son coeur, cependant il lui manquait l'épreuve de choix que je viens de lui envoyer après l'avoir préparée de toute éternité. »
« Ah ! Seigneur, je vois bien maintenant que vous ne savez pas le plus grand chagrin de ma Bergère... ou bien vous ne voulez pas me le confier !... Vous pensez aussi que l'esprit primitif de notre troupeau s'en va... Hélas comment ma Bergère ne le penserait-elle pas ?... Il est un si grand nombre de bergères qui déplorent les mêmes désastres dans leurs bergeries... » - « Il est vrai », reprit Jésus, « l'esprit du monde se glisse même au milieu des plus lointaines prairies, mais il est facile de se tromper dans le discernement des intentions, moi qui vois tout, qui connais les plus secrètes pensées, je te le dis le troupeau de ta Bergère m'est cher entre tous, il ne m'a servi que d'instrument pour accomplir mon oeuvre de sanctification dans l'âme de ta Mère chérie. »
- « Ah ! Seigneur, je vous assure que ma Bergère ne comprend pas tout ce que vous me dites... et comment le comprendrait-elle, puisque personne ne juge les choses [2r°] de la manière dont vous me les montrez... Je connais des brebis qui font beaucoup de mal à ma Bergère avec leurs raisonnements terre à terre... Jésus, pourquoi ne dites-vous pas à ces brebis les secrets que vous me confiez, pourquoi ne parlez-Vous pas au coeur de ma Bergère ?... » - « Si je lui parlais, son épreuve disparaîtrait, son coeur serait rempli d'une joie si grande que sa boulette ne lui aurait jamais semblé aussi légère... mais je ne veux pas lui enlever son épreuve, je veux seulement qu'elle comprenne la vérité et qu'elle reconnaisse que sa croix lui vient du Ciel et non pas de la terre. »
- « Seigneur, alors parlez à ma Bergère, comment voulez-vous qu'elle comprenne la vérité puisqu'elle n'entend autour d'elle que le mensonge... »
- « Petit agneau, n'es-tu pas le préféré de ta Bergère ?... Eh bien ! répète-lui les paroles que j'ai dites à ton coeur. »
- « Jésus, je le ferai mais j'aimerais mieux que vous donniez la commission à l'une des brebis, dont le raisonnement est terre à terre... je suis si petit... ma voix est si faible, comment mn Bergère me croira-t-elle ?...
- « Ta Bergère sait bien qu'il me plaît de cacher mes secrets aux sages et aux prudents, elle sait que je les révèle aux plus petits, aux simples agneaux dont la laine blanche ne s'est point souillée à la poussière du chemin... Elle te croira et si des pleurs coulent encore de ses yeux, ces pleurs n'auront plus la même amertume, ils embelliront son âme de l'éclat austère de la souffrance aimée et reçue avec reconnaissance. »
- « Je vous comprends, Jésus, mais il est encore un mystère que je voudrais approfondir : Dites-moi, je vous supplie, pourquoi vous avez choisi les brebis chéries de ma Bergère pour l'éprouver... Si vous aviez pris des étrangères, l'épreuve aurait été plus douce... » Alors montrant à l'agneau ses pieds, ses mains et son coeur embellis de lumineuses blessures, le Bon Pasteur répondit : - « Regarde ces plaies, ce sont [2v°] celles que j'ai reçues dans la maison de ceux qui aimaient !... C'est pour cela qu'elles sont si belles, si glorieuses et que pendant toute l'éternité leur éclat ravira de joie les anges et les Saints...
« Ta Bergère se demande ce qu'elle a fait pour éloigner ses brebis, et moi qu'avais-je fait à mon peuple ? En quoi l'avais-je contristé ?...
« Il faut donc que ta Mère chérie se réjouisse d'avoir part à mes douleurs... Si je lui enlève les appuis humains, c'est pour remplir seul son coeur si aimant !...
« Heureux celui qui met en moi son appui, il dispose en son coeur des degrés pour s'élever jusqu'au Ciel. Remarque bien, petit agneau... je ne dis pas de se séparer complètement des créatures, de mépriser leur amour, leurs prévenances, mais au contraire de les accepter pour me faire plaisir, de s'en servir comme autant de degrés, car, s'éloigner des créatures ne servirait qu'à une chose, marcher et s'égarer dans les sentiers de la terre... Pour s'élever, il faut poser son pied sur les degrés des créatures et ne s'attacher qu'à moi seul... Comprends-tu bien, petit Agneau ? »
- « Seigneur, je le crois, mais surtout je sens que vos paroles sont la vérité car elles mettent la paix, la joie dans mon petit coeur, ah ! puissent-elles pénétrer doucement le coeur si grand de ma Bergère !...
« Jésus, avant de retourner auprès d'elle, j'ai une prière à vous faire... Ne vous laissez pas longtemps languir sur la terre d'exil, appelez-nous aux joies de la Céleste Prairie où vous conduirez éternellement notre cher petit troupeau à travers les sentiers fleuris. »
« Cher petit agneau (répondit le Bon Pasteur), j'exaucerai ta demande, bientôt, oui bientôt, je prendrai la Bergère et son agneau ; alors pendant l'éternité vous bénirez l'heureuse souffrance qui vous aura mérité tant de bonheur, et moi-même j'essuierai toutes les larmes de vos yeux !... »
LT 191 A Léonie.
J.M.J.T
Jésus _ 12 Juillet 1896
Ma chère petite Léonie,
J'aurais répondu à ta charmante lettre dimanche dernier, si elle m'avait été donnée. Mais nous sommes cinq, et tu sais que je suis la plus petite... aussi c'est moi qui suis exposée à ne voir les lettres que bien après les autres ou bien pas du tout... Ce n'est que Vendredi que j'ai vu ta lettre, ainsi, ma chère petite soeur, je ne suis pas en retard par ma faute...
Si tu savais combien je suis heureuse de te voir dans ces bonnes dispositions...
Je ne suis pas étonnée que la pensée de la mort te soit douce puisque tu ne tiens plus à rien sur la terre. Je t'assure que le Bon Dieu est bien meilleur que tu le crois. Il se contente d'un regard, d'un soupir d'amour... Pour moi je trouve la perfection bien facile à pratiquer, parce que j'ai compris qu'il [1v°] n'y a qu'à prendre Jésus par le Coeur... Regarde un petit enfant, qui vient de fâcher sa mère en se mettant en colère ou bien en lui désobéissant ; s'il se cache dans un coin avec un air boudeur et qu'il crie dans la crainte d'être puni, sa maman ne lui pardonnera certainement pas sa faute, mais s'il vient lui tendre ses petits bras en souriant et disant : « Embrasse-moi, je ne recommencerai plus. » Est-ce que sa mère pourra ne pas le presser contre son coeur avec tendresse et oublier ses malices enfantines ?... Cependant elle sait bien que son cher petit recommencera à la prochaine occasion, mais cela ne fait rien, s'il la prend encore par le coeur jamais il ne sera puni...
Au temps de la loi de crainte, avant la venue de Notre Seigneur, le prophète Isaïe disait déjà parlant au nom du Roi des Cieux : « Une mère peut-elle oublier son enfant ?... Eh bien ! quand même une mère oublierait son enfant, moi, je ne vous oublierai jamais. » Quelle ravissante promesse ! Ah ! nous qui vivons dans la loi d'amour, comment ne pas profiter des amoureuses avances que [2r°] nous fait notre Epoux... comment craindre celui qui se laisse enchaîner par un cheveu qui vole sur notre cou !...
Sachons donc le retenir prisonnier, ce Dieu qui devient le mendiant de notre amour. En nous disant que c'est un cheveu qui peut opérer ce prodige, il nous montre que les plus petites actions faites par amour sont celles qui charment son coeur...
Ah ! s'il fallait faire de grandes choses, combien serions-nous à plaindre ?... Mais que nous sommes heureuses puisque Jésus se laisse enchaîner par les plus petites...
Ce ne sont pas les petits sacrifices qui te manquent, ma chère Léonie, ta vie n'en est-elle pas composée ?... Je me réjouis de te voir en face d'un pareil trésor et surtout en pensant que tu sais en profiter, non seulement pour toi, mais encore pour les âmes... Il est si doux d'aider Jésus, par nos légers sacrifices, de lui aider à sauver les âmes qu'il a rachetées au prix de son sang et qui n'attendent que notre secours pour ne pas tomber dans l'abîme...
[2v°] Il me semble que si nos sacrifices sont des cheveux qui captivent Jésus, nos joies en sont aussi, pour cela il suffit de ne pas se concentrer dans un bonheur égoïste mais d'offrir à notre Epoux les petites joies qu'il sème sur le chemin de la vie pour charmer nos âmes et les élever jusqu'à Lui...
Je comptais écrire à ma Tante aujourd'hui mais je n'ai pas le temps, ce sera pour dimanche prochain, je te prie de lui dire combien je l'aime ainsi que mon cher Oncle.
Je pense aussi bien souvent à Jeanne et Francis. Tu me demandes des nouvelles de ma santé. Eh bien ! ma chère petite Soeur, je ne tousse plus du tout. Es-tu contente ?... Cela n'empêchera pas le Bon Dieu de me prendre quand il voudra puisque je fais tous mes efforts pour être un tout petit enfant, je n'ai pas de préparatifs à faire. Jésus devra Lui-même payer tous les frais du voyage et le prix d'entrée au Ciel...
Adieu, ma petite Soeur chérie, je t'aime, je crois, de plus en plus...
Ta petite soeur
Thérèse de l'Enfant Jésus
rel.carm.
[2v°tv] Sr Geneviève est bien heureuse de ta lettre, elle te répondra la prochaine fois. Nous t'embrassons toutes les 5...
LT 192 A Mine Guérin.
J.M.J.T.
Jésus _ Le 16 Juillet 1896
Ma chère Tante,
J'aurais voulu aller vers vous la première ; mais il ne me reste que le doux et aimable devoir de vous remercier de la belle lettre que j'ai reçue.
Que vous êtes bonne, ma Tante chérie, de penser à votre petite Thérèse. Ah ! je vous assure que ce n'est pas à une ingrate que vous avez affaire.
Je voudrais vous raconter quelque chose de nouveau, mais j'ai beau me creuser la tête, il n'en sort absolument rien que de la tendresse pour mes parents chéris... et cette chose est bien loin d'être nouvelle puisqu'elle est aussi vieille que moi...
Vous me demandez, ma chère Tante, de vous donner des nouvelles de ma santé comme à [1v°] une maman, c'est ce que je vais faire, mais si je vous dis que je me porte à merveille vous n'allez pas me croire, aussi je vais laisser la parole au célèbre docteur de Cornière auquel j'ai eu l'insigne honneur d'être présentée hier au parloir. Cet illustre personnage, après m'avoir honorée d'un regard, a déclaré que : « J'avais bonne mine !... » Cette déclaration ne m'a pas empêchée de penser qu'il me serait bientôt permis « D'aller au Ciel avec les petits anges » non pas à cause de ma santé mais à cause d'une autre déclaration faite aujourd'hui dans la chapelle du Carmel par M. l'Abbé Lechêne... Après nous avoir montré les illustres origines de notre St ordre, après nous avoir comparées au prophète Elie luttant contre les prêtres de Baal, il a déclaré « que des temps semblables à ceux de la persécution d'Achab allaient recommencer ». Il nous semblait déjà voler au martyre...
Quel bonheur, ma petite Tante chérie, si toute [2r°] notre famille entrait au Ciel le même jour ! Il me semble que je vous vois sourire... peut-être pensez-vous que cet honneur ne nous est pas réservé... Ce qu'il y a de certain, c'est que tous ensemble ou bien l'un après l'autre. nous quitterons un jour l'exil pour la Patrie et qu'alors nous nous réjouirons de toutes les choses dont le Ciel sera le prix... Aussi bien, d'avoir pris de la potion les jours de réception que d'avoir été à matines malgré notre triste mine, ou d'avoir chassé les lapins et cueilli de l'avoine...
Je vois à mon grand regret qu'il m'est impossible de rien dire ce soir qui ait quelque sens commun, c'est bien certainement parce que j'avais désiré écrire beaucoup de choses à ma petite Tante que j'aime tant...
Heureusement que Sr Marie de l'Eucharistie va suppléer à ma misère, c'est ma seule consolation dans mon extrême indigence... Nous sommes toujours ensemble à l'emploi [2v°] et nous nous entendons très bien. Je vous assure que ni l'une ni l'autre n'engendre la mélancolie, il faut que nous fassions bien attention à ne pas dire de paroles inutiles, car après chaque phrase utile il se présente toujours un petit refrain amusant qu'il faut garder pour la récréation.
Ma chère Tante, je vous prie d'offrir mes amitiés à tous les chers habitants de La Musse, en particulier à mon cher Oncle que je charge de vous embrasser bien fort pour moi.
Votre petite fille qui vous aime
Thérèse de l'Enfant Jésus
rel.carm.ind.
LT 193 Au P. Roulland.
J.M.J.T.
Carmel de Lisieux. 30 Juillet 1896
Jésus _
Mon Frère,
Vous me permettez n'est-ce pas, de ne plus vous donner un autre nom, puisque Jésus a daigné nous unir par les liens de l'apostolat ?
Il m'est bien doux de penser que de toute éternité Notre Seigneur a formé cette union qui doit lui sauver des âmes et qu'il m'a créée pour être votre soeur...
Hier, nous avons reçu vos lettres ; c'est avec joie que Notre Bonne Mère vous a introduit dans la clôture. Elle me permet de garder la photographie de mon frère, c'est un privilège tout spécial, une carmélite n'a pas même les portraits de ses parents les plus proches, mais Notre Mère sait bien que le vôtre, loin de me rappeler le monde et les affections de la terre élèvera mon âme dans des régions plus hautes, la fera s'oublier pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Ainsi, mon Frère, pendant que je traverserai la mer en votre compagnie, vous resterez près de moi, bien caché dans notre pauvre cellule...
Tout ce qui m'entoure me rappelle votre souvenir, j'ai fixé la carte du Su-tchuen sur le mur de l'emploi où je travaille, et l'image que vous m'avez donnée repose toujours sur mon coeur dans le livre des Evangiles qui ne me quitte jamais. En la plaçant au hasard voici sur quel passage elle est tombée « Celui qui aura tout quitté pour me suivre, recevra le centuple en ce monde et la vie éternelle au siècle à venir. » Ces paroles de Jésus se sont [1v°] déjà réalisées pour vous puisque vous me dites « Je pars heureux. » Je comprends que cette joie doit être toute spirituelle ; il est impossible de quitter son père, sa mère et sa patrie, sans éprouver tous les déchirements de la séparation... Oh mon Frère je souffre avec vous, avec vous j'offre votre grand sacrifice et je supplie Jésus de répandre ses abondantes consolations sur vos chers Parents, en attendant l'union Céleste où nous les verrons se réjouir de votre gloire qui, séchant à jamais leurs larmes, les comblera de joie pendant la bienheureuse éternité...
Ce soir pendant mon oraison j'ai médité des passages d'Isaïe qui m'ont paru si bien appropriés à vous que je ne puis m'empêcher de vous les copier.
« Prenez un lieu plus spacieux pour dresser vos tentes... Vous vous étendrez à droite et à gauche, votre postérité aura les nations pour héritage, elle habitera les villes désertes... Levez les yeux, et regardez autour de vous ; tous ceux que vous voyez assemblés viennent vers vous, vos fils viendront de loin et vos filles viendront vous trouver de tous côtés. Alors vous verrez cette multiplication extraordinaire, votre coeur étonné se dilatera lorsque la multitude des rivages de la mer et tout ce qu'il y a de grand parmi les nations sera venu vers vous.
N'est-ce pas là le centuple promis ? et ne pouvez-vous pas vous écrier à votre tour : « L'esprit du Seigneur s'est reposé sur moi, il m'a rempli de son onction. Il m'a envoyé pour annoncer sa parole, pour guérir ceux qui ont le coeur brisé, pour rendre la liberté à ceux qui sont dans les chaînes et consoler ceux qui pleurent... Je me réjouirai dans le Seigneur, parce qu'il m'a revêtu des vêtements du salut et paré des ornements de la justice. Comme la terre fait germer la semence ainsi le Seigneur Dieu fera germer par moi sa justice et sa gloire au milieu des nations... Mon peuple sera un peuple de justes, ils seront les rejetons que j'ai plantés... J'irai dans les îles les plus reculées, vers ceux qui n'ont jamais entendu parler du Seigneur. J'annoncerai sa gloire aux nations et je les offrirai comme un présent à mon Dieu.
Si je voulais copier tous les passages qui m'ont le plus touchée, il me faudrait trop de temps. Je termine, mais avant j'ai encore une demande à vous faire. Lorsque vous aurez un instant de libre, je voudrais bien que vous m'écriviez les principales dates de votre vie, je pourrais ainsi m'unir particulièrement à vous pour remercier le Bon Dieu des grâces qu'il vous a faites.
A Dieu, mon Frère... la distance ne pourra jamais séparer nos âmes, la mort même rendra notre union plus intime. Si je vais bientôt dans le Ciel, je demanderai à Jésus la permission d'aller vous visiter au Su-tchuen et nous continuerons ensemble notre apostolat. En attendant je vous serai toujours unie par la prière et je demande à Notre Seigneur de ne jamais me laisser jouir lorsque vous souffrirez. Je voudrais même que mon Frère ait toujours les consolations et moi les épreuves, c'est peut-être égoïste ?... Mais non, puisque ma seule arme est l'amour et la souffrance et que votre glaive est celui de la parole et des travaux apostoliques.
Encore une fois, à Dieu, mon Frère, daignez bénir celle que Jésus vous a donnée pour soeur,
Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Ste Face
rel.carm.ind.
LT 194 A soeur Marie de Saint-Joseph. (Fragment.)
8-17 sept. (?)
1896
(...) Je suis ravie du petit Enfant et celui qui le porte entre ses bras est encore plus ravi que moi... Ah ! que la vocation du petit Enfant est belle ! Ce n'est pas une mission qu'il doit évangéliser, mais toutes les missions. Comment cela ?... C'est en aimant, en dormant, en jetant des fleurs à Jésus lorsqu'il sommeille. Alors Jésus prendra ces fleurs et leur communiquant une valeur inestimable, il les jettera à son tour ; il les fera voler sur tous les rivages et sauvera les âmes, avec les fleurs, avec l'amour du petit enfant qui ne verra rien mais qui sourira toujours même à travers ses larmes !... (Un enfant missionnaire et guerrier, quelle merveille !)
LT 195 A soeur Marie de Saint-Joseph. (Fragments.)
8-17 sept. (?)
1896
J.M.J.T.
Le petit frère pense comme le petit Enfant...
Le martyre le plus douloureux, le plus amoureux est le nôtre puisque Jésus seul le voit.
Il ne sera jamais révélé aux créatures sur la terre mais lorsque l'Agneau ouvrira le livre de vie, quel étonnement pour la Cour Céleste d'entendre proclamer avec ceux des missionnaires et des martyrs le nom de pauvres petits enfants qui n'auront jamais fait d'actions éclatantes...
[v°] Je continue à soigner les toques très malades.
LT 196 A soeur Marie du Sacré-Coeur
13 (?) sept.
1896
[1r°] J.M.J.T.
Jésus _
O ma Soeur chérie ! vous me demandez de vous donner un souvenir de ma retraite, retraite qui peut-être sera la dernière... Puisque notre Mère le permet, c'est une joie pour moi de venir m'entretenir avec vous qui êtes deux fois ma Soeur, avec vous qui m'avez prêté votre voix, promettant en mon nom que je ne voulais servir que Jésus, alors qu'il ne m'était pas possible de parler... Chère petite Marraine, c'est l'enfant que vous avez offerte au Seigneur qui vous parle ce soir, c'est elle qui vous aime comme une enfant sait aimer sa Mère... Au Ciel seulement vous connaîtrez toute la reconnaissance qui déborde de mon coeur... O ma Soeur chérie vous voudriez entendre les secrets que Jésus confie à votre petite fille, ces secrets Il vous les confie, je le sais, car c'est vous qui m'avez appris à recueillir les enseignements Divins, cependant je vais essayer de balbutier quelques mots, bien que je sente qu'il est impossible à la parole humaine de redire des choses que le coeur humain peut à peine pressentir...
Ne croyez pas que je nage dans tes consolations, oh non ! ma consolation c'est de n'en pas avoir sur la terre. Sans se montrer, sans faire entendre sa voix, Jésus m'instruit dans le secret, ce n'est pas par le moyen des livres, car je ne comprends pas ce que je lis, mais parfois une parole comme celle-ci que j'ai tirée à la fin de l'oraison (après être restée dans le silence et la sécheresse) vient me consoler : « Voici le Maître que je te donne, il t'apprendra tout ce que tu dois faire. Je veux te faire lire dans le livre de vie, où est contenue la science d'Amour. » La science d'Amour, ah oui ! cette parole résonne doucement à l'oreille de mon âme, je ne désire que cette science-là, pour elle, ayant donné toutes mes richesses, j'estime comme l'épouse des sacrés cantiques n'avoir rien donné... Je comprends si bien qu'il n'y a que l'amour qui puisse nous rendre agréables au Bon Dieu que cet amour est le seul bien que j'ambitionne. Jésus se plaît à me montrer l'unique chemin qui conduit à cette fournaise Divine, ce chemin c'est l'abandon du petit enfant qui s'endort sans crainte dans les bras de son Père... « Si quelqu'un est tout petit, qu'il vienne à moi » a dit l'Esprit Saint par la bouche de Salomon, et ce même Esprit d'Amour a dit encore que « La miséricorde est accordée aux petits ». En son nom le prophète Isaïe nous révèle qu'au dernier jour « Le Seigneur conduira son troupeau dans les pâturages, qu'il rassemblera les petits agneaux et les pressera sur son sein », et comme si toutes ces promesses ne suffisaient pas, le même prophète dont le regard inspiré plongeait déjà dans les profondeurs éternelles s'écrie au nom du Seigneur : « Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous caresserai sur mes genoux. » O Marraine chérie ! après un pareil langage, il n'y a plus qu'à se taire, à pleurer de reconnaissance [1v°] et d'amour... Ah ! Si toutes les âmes faibles et imparfaites sentaient ce que sent la plus petite de toutes les âmes, l'âme de votre petite Thérèse, pas une seule ne désespérerait d'arriver au sommet de la montagne de l'amour, puisque Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l'abandon et la reconnaissance, puisqu'il a dit dans le Ps. XLIX : « Je n'ai nul besoin des boucs de vos troupeaux, parce que toutes les bêtes des forêts m'appartiennent et les milliers d'animaux qui paissent sur les collines, je connais tous les oiseaux des montagnes... Si j'avais faim, ce n'est pas à vous que je le dirais : car la terre et tout ce qu'elle contient est à moi. Est-ce que je dois manger la chair des taureaux et boire le sang des boucs ?... »
« Immolez à Dieu des sacrifices de louanges et d'actions de grâces. » Voilà donc tout ce que Jésus réclame de nous, il n'a point besoin de nos oeuvres, mais seulement de notre amour, car ce même Dieu qui déclare n'avoir point besoin de nous dire s'il a faim, n'a pas craint de mendier un peu d'eau à la Samaritaine.
Il avait soif... Mais en disant : « donne-moi à boire », c'était l'amour de sa pauvre créature que le Créateur de l'univers réclamait. il avait soif d'amour... Ah ! je le sens plus que jamais Jésus est altéré, il ne rencontre que des ingrats et des indifférents parmi les disciples du monde et parmi ses disciples à lui, il trouve, hélas ! peu de coeurs qui se livrent à lui sans réserve, qui comprennent toute la tendresse de son Amour infini.
Soeur chérie, que nous sommes heureuses de comprendre les intimes secrets de notre Epoux, ah ! Si vous vouliez écrire tout ce que vous en connaissez, nous aurions de belles pages à lire mais je le sais, vous aimez mieux garder au fond de votre coeur « Les secrets du Roi », à moi vous dites « Qu'il est honorable de publier les oeuvres du Très-Haut ». Je trouve que vous avez raison de garder le silence et ce n'est uniquement qu'afin de vous faire plaisir que j'écris ces lignes, car je sens mon impuissance à redire avec des paroles terrestres les secrets du Ciel, et puis, après avoir tracé des pages et des pages, je trouverais n'avoir pas encore commencé... Il y a tant d'horizons divers, tant de nuances variées à l'infini, que la palette du Peintre Céleste pourra seule, après la nuit de cette vie, me fournir les couleurs capables de peindre les merveilles qu'il découvre à l'oeil de mon âme.
Ma Sr Chérie, vous m'avez demandé de vous écrire mon rêve et « ma petite doctrine » comme vous l'appelez... Je l'ai fait dans les pages suivantes mais si mal qu'il me semble impossible que vous compreniez. Peut-être allez-vous trouver mes expressions exagérées... Ah ! pardonnez-moi, cela doit tenir à mon style peu agréable, je vous assure qu'il n'est aucune exagération dans ma petite âme, que tout y est calme et reposé...
(En écrivant, c'est à Jésus que je parle, cela m'est plus facile, pour exprimer mes pensées... Ce qui, hélas ! n'empêche pas qu'elles soient bien mal exprimées !)
LT 197 A soeur Marie du Sacré-Coeur.
J.M.J.T.
Jésus _ 17 Septembre 1896.
Ma Soeur chérie, je ne suis pas embarrassée pour vous répondre... Comment pouvez-vous me demander s'il vous est possible d'aimer le Bon Dieu comme je l'aime ?...
Si vous aviez compris l'histoire de mon petit oiseau, vous ne me feriez pas cette question. Mes désirs du martyre ne sont rien, ce ne sont pas eux qui me donnent la confiance illimitée que je sens en mon coeur. Ce sont, à vrai dire, les richesses spirituelles qui rendent injuste, lorsqu'on s'y repose avec complaisance et que l'on croit qu'ils sont quelque chose de grand... Ces désirs sont une consolation, que Jésus accorde parfois aux âmes faibles comme la mienne (et ces âmes sont nombreuses) mais lorsqu'il ne donne pas cette consolation c'est une grâce de privilège, rappelez-vous ces paroles du Père : « Les martyrs ont souffert avec joie et le Roi des Martyrs a souffert avec tristesse. » Oui Jésus a dit : « Mon Père, éloignez de moi ce calice. » Sr chérie, comment pouvez-vous dire après cela que mes désirs sont la marque de mon amour ?... Ah ! je sens bien que ce n'est pas cela du tout qui plaît au Bon Dieu dans ma petite âme, ce qui lui plaît c'est de me voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c'est l'espérance aveugle que j'ai en sa miséricorde... Voilà mon seul trésor. Marraine chérie, pourquoi ce trésor ne serait-il pas le vôtre ?...
N'êtes-vous pas prête à souffrir tout ce que le Bon Dieu voudra ? Je sais bien que oui, alors, si vous désirez sentir de la joie, avoir de l'attrait pour la souffrance, c'est votre consolation que vous cherchez, puisque lorsqu'on aime une chose, la peine disparaît. Je vous assure que si nous allions ensemble au martyre dans les dispositions où nous sommes, vous auriez un grand mérite et moi je n'en aurais aucun, à moins qu'il ne plaise à Jésus de changer mes dispositions.
O ma Soeur chérie, je vous en prie, comprenez votre petite fille, comprenez que pour aimer Jésus, être sa victime d'amour plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant... Le seul désir d'être victime suffit, mais il faut consentir à rester pauvre et sans force et voilà le difficile car « Le véritable pauvre d'esprit, où le trouver ? il faut le chercher bien loin » a dit le psalmiste... Il ne dit pas qu'il faut le chercher parmi les grandes âmes, mais « bien loin », c'est-à-dire dans la bassesse, dans le néant... Ah ! restons donc bien loin de tout ce qui brille, aimons notre petitesse, aimons à ne rien sentir, alors nous serons pauvres d'esprit et Jésus viendra nous [v°] chercher, si loin, que nous soyons il nous transformera en flammes d'amour... Oh ! que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens !... C'est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l'Amour... La crainte ne conduit-elle pas à la Justice (1) ?... Puisque nous voyons la voie, courons ensemble. Oui, je le sens, Jésus veut nous faire les mêmes grâces, il veut nous donner gratuitement son Ciel.
O ma petite Soeur chérie, si vous ne me comprenez pas c'est que vous êtes une trop grande âme... ou plutôt c'est que je m'explique mal, car je suis sûre que le Bon Dieu ne vous donnerait pas le désir d'être possédée de Lui, de son Amour Miséricordieux s'il ne vous réservait cette faveur... ou plutôt il vous l'a déjà faite, puisque vous vous êtes livrée à Lui, puisque vous désirez être consumée par Lui et que jamais le Bon Dieu ne donne de désirs qu'il ne puisse réaliser...
9 heures sonnent, je suis obligée de vous quitter, ah que je voudrais vous dire de choses, mais Jésus va vous faire sentir tout ce que je ne puis écrire...
Je vous aime avec toute la tendresse de mon petit coeur d'enfant reconnaissant
Thérèse de l'Enfant Jésus
rel.carm.ind.
(1) A la justice sévère telle qu'on la représente aux pécheurs mais pas de cette Justice que Jésus aura pour ceux qui l'aiment.
LT 198 A l'abbé Maurice Bellière.
J.M.J.T.
Jésus _ Carmel de Lisieux. 21 Octobre 96
Monsieur l'Abbé,
Notre Révérende Mère étant malade, m'a confié la mission de répondre à votre lettre, je regrette que vous soyez privé des saintes paroles que cette Bonne Mère vous aurait adressées, mais je suis heureuse d'être son interprète et de vous redire sa joie en apprenant le travail que Notre Seigneur vient d'opérer dans votre âme, elle continuera de prier afin qu'il achève en vous son oeuvre divine.
Il est, je pense, inutile de vous dire, Monsieur l'Abbé, la grande part que je prends au bonheur de Notre Mère. Votre lettre de Juillet m'avait fort affligée ; attribuant à mon peu de ferveur les combats qui vous étaient livrés, je ne cessais d'implorer pour vous l'assistance maternelle de la douce Reine des Apôtres, aussi ma consolation a-t-elle été bien grande en recevant pour bouquet de fête l'assurance que mes pauvres prières [v°] avaient été exaucées...
Maintenant que l'orage est passé, je remercie le Bon Dieu de vous l'avoir fait traverser, car nous lisons dans nos saints livres ces belles paroles : « Bienheureux l'homme qui a souffert la tentation », et encore : « Celui qui n'a pas été tenté, que sait-il ?... » En effet lorsque Jésus appelle une âme à diriger, à sauver des multitudes d'autres âmes, il est bien nécessaire qu'il lui fasse expérimenter les tentations et les épreuves de la vie. Puisqu'Il vous a accordé la grâce de sortir victorieux de la lutte, j'espère, Monsieur l'Abbé, que Notre doux Jésus réalisera vos grands désirs. Je lui demande que vous soyez, non pas seulement un bon missionnaire mais un saint tout embrasé de l'amour de Dieu et des âmes ; je vous supplie de m'obtenir aussi cet amour afin que je puisse vous aider dans votre oeuvre apostolique. Vous le savez, une carmélite qui ne serait pas apôtre s'éloignerait du but de sa vocation et cesserait d'être fille de la Séraphique Sainte Thérèse qui désirait donner mille vies pour sauver une seule âme.
Je ne doute pas, Monsieur l'Abbé, que vous voudrez bien aussi joindre vos prières aux miennes afin que Notre Seigneur guérisse Notre Vénérée Mère.
Dans les Coeurs Sacrés de Jésus et de Marie je serai toujours heureuse de me dire
Votre indigne petite soeur
Thérèse de l'Enfant Jésus, de la Ste Face
rel.carm.ind.
LT 199 A soeur Marie de Saint-Joseph.
20-30 octobre (?)
1896
J.M.J.T.
Veiller, méchant p.f. ?... Non, mille fois non !... Je ne m'étonne pas des combats de p.f. mais simplement qu'il perde sa petite force en livrant ses armes au premier caporal qui se trouve sur son chemin, et même qu'il le poursuive dans les escaliers de la caserne afin de l'obliger à prendre jusqu'à la dernière pièce de l'armure.
Qu'y a-t-il d'étonnant ensuite qu'un fort rayon de soleil (ordinairement supporté avec vaillance) tombant sur le petit soldat désarmé ne le brûle et lui donne la fièvre ?...
[v°] Pour sa peine son p.f. le condamne à s'enfermer dans la prison de l'amour et à dormir comme un p. bienheureux, mais avant, il faut se servir, ce soir, de l'instrument de pénitence musical !...
Sinon, p.f. va avoir du chagrin.
(Surtout pas veiller ! demain on se démanchera les bras ensemble !...)
LT 200 A soeur Marie de Saint-Joseph.
Fin octobre (?)
1896
J.M.J.T.
Tout va bien, le petit enfant est un brave qui mérite des épaulettes d'or. Mais que plus jamais il ne s'abaisse à se battre avec des petites pierres, c'est indigne de lui... Son arme doit être « La Charité ».
Le reste va bien aussi, puisque le petit enfant se moque de Messire Satanas, et qu'il sommeille toujours sur le Coeur du Grand Général.... Près de ce Coeur-là, on apprend la vaillance, et surtout la confiance. La mitraille, le bruit du canon, qu'est-ce que tout cela lorsqu'on est porté par le Général ?...
LT 201 Au P. Roulland.
J.M.J.T.
Carmel de Lisieux 1er Novembre 1896
Jésus _
Mon Frère,
Votre intéressante missive, arrivée sous le patronage de tous les Saints, me cause une grande joie. Je vous remercie de me traiter en véritable soeur ; avec la grâce de Jésus j'espère me rendre digne de ce titre qui m'est si cher.
Je vous remercie aussi de nous avoir envoyé « L'âme d'un Missionnaire », ce livre m'a vivement intéressée, il m'a permis de vous suivre pendant votre lointain voyage. La vie du Père Nempon est parfaitement intitulée, c'est bien l'âme d'un missionnaire qu'elle révèle ou plutôt, l'âme de tous les apôtres vraiment dignes de ce nom.
Vous me demandez (dans la lettre écrite à Marseille) de prier Notre Seigneur d'éloigner de vous la croix d'être nommé directeur dans un séminaire ou même celle de revenir en France. Je comprends que cette perspective ne vous soit pas agréable ; de tout mon coeur je demande à Jésus qu'il daigne vous laisser remplir le laborieux apostolat tel que votre âme l'a toujours rêvé. Cependant j'ajoute avec vous : « Que la volonté du Bon Dieu soit faite. » C'est là seulement que se trouve le repos, en dehors de cette aimable volonté nous ne ferons rien, ni pour Jésus, ni pour les âmes.
Je ne puis vous dire, mon Frère, combien je suis heureuse de vous voir si complètement abandonné entre les mains de vos supérieurs, il me semble que c'est une preuve certaine qu'un jour mes désirs seront réalisés, c'est-à-dire que vous serez un grand Saint.
Permettez-moi de vous confier un secret qui vient de m'être révélé par la feuille où sont écrites les dates mémorables de votre vie.
- Le 8 Septembre 1890 votre vocation de missionnaire était sauvée par Marie, la Reine des apôtres et des martyrs ; en ce même jour une petite carmélite devenait l'épouse du Roi des Cieux. Disant au monde un éternel adieu, son unique but était de sauver les âmes, surtout les âmes d'apôtres. A Jésus, son Epoux divin, elle demanda particulièrement une âme apostolique, ne pouvant être prêtre elle voulait qu'à sa place un prêtre reçût les grâces du Seigneur, qu'il ait les mêmes aspirations, les mêmes désirs qu'elle...
Mon Frère, vous connaissez l'indigne carmélite qui fit cette prière. Ne pensez-vous pas comme moi que notre union confirmée le jour de votre ordination sacerdotale, commença le 8 Septembre ?... [1v°] Je croyais ne rencontrer qu'au Ciel, l'apôtre, le frère que j'avais demandé à Jésus, mais ce Bien-Aimé Sauveur, levant un peu le voile mystérieux qui cache les secrets de l'éternité, a daigné me donner dès l'exil la consolation de connaître le frère de mon âme, de travailler avec lui au salut des pauvres infidèles.
Oh ! que ma reconnaissance est grande lorsque je considère les délicatesses de Jésus !... Que nous réserve-t-il au Ciel si dès ici-bas, son amour nous dispense de si délicieuses surprises ?
Plus que jamais, je comprends que les plus petits événements de notre vie sont conduits par Dieu, c'est Lui qui nous fait désirer et qui comble nos désirs... Lorsque notre bonne Mère me proposa de devenir votre auxiliaire, je vous avoue, mon Frère, que j'hésitai. Considérant les vertus des saintes carmélites qui m'entourent, il me semblait que notre Mère aurait mieux servi vos intérêts spirituels en vous choisissant une soeur autre que moi, seule la pensée que Jésus n'aurait pas égard à mes oeuvres imparfaites mais à ma bonne volonté, me fit accepter l'honneur de partager vos travaux apostoliques. Je ne savais pas alors que Notre Seigneur Lui-Même m'avait choisie, lui qui se sert des instruments les plus faibles pour opérer des merveilles !... Je ne savais pas que depuis 6 ans j'avais un frère qui se préparait à devenir Missionnaire ; maintenant que ce frère est véritablement son Apôtre, Jésus me révèle ce mystère afin sans doute d'augmenter encore en mon coeur le désir de l'aimer et de Le faire aimer.
Savez-vous, mon Frère, que si le Seigneur continue d'exaucer ma prière, vous obtiendrez une faveur que votre humilité vous empêche de solliciter ? Cette faveur incomparable, vous la devinez, c'est le martyre...
Oui, j'en ai l'espérance, après de longues années passées dans les travaux apostoliques, après avoir donné à Jésus amour pour amour, vie pour vie, vous lui donnerez aussi sang pour sang...
En écrivant ces lignes, il me vient à l'esprit qu'elles vous parviendront dans le mois de Janvier, mois pendant lequel on échange d'heureux souhaits. Je crois bien que ceux de votre petite soeur seront les seuls dans leur genre... à vrai dire, le monde traiterait de folie des souhaits comme ceux-là, mais pour nous, le monde ne vit plus et « notre conversation est déjà dans le Ciel », notre unique désir est de ressembler à notre Adorable Maître que le monde n'a pas voulu reconnaître parce qu'Il s'est anéanti, prenant la forme et la nature d'esclave. O mon Frère ! que vous êtes heureux de suivre de si près l'exemple de Jésus... En songeant que vous avez revêtu le costume chinois, je pense naturellement au Sauveur se revêtant de notre pauvre humanité et devenant semblable à l'un de nous afin de racheter nos âmes pour l'éternité.
Vous allez peut-être me trouver bien enfant, mais n'importe, je vous confesse que j'ai commis un péché d'envie en lisant que vos cheveux allaient être coupés et remplacés par une tresse chinoise. Ce n'est pas cette dernière que j'ai convoitée, mais tout simplement une petite mèche des cheveux devenus inutiles. Vous me demanderez sans [2r°] doute en riant ce que j'en ferai ? Eh bien, c'est tout simple, ces cheveux seront pour moi des reliques lorsque vous serez au Ciel, la palme du martyre à la main. Vous trouvez sans doute que je m'y prends longtemps d'avance, mais je sais que c'est l'unique moyen d'arriver à mon but, car votre petite soeur (qui n'est reconnue pour telle que par Jésus ) sera certainement oubliée dans la distribution de vos reliques. Je suis bien sûre que vous riez de moi, mais cela ne me fait rien. Si vous consentez à payer la petite récréation que je vous donne avec : « Les cheveux d'un futur Martyr » je serai bien récompensée.
Le 25 Décembre je ne manquerai pas d'envoyer mon ange afin qu'il dépose mes intentions auprès de l'hostie qui sera consacrée par vous. C'est du plus profond de mon coeur que je vous remercie d'offrir pour Notre Mère et pour moi votre messe de l'aurore ; pendant que vous serez à l'Autel, nous chanterons les matines de Noël qui précèdent immédiatement la messe de minuit.
Mon Frère, vous ne vous êtes pas trompé en disant que sans doute mes intentions seraient « de remercier Jésus du jour de grâces entre tous ». Ce n'est point ce jour-là que j'ai reçu la grâce de la vocation religieuse. Notre Seigneur voulant pour Lui seul mon premier regard, daigna me demander mon coeur dès le berceau, si je puis m'exprimer ainsi.
La nuit de Noël 1886 fut, il est vrai, décisive pour ma vocation, mais pour la nommer plus clairement je dois l'appeler : la nuit de ma conversion. En cette nuit bénie dont il est écrit qu'elle éclaire les délices de Dieu même, Jésus qui se faisait enfant par amour pour moi daigna me faire sortir des langes et des imperfections de l'enfance, Il me transforma de telle sorte que je ne me reconnaissais plus moi-même. Sans ce changement j'aurais dû rester encore bien des années dans le monde. Sainte Thérèse qui disait à ses filles : « Je veux que vous ne soyez femmes en rien, mais qu'en tout vous égaliez des hommes forts », ta Thérèse n'aurait pas voulu me reconnaître pour son enfant si le Seigneur ne m'avait revêtue de sa force divine, s'il ne m'avait lui-même armée pour la guerre.
Je vous promets, mon Frère, de recommander à Jésus d'une façon toute particulière, la jeune fille dont vous me parlez et qui rencontre des obstacles à sa vocation, je compatis sincèrement à sa peine, sachant par expérience combien il est amer de ne pouvoir répondre immédiatement à l'appel de Dieu. Je lui souhaite de n'être pas obligée comme moi d'aller jusqu'à Rome... Sans doute vous ignorez que votre soeur a eu l'audace de parler au Pape ?... C'est vrai cependant, et si je n'avais pas eu cette audace, peut-être serais-je encore dans le monde.
Jésus a dit que « le royaume des Cieux souffre violence et que les violents seuls le ravissent ». il en a été de même pour moi du royaume du Carmel. Avant d'être la prisonnière de Jésus, il m'a fallu voyager bien loin pour ravir la prison que je préférais à tous les palais de la terre, aussi je n'avais nulle envie de faire un voyage pour mon agrément personnel, et lorsque mon incomparable père me proposa de me conduire à Jérusalem si je voulais retarder mon entrée de [2v°] deux ou trois mois, je n'hésitai pas (malgré l'attrait naturel qui me portait à visiter les lieux sanctifiés par la vie du Sauveur), à choisir le repos à l'ombre de celui que j'avais désiré. Je comprenais que véritablement un seul jour passé dans la maison du Seigneur vaut mieux que mille partout ailleurs.
Peut-être, mon Frère, désirez-vous savoir quel obstacle je rencontrais à l'accomplissement de ma vocation ; cet obstacle n'était autre que ma jeunesse, notre bon Père Supérieur refusa formellement de me recevoir avant 21 ans, disant qu'une enfant de 15 ans n'était pas capable de savoir à quoi elle s'engageait. Sa conduite était prudente et je ne doute pas qu'en m'éprouvant il n'accomplît la volonté du bon Dieu qui voulait me faire conquérir la forteresse du Carmel à la pointe de l'épée, peut-être aussi Jésus permit-Il au démon d'entraver une vocation qui ne devait pas, je crois, être du goût de ce vilain privé d'amour comme l'appelait notre Ste Mère ; heureusement toutes ses ruses tournèrent à sa honte, elles ne servirent qu'à rendre la victoire d'une enfant plus éclatante. Si je voulais vous écrire tous les détails du combat que j'eus à soutenir, il me faudrait beaucoup de temps, d'encre et de papier ; racontés par une plume habile ces détails auraient, je crois, pour vous de l'intérêt mais ce n'est pas la mienne qui sait donner des charmes à un long récit, je vous demande donc pardon de vous avoir peut-être ennuyé déjà.
Vous me promettez, mon Frère, de continuer chaque matin de dire au St Autel : « Mon Dieu, embrasez ma soeur de votre amour », je vous en suis profondément reconnaissante et je n'ai pas de peine à vous assurer que vos conditions sont et seront toujours acceptées. Tout ce que je demande à Jésus pour moi, je le demande aussi pour vous ; lorsque j'offre mon faible amour au Bien-Aimé, je me permets d'offrir le vôtre en même temps. Comme Josué vous combattez dans la plaine, moi je suis votre petit Moïse, et sans cesse mon coeur est élevé vers le Ciel pour obtenir la victoire. O mon Frère, que vous seriez à plaindre si Jésus Lui-même ne soutenait les bras de votre Moïse !... Mais avec le secours de la prière que tous les jours vous adressez pour moi au Divin Prisonnier d'amour, j'espère que vous ne serez jamais à plaindre, et qu'après cette vie pendant laquelle nous aurons ensemble semé dans les larmes, nous nous retrouverons joyeux portant des gerbes en nos mains.
J'ai beaucoup aimé le petit sermon que vous avez adressé à Notre bonne Mère pour l'exhorter à rester encore sur la terre ; il n'est pas long mais, comme vous le dites, il n'y a rien à répliquer, je vois que vous n'aurez pas beaucoup de peine à convaincre vos auditeurs lorsque vous prêcherez, et j'espère qu'une abondante moisson d'âmes sera cueillie et offerte par vous au Seigneur. - Je m'aperçois que je suis au bout de mon papier, ce qui me force d'arrêter mon griffonnage. Je veux cependant vous dire que tous vos anniversaires seront fidèlement fêtés par moi. Le 3 juillet me sera particulièrement cher puisqu'en ce jour vous avez reçu Jésus pour la 1re fois et qu'à cette même date, j'ai reçu Jésus de votre main et assisté à votre 1re messe au Carmel.
Bénissez, mon Frère, votre indigne soeur.
Thérèse de l'Enfant Jésus.
rel.carm.ind.
[2v°tv] (Je recommande à vos prières un jeune séminariste qui voudrait être missionnaire, sa vocation vient d'être ébranlée par l'année militaire.)
LT 202 A Mme Guérin.
J.M.J.T.
Jésus _ 16 Novembre 1896
Ma chère Tante,
Il est bien triste pour votre petite fille d'être obligée de confier à une froide plume le soin de vous traduire les sentiments de son coeur... Peut-être allez-vous me dire en souriant « Mais ma petite Thérèse, me les traduirais-tu plus facilement par des paroles ?... » Ma Tante chérie, je suis obligée de l'avouer, non, c'est vrai, je ne trouve pas d'expressions qui satisfassent les aspirations de mon coeur.
Le poète qui a osé dire :
« Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement
Et les mots pour le dire arrivent aisément »
ce poète ne sentait pas certainement ce que je [1v°] sens au fond de mon âme ! ! !...
Heureusement, j'ai pour me consoler le profond Père Faber, lui comprenait bien que les mots et les phrases d'ici-bas ne sont pas capables d'exprimer les sentiments du coeur et que les coeurs pleins sont ceux qui se renferment le plus en eux-mêmes.
Ma chère Tante, je vais vous ennuyer avec mes citations, d'autant plus que les lettres de mes quatre aimables soeurs sont là pour donner un démenti à mes paroles. Eh bien ! ma Tante chérie, soyez sûre que malgré toute leur éloquence, elles ne vous chérissent pas plus que moi qui ne sais pas vous le dire en termes choisis... Si vous ne me croyez pas maintenant, un jour lorsque nous serons tous réunis dans le beau Ciel vous serez obligée de constater que la plus petite de vos enfants ne l'était pas en tendresse et en reconnaissance, qu'elle n'était la plus petite qu'en âge et en sagesse.
Je vous en prie, ma chère Tante, priez le Bon Dieu que je grandisse en sagesse, comme [2r°] le Divin Enfant Jésus, ce n'est pas ce que je fais, je vous l'assure, demandez à notre chère petite Marie de l'Eucharistie, elle vous dira que je ne mens pas ; de jour en jour, je deviens plus maligne, et cependant il y a bientôt neuf ans que je suis dans la maison du Seigneur. Je devrais donc être déjà avancée dans les voies de la perfection, mais je suis encore au bas de l'échelle ; cela ne me décourage pas et je suis aussi gaie que la cigale, comme elle je chante toujours, espérant à la fin de ma vie participer aux richesses de mes soeurs qui sont bien plus généreuses que la fourmi. J'espère aussi, ma chère Tante, avoir une belle place au banquet Céleste, voici pourquoi : Lorsque les Saints et les Anges sauront que j'ai l'honneur d'être votre petite fille, ils ne voudront pas me faire le chagrin de me placer loin de vous... Ainsi je jouirai à cause de vos vertus des biens éternels. Ah ! vraiment je suis née sous une heureuse étoile et mon coeur se fond de reconnaissance envers le Bon Dieu qui m'a donné des parents [2v°] comme on n'en trouve plus sur la terre.
Puisque, ma chère petite Tante, je suis une pauvre cigale qui n'a rien que ses chants (encore ne peut-elle chanter qu'au fond de son coeur, sa voix étant peu mélodieuse) je chanterai mon plus bel air le jour de votre fête et je tâcherai d'avoir un accent si touchant que tous les Saints prenant en pitié ma misère me donneront des trésors de grâces que je serai ravie de vous offrir. Je n'oublierai pas non plus de fêter avec les richesses des Saints ma chère Bonne-Maman, ils seront si généreux que mon coeur n'aura rien à désirer de plus et je vous assure, ma Tante, que ce n'est pas peu dire, car mes désirs sont bien grands.
Je prie mon cher Oncle de vous embrasser bien tendrement pour moi. Si Francis, Jeanne et Léonie veulent en faire autant, je chanterai un petit air pour les remercier (cela va sans dire que mon oncle ne sera pas oublié dans ma gaie chanson).
Pardonnez-moi, ma Tante chérie, de vous dire tant de choses qui n'ont ni rime ni raison et croyez que je vous aime de tout mon coeur
Thérèse de l'Enfant Jésus
rel.carm.ind.
LT 203 A Mère Agnès de Jésus.
4 décembre 1896
J.M.J.T.
Petite Mère est par trop mignonne !... Si elle ne sait pas ce qu'elle est, moi je le sais bien et je l'AIME !... Oh oui ! mais que mon affection est pure !... c'est celle d'une enfant qui admire l'humilité de sa Mère. Vous me faites plus de bien que tous les livres du monde !...
LT 204 A Mère Agnès de Jésus.
18 Décembre 96
La Sainte Vierge est si contente d'avoir un petit âne et une petite servante qu'elle les fait courir de droite et de gauche pour son plaisir, aussi n'est-ce pas étonnant que la petite Mère tombe quelquefois...
Oui mais quand le petit Jésus sera grand, qu'il n'aura plus besoin d'apprendre le « petit métier de la boutique », il préparera une petite place à la petite Mère dans son royaume qui n'est pas de ce monde et puis à son tour « Il ira et viendra pour la servir ». Plus d'un petit nez tiré par la petite Mère sera obligé de se lever pour regarder celle qui n'eut d'autre ambition que d'être l'âne du petit Jésus.
LT 205 A soeur Marie de Saint-Joseph.
Décembre (?) 1896
Que c'est vilain de passer son temps à se morfondre, au lieu de s'endormir sur le Coeur de Jésus !...
Si la nuit fait peur au petit enfant, s'il se plaint de ne pas voir Celui qui le porte, qu'il ferme les yeux, qu'il fasse volontairement le sacrifice qui lui est demandé et puis qu'il attende le sommeil... en se tenant ainsi paisible, la nuit qu'il ne regardera plus ne pourra pas l'effrayer, et bientôt le calme sinon la joie [v°j renaîtra dans son petit coeur.
Est-ce trop demander au petit enfant que de fermer les yeux ?... de ne pas lutter contre les chimères de la nuit ?... Non, ce n'est pas trop et le petit enfant va s'abandonner, il va croire que Jésus le porte, il va consentir à ne pas le voir et laisser bien loin la crainte stérile d'être infidèle (crainte qui ne convient pas à un enfant).
(Un ambassadeur.)
LT 206 A soeur Marie de Saint-Joseph.
Décembre (?) 1896
Le petit A. n'a pas envie de sauter de la nacelle, mais il est là pour montrer le Ciel au petit Enf. ; il veut que tous ses regards, toutes ses délicatesses soient pour Jésus. Aussi serait-il bien content de voir le petit Enf. se priver de consolations par trop enfantines et indignes d'un missionnaire et d'un guerrier... J'aime beaucoup mon p.E... et Jésus l'aime encore plus.
LT 207 A soeur Geneviève.
Décembre (?) 1896
J.M.J.T.
Pauvre, pauvre, il ne faut pas avoir le coeur gros parce que Mr T. a été pris au piège !... Lorsqu'il aura des ailes vous aurez beau lui tendre des trébuchets, il n'y tombera pas, ni vous non plus, pauvre D. C'est lui qui vous tendra la main, vous attachera deux jolies petites ailes blanches et tous les deux nous volerons bien haut, bien loin, nous irons même secouer nos petites ailes argentées jusqu'à Saigon... C'est tout ce que nous pourrons [v°] faire de mieux pour lui puisque c'est Jésus qui nous veut deux chérubins et non deux fondatrices, en ce moment c'est certain, s'il change d'idée nous en changerons aussi voilà tout !...
LT 208 A soeur Geneviève.
Hiver 1896-1897
J.M.J.T.
Je vous supplie très humblement de faire grâce au pauvre Mr de sa chaufferette demain... mais je vous supplie encore de veiller à ce qu'il soit réveillé pour les Heures. Il craint que son papier ne serve à rien, l'éveilleuse étant habituée à voir la demoiselle venir étriller le Mr, chaque matin, pour le tirer doucement de ses rêves.
Ne vous faites pas de peine, pauvre demoiselle, obligée de porter des petits pots à droite et à gauche, un jour Jésus à son tour « ira et viendra pour vous servir », et ce jour viendra bientôt.
LT 209 A soeur Geneviève.
Hiver 1896-1897
(?)
N'oubliez pas de réveiller Mr T. demain, pauvre Dlle L. humiliée par tout le monde, mais aimée de Jésus et de Mr T.
LT 210 A soeur Geneviève.
Hiver 1896-1897
(?)
Voulez-vous regarder demain matin si Mr Toto a entendu la matraque ?...
LT 211 A soeur Geneviève.
24 décembre 1896
Noël 1896
Ma petite fille chérie,
Si tu savais combien tu réjouis mon coeur et celui de mon petit Jésus, oh ! que tu serais heureuse !... Mais tu ne sais pas, tu ne vois pas et ton âme est dans la tristesse. Je voudrais [1v°/2r°] pouvoir te consoler, si je ne le fais pas, c'est que je connais le prix de la souffrance et de l'angoisse du coeur. O mon enfant chérie ! Si tu savais combien mon âme a été plongée dans l'amertume lorsque je voyais mon tendre époux St Joseph revenir tristement vers moi sans avoir trouvé d'hôtellerie.
Si tu veux supporter en paix l'épreuve de ne pas te plaire à toi-même, tu me donneras un doux asile, il est vrai que tu souffriras puisque tu seras à la porte de chez toi, mais ne crains pas, plus tu seras pauvre, plus Jésus t'aimera, Il ira loin, bien loin pour te chercher, si parfois tu t'égares un peu. Il aime mieux te voir heurter dans la nuit les pierres du chemin que marcher en plein jour sur une route émaillée de fleurs qui pourraient retarder ta marche. Je t'aime, ô ma Céline, je t'aime plus que tu ne saurais le comprendre...
[2v°] Je me réjouis de te voir désirer de grandes choses et je t'en prépare de plus grandes encore... ; Un jour tu viendras avec ta Thérèse dans le beau Ciel, tu prendras place sur les genoux de mon Jésus bien-aimé et moi je te prendrai aussi dans mes bras et je te comblerai de caresses car je suis ta Mère, ta Maman chérie.
(Marie la Reine des petits anges.)
LT 212 A soeur Marie de la Trinité.
24 décembre
1896
Nuit de Noël 1896.
Ma petite Epouse chérie,
Oh ! que je suis content de toi... Toute l'année tu m'as beaucoup amusé en jouant aux quilles. J'ai eu tant de plaisir que la cour des anges en était surprise et charmée, plus d'un petit chérubin m'a demandé pourquoi je ne l'avais pas fait enfant... plus d'un m'a demandé encore si la [1v°] mélodie de sa harpe ne m'était pas plus agréable que ton rire joyeux lorsque tu fais tomber une quille avec la boule de ton amour ? J'ai répondu à mes petits chérubins qu'ils ne devaient pas se faire de peine de n'être point enfants puisqu'un jour ils pourraient jouer avec toi dans les prairies du Ciel, je leur ai dit que certainement ton sourire m'était plus doux que leurs mélodies, parce que tu ne pouvais jouer et sourire qu'en [2r°] souffrant en t'oubliant toi-même.
Ma petite épouse bien-aimée, j'ai quelque chose à te demander, vas-tu me le refuser ?... Oh non ! tu m'aimes trop pour cela. Eh bien ! je vais t'avouer que je voudrais changer de jeu les quilles, ça m'amuse bien, mais je voudrais maintenant jouer à la Toupie et, si tu veux, c'est toi qui seras ma toupie. Je t'en donne une pour modèle, tu vois qu'elle n'est pas belle, quiconque ne sait pas s'en servir la repoussera du pied, mais [2v°j un enfant sautera de joie en la voyant, il dira : « Ah ! que c'est amusant, cela peut marcher toute la journée sans s'arrêter. »
Moi le petit Jésus, je t'aime, bien que tu sois sans charmes, et je te supplie de toujours marcher pour m'amuser... Mais pour faire tourner la toupie, il faut des coups de fouet... Eh bien ! laisse tes soeurs te rendre ce service et sois reconnaissante envers celles qui seront les plus assidues à ne pas te laisser ralentir dans ta marche. Lorsque je me serai bien amusé avec toi, je t'emporterai là-haut et nous pourrons jouer sans souffrir...
(Ton petit Frère Jésus.)
LT 213 A l'abbé Bellière.
J.M.J.T.
Carmel de Lisieux
Jésus _ 26 Décembre 1896.
Monsieur l'Abbé,
J'aurais voulu pouvoir vous répondre plus tôt mais la règle du Carmel ne permet pas d'écrire ni de recevoir des lettres pendant le temps de l'avent, cependant Notre Vénérée Mère ma permis par exception de lire la vôtre, comprenant que vous aviez besoin d'être particulièrement soutenu par la prière.
Je vous assure, Monsieur l'Abbé, que je fais tout ce qui dépend de moi pour vous obtenir les grâces qui vous sont nécessaires, ces grâces certainement vous seront accordées puisque Notre Seigneur ne nous demande jamais de sacrifices au-dessus de nos forces. Parfois, il est vrai, ce divin Sauveur nous fait sentir toute l'amertume du calice qu'il présente à notre âme. Lorsqu'il demande le sacrifice de tout ce qui est le plus cher en ce monde, il est impossible à moins d'une grâce toute particulière de ne pas s'écrier comme Lui au jardin de l'agonie : « Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi... cependant que [1v°] votre volonté soit faite et non la mienne. »
Il est bien consolant de penser que Jésus, le Dieu Fort, a connu nos faiblesses, qu'il a tremblé à la vue du calice amer, ce calice qu'autrefois il avait si ardemment désiré de boire...
Monsieur l'Abbé, votre part est vraiment belle puisque Notre Seigneur l'a choisie pour Lui et que le premier il a trempé ses lèvres à la coupe qu'il vous présente.
Un Saint l'a dit : Le plus grand honneur que Dieu puisse faire à une âme, ce n'est pas de lui donner beaucoup, c'est de lui demander beaucoup ! Jésus vous traite donc en privilégié. Il veut que déjà vous commenciez votre mission et que par la souffrance vous sauviez les âmes. N'est-ce pas en souffrant, en mourant que Lui-même a racheté le monde ?... Je sais que vous aspirez au bonheur de sacrifier votre vie pour le divin Maître, mais le martyre du coeur n'est pas moins fécond que l'effusion du sang et dès maintenant ce martyre est le vôtre ; j'ai donc bien raison de dire que votre part est belle, qu'elle est digne d'un apôtre du Christ.
Monsieur l'Abbé, vous venez chercher des consolations auprès de celle que Jésus vous a donnée pour soeur et vous en avez le droit. Puisque notre Révérende Mère me permet de vous écrire, je voudrais répondre à la douce mission qui m'est confiée, mais je sens que le plus sûr moyen d'arriver à mon but, c'est de prier et de souffrir...
[2r°] Travaillons ensemble au salut des âmes, nous n'avons que l'unique jour de cette vie pour les sauver et donner ainsi au Seigneur des preuves de notre amour. Le lendemain de ce jour sera l'éternité, alors Jésus vous rendra au centuple les joies si douces et si légitimes que vous lui sacrifiez, il connaît l'étendue de votre sacrifice, il sait que la souffrance de ceux qui vous sont chers augmente encore la vôtre mais Lui aussi a souffert ce martyre ; pour sauver nos âmes il a quitté sa Mère, il a vu la Vierge Immaculée, debout au pied de la croix, le coeur transpercé d'un glaive de douleur, aussi j'espère que notre Divin Sauveur consolera votre bonne Mère, et je le lui demande instamment. Ah ! si le divin Maître laissait entrevoir à ceux que vous allez quitter pour son amour, la gloire qu'il vous réserve, la multitude d'âmes qui formeront votre cortège au Ciel, ils seraient déjà récompensés du grand sacrifice que votre éloignement va leur causer.
Notre Mère est encore souffrante, elle se trouve cependant un peu mieux depuis quelques jours, j'espère que le Divin Enfant Jésus va lui rendre des forces qu'elle dépensera pour sa gloire. Cette Vénérée Mère vous envoie l'image de St François d'Assise qui vous enseignera le moyen de trouver la joie au milieu des épreuves et des combats de la vie.
J'espère, Monsieur l'Abbé, que vous voudrez bien [2v°] continuer de prier pour moi qui ne suis pas un ange comme vous paraissez le croire, mais une pauvre petite carmélite bien imparfaite et qui cependant malgré sa pauvreté a comme vous le désir de travailler pour la gloire du Bon Dieu.
Restons unis par la prière et la souffrance près de la crèche de Jésus.
Votre indigne petite soeur
Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
rel.carm.ind.
LT 214 A soeur Geneviève.
3 janvier 1897(?)
Bonne fête ! !..
Monsieu Toto souète une bonne fête a madmoisel Lili.
LT 215 A soeur Marie du Sacré-Coeur.
Début 1897(?)
J.M.J.T.
Le Bon Jésus vous aime de tout son Coeur et moi aussi marraine chérie ! ! !...
Th. de l'Enfant Jésus
rel.carm.
LT 216 A Mère Agnès de Jésus.
J.M.J.T.
Jésus _ 9 Janvier 1897
Ma petite Mère chérie, si vous saviez combien je suis touchée de voir à quel point vous m'aimez !... Oh ! jamais je ne pourrai vous témoigner ma reconnaissance ici-bas... J'espère aller bientôt là-haut. Puisque « S'il y a un Ciel, il est pour moi », je serai riche, j'aurai tous les trésors du bon Dieu et Lui-même sera mon bien, alors je pourrai vous rendre au centuple tout ce que je vous dois. Oh ! je m'en fais une fête... Cela me fait tant de peine de toujours recevoir sans jamais donner.
J'aurais bien voulu ne pas voir couler les larmes de ma petite Mère, mais ce que j'ai été heureuse de voir c'est le bon effet qu'elles ont produit, c'était magique. Ah ! moi je n'en veux àpersonne quand ma petite Mère est regardée de travers, car je vois trop bien que les soeurs ne sont que des instruments posés de travers par Jésus lui-même afin que la voie de la petite Mère (à la petite Thérèse) ressemble à celle qu'il a choisie pour Lui, lorsqu'Il était voyageur sur la terre d'exil... Alors son visage était comme caché, [v°] personne ne le reconnaissait, Il était un objet de mépris... Ma petite Mére n'est pas un objet de mépris, mais bien peu la reconnaissent depuis que Jésus a caché son visage !...
O ma Mère ! que votre part est belle !... Elle est vraiment digne de vous, la privilégiée de notre famille, de vous qui nous montrez le chemin comme cette petite hirondelle que l'on voit toujours à la tête de ses compagnes et qui trace dans les airs la voie qui doit les conduire à leur nouvelle patrie.
Oh ! comprenez l'affection de votre petite fille qui voudrait vous dire tant tant de choses !
LT 217 A soeur Marie de Saint-Joseph.
Janvier 1897 (?)
J.M.J.T.
Charmants les petits couplets... Que c'est vilain d'aller mendier chez les autres lorsqu'on a sa bourse toute pleine ! Mais ce n'est pas vilain de dormir, d'être gentil et gai, c'est « le petit métier de la boutique » et jamais elle ne doit fermer, même pas les dimanches et fêtes. C'est-à-dire les jours que Jésus se réserve pour éprouver nos âmes... Chantez comme un pinson vos gracieux refrains, moi comme un pauvre petit passereau je gémis dans mon coin, chantant comme le Juif errant : La mort ne me peut rien, je m'en aperçois bien !...
[v°] Je n'entends plus parler de la fameuse nappe ; en est-il encore question ?
LT 218 Au frère Siméon.
J.M.J.T.
Jésus _ Carmel de Lisieux 27 Janvier 97
Monsieur le Directeur,
Je suis heureuse de me joindre à ma soeur Geneviève pour vous remercier de la précieuse faveur que vous avez obtenue à notre Carmel.
Ne sachant comment vous exprimer ma reconnaissance, c'est aux pieds de Notre Seigneur que je veux par mes pauvres prières vous montrer combien je suis touchée de votre bonté pour nous...
Un sentiment de tristesse s'est mêlé à ma joie en apprenant que votre santé avait été ébranlée, aussi je demande de tout mon coeur à Jésus de prolonger le plus longtemps possible votre vie si précieuse à l'Eglise. Je sais bien que ce divin Maître doit avoir hâte [1v°] de vous couronner au Ciel mais j'espère qu'Il vous laissera encore dans l'exil afin que, travaillant à sa gloire comme vous l'avez fait depuis votre jeunesse, le poids immense de vos mérites supplée pour d'autres âmes qui se présenteront devant Dieu les mains vides.
J'ose espérer, Très Cher Frère, que je serai du nombre de ces heureuses âmes qui auront part à vos mérites, je crois que ma course ici-bas ne sera pas longue... lorsque je paraîtrai devant mon Epoux Bien-Aimé je n'aurai que mes désirs à Lui présenter, mais si vous m'avez précédée dans la Patrie j'espère que vous viendrez à ma rencontre et présenterez pour moi le mérite de vos oeuvres si fécondes... Vous voyez que jamais vos petites carmélites ne pourront vous écrire sans réclamer quelque faveur et sans faire appel à votre générosité ! ! !...
Monsieur le Directeur, vous êtes si puissant pour nous sur la terre, vous nous avez obtenu tant de fois déjà la bénédiction [2r°] de notre Saint Père Léon XIII que je ne puis m'empêcher de penser qu'au Ciel le Bon Dieu vous donnera une puissance bien grande sur son Coeur. Je vous supplie de ne pas m'oublier près de Lui si vous avez le bonheur de Le voir avant moi... La seule chose que je vous prie de demander pour mon âme, c'est la grâce d'aimer Jésus et de le faire aimer autant que cela m'est possible.
Si c'est moi que Notre Seigneur vient chercher la première, je vous promets de prier dans vos intentions et pour toutes les personnes qui vous sont chères. D'ailleurs je n'attends pas le Ciel pour faire cette prière, dès maintenant je suis heureuse de pouvoir ainsi vous prouver ma profonde gratitude.
Dans le Sacré Coeur de Jésus, je serai toujours heureuse de me dire, Monsieur le Directeur,
Votre petite carmélite reconnaissante
Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
rel.carm.ind.
LT 219 A Mère Agnès de Jésus.
22 février 1897
Merci petite Mère ! - votre nez a été cassé, oui mais ! ! il est long !... Il vous en restera toujours assez, au lieu que le mien si je le faisais casser, il ne m'en resterait plus !... Ah ! que nous sommes heureuses de savoir rire de tout... Oh ! oui !... il n'y a pas de mais pour cela...
LT 220 A l'abbé Bellière.
(Carmel de Lisieux) J.M.J.T.
Mercredi soir - 24 Février 1897
Jésus _
Monsieur l'Abbé,
Avant d'entrer dans le silence de la sainte quarantaine je veux joindre un petit mot à la lettre de Notre Vénérée Mère, pour vous remercier de celle que vous m'avez envoyée le mois dernier.
Si vous éprouvez de la consolation en pensant qu'au Carmel, une soeur prie sans cesse pour vous, ma reconnaissance n'est pas moins grande que la vôtre envers Notre Seigneur qui m'a donné un petit frère qu'Il destine à devenir son Prêtre et son Apôtre... Vraiment vous ne saurez qu'au Ciel combien vous m'êtes cher. Je sens que nos âmes sont faites pour se comprendre, votre prose que vous dites « rude et courte » me révèle que Jésus a mis en votre coeur des aspirations qu'Il ne donne qu'aux âmes appelées à la plus haute sainteté. Puisque Lui-même m'a choisie pour être votre soeur, j'espère qu'Il ne regardera pas ma faiblesse ou plutôt qu'Il se servira de cette faiblesse même pour faire son oeuvre ; car Le Dieu Fort aime à montrer sa puissance en se servant du rien. - Unies en Lui, nos âmes pourront en sauver [1v°] beaucoup d'autres car ce doux Jésus a dit : « Si deux d'entre vous s'accordent ensemble, quelque chose qu'ils demandent à mon Père elle leur sera accordée. » Ah ! ce que nous Lui demandons, c'est de travailler pour sa gloire, c'est de l'aimer et de le faire aimer... Comment notre union et notre prière ne seraient-elles pas bénies ?
Monsieur l'Abbé, puisque le cantique sur l'amour vous a fait plaisir, notre Bonne Mère m'a dit de vous en copier plusieurs autres, mais vous ne les recevrez que dans quelques semaines, car j'ai peu d'instants libres même le dimanche à cause de mon emploi de sacristine. Ces pauvres poésies vous révéleront non pas ce que je suis, mais ce que je voudrais et devrais être... En les composant j'ai regardé plus au fond qu'à la forme, aussi les règles de la versification ne sont pas toujours respectées, mon but était de traduire mes sentiments (ou plutôt les sentiments de la carmélite) afin de répondre aux désirs de mes soeurs. Ces vers conviennent plutôt à une religieuse qu'à un séminariste, j'espère cependant qu'ils vous feront plaisir. Votre âme n'est-elle pas la fiancée de l'Agneau Divin et ne deviendra-t-elle pas bientôt son épouse, le jour béni de votre ordination au Sous-Diaconat ?
Je vous remercie, Monsieur l'Abbé, de m'avoir choisie pour marraine du premier enfant que vous aurez la joie de baptiser, c'est donc à moi de choisir les noms de mon futur filleul ; je désire lui donner pour protecteurs la Ste Vierge, St Joseph et St Maurice, patron de mon cher petit frère. Sans doute cet enfant n'existe encore que dans la pensée du Bon Dieu, mais déjà je prie pour [2r°] lui et remplis par avance mes devoirs de marraine. Je prie aussi pour toutes les âmes qui vous seront confiées et surtout je supplie Jésus d'embellir la vôtre de toutes les vertus et particulièrement de son amour. Vous me dites que bien souvent vous priez aussi pour votre soeur ; puisque vous avez cette charité, je serais très heureuse si chaque jour vous consentiez à faire pour elle cette prière qui renferme tous ses désirs : « Père miséricordieux, au nom de notre Doux Jésus, de la Vierge Marie et des Saints, je vous demande d'embraser ma soeur de votre Esprit d'Amour et de lui accorder la grâce de vous faire beaucoup aimer. » Vous m'avez promis de prier pour moi toute votre vie, sans doute elle sera plus longue que la mienne et il ne vous est pas permis de chanter comme moi : « J'en ai l'espoir mon exil sera court !... » mais il ne vous est pas permis non plus d'oublier votre promesse. Si le Seigneur me prend bientôt avec Lui, je vous demande de continuer chaque jour la même petite prière, car je désirerai au Ciel la même chose que sur la terre : Aimer Jésus et le faire aimer.
Monsieur l'abbé, vous devez me trouver bien étrange, peut-être regrettez-vous d'avoir une soeur qui paraît vouloir aller jouir du repos éternel et vous laisser travailler seul... mais rassurez-vous, la seule chose que je désire, c'est la volonté du Bon Dieu, et j'avoue que si dans le Ciel je ne pouvais plus travailler pour sa gloire, j'aimerais mieux l'exil que la patrie.
Je ne connais pas l'avenir, cependant si Jésus réalise [2v°] mes pressentiments. je vous promets de rester votre petite soeur Là-haut. Notre union loin d'être brisée deviendra plus intime, alors il n'y aura plus de clôture, plus de grilles et mon âme pourra voler avec vous dans les lointaines missions. Nos rôles resteront les mêmes, à vous les armes apostoliques, à moi la prière et l'amour...
Monsieur l'Abbé, je m'aperçois que je m'oublie, il est tard, dans quelques minutes l'office divin va sonner et cependant j'ai encore une demande à vous faire. - Je voudrais bien que vous m'écriviez les dates mémorables de votre vie afin que je puisse m'unir à vous d'une façon toute particulière pour remercier Notre Doux Sauveur des grâces qu'Il vous a accordées.
Dans le Coeur Sacré de Jésus-Hostie qui sera bientôt exposé à nos adorations je suis heureuse de me dire pour toujours
Votre toute petite et indigne soeur
Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
rel.carm.ind.
LT 221 Au P. Roulland.
Jésus _ 19 Mars 1897
Mon Frère,
Notre bonne Mère vient de me remettre vos lettres malgré le Carême (temps où l'on n'écrit pas au Carmel). Elle veut bien me permettre de vous répondre aujourd'hui, car nous craignons que notre lettre de Novembre soit allée visiter les profondeurs du Fleuve Bleu. Les vôtres datées en Septembre ont fait une heureuse traversée et sont venues réjouir votre mère et votre petite soeur le jour de la fête de Tous les Saints ; celle du 20 Janvier nous arrive sous la protection de saint Joseph. Puisque vous prenez exemple sur moi pour m'écrire sur toutes les lignes, je ne veux pas perdre cette bonne habitude qui cependant rend ma vilaine écriture encore plus difficile à déchiffrer... Ah ! quand donc n'aurons-nous plus besoin d'encre et de papier pour nous communiquer nos pensées ? Vous avez manqué, mon frère, d'aller visiter déjà ce pays enchanté où l'on peut se faire comprendre sans écrire et même sans parler ; de tout mon coeur, je remercie le bon Dieu de vous avoir laissé sur le champ de bataille afin que pour Lui vous remportiez de nombreuses victoires ; déjà vos souffrances ont sauvé bien des âmes. Saint Jean de la Croix a dit : « Le plus [1v°] petit mouvement de pur amour est plus utile à l'Eglise que toutes les oeuvres réunies. » S'il en est ainsi, combien vos peines et vos épreuves doivent être profitables à l'Eglise, puisque c'est pour le seul amour de Jésus que vous les souffrez avec joie. Vraiment, mon frère, je ne puis vous plaindre, puisqu'en vous se réalisent ces paroles de l'Imitation : « Quand vous trouverez la souffrance douce et que vous l'aimerez pour l'amour de Jésus-Christ, vous aurez trouvé le Paradis sur terre. » Ce Paradis, c'est bien celui du missionnaire et de la carmélite ; la joie que les mondains recherchent au sein des plaisirs n'est qu'une ombre fugitive, mais notre joie, cherchée et goûtée dans les travaux et les souffrances, c'est une bien douce réalité, un avant-goût de la félicité du Ciel.
Votre lettre, tout imprégnée de sainte gaieté, m'a bien intéressée, j'ai suivi votre exemple et j'ai ri de bon coeur aux dépens de votre cuisinier que je vois défonçant sa marmite... votre carte de visite m'a aussi bien amusée, je ne sais pas même de quel côté la tourner, je suis comme un enfant qui veut lire dans un livre en le mettant à l'envers.
Mais pour revenir à votre cuisinier, croiriez-vous que parfois au Carmel, nous avons aussi des aventures amusantes ?
Le Carmel comme le Sutchuen est pays étranger au monde, où l'on perd ses usages les plus primitifs, en voici un petit exemple. Une personne charitable nous a fait cadeau dernièrement d'un petit homard bien ficelé dans une bourriche. Sans doute il y avait longtemps que cette merveille ne s'était vue dans le monastère, notre bonne Soeur cuisinière se rappela cependant qu'il fallait mettre la petite bête dans l'eau pour la faire cuire ; elle le fit en gémissant d'être obligée d'exercer une telle cruauté sur une innocente créature. L'innocente créature paraissait endormie et [2r°] se laissait faire ce que l'on voulait ; mais aussitôt qu'elle sentit la chaleur, sa douceur se changea en furie et connaissant son innocence, elle ne demanda la permission de personne pour sauter au milieu de la cuisine, car son charitable bourreau n'avait pas mis de couvercle à la marmite. Aussitôt la pauvre Soeur s'arme de pincettes et court après le homard qui fait des sauts désespérés. La lutte continue assez longtemps, enfin de guerre lasse, la cuisinière toujours armée de ses pincettes vient tout éplorée trouver notre Mère et lui déclare que le homard est endiablé. Sa figure en disait encore plus long que ses paroles. (Pauvre petite créature si douce, si innocente tout à à à l'heure, te voilà donc endiablée vraiment, il ne faut pas croire aux compliments des créatures !) Notre Mère ne peut s'empêcher de rire en écoutant les déclarations du juge sévère qui réclame justice, elle se rendit aussitôt à la cuisine, prit le homard qui n'ayant pas fait voeu d'obéissance fit quelque résistance, puis l'ayant mis dans sa prison, s'en alla mais après avoir bien fermé la porte, c'est-à-dire le couvercle. Le soir à la récréation, toute la communauté rit aux larmes du petit homard endiablé et le lendemain chacune put en goûter une bouchée. La personne qui voulait nous régaler ne manqua pas son but, car le fameux homard ou plutôt son histoire nous servira plus d'une fois de festin, non pas au réfectoire, mais à la récréation. Ma petite histoire ne vous semble peut-être pas bien amusante, mais je puis vous assurer que si vous aviez assisté à la séance, vous n'auriez pas gardé votre sérieux... enfin, mon frère, si je vous ennuie, je vous prie de me pardonner, maintenant je vais parler plus sérieusement. Depuis votre départ, j'ai lu la vie de plusieurs missionnaires (dans ma lettre que vous n'avez peut-être pas reçue, je vous remerciais de la Vie du P. Nempon). J'ai lu, [2v°] entre autres, celle de Théophane Vénard qui m'a intéressée et touchée plus que je ne saurais dire ; sous cette impression, j'ai composé quelques couplets qui me sont tout à fait personnels, je vous les envoie cependant, notre bonne Mère m'a dit qu'elle pensait que ces vers seraient agréables à mon frère du Sutchuen. L'avant-dernier couplet réclame quelques explications : je dis qu'avec bonheur je partirais pour le Tonkin si le bon Dieu daignait m'y appeler. Cela vous surprendra peut-être, n'est-ce pas un rêve en effet qu'une carmélite songe à partir pour le Tonkin ? Eh bien ! non, ce n'est pas un rêve et je puis même vous assurer que si Jésus ne vient pas bientôt me chercher pour le Carmel du Ciel, je partirai un jour pour celui d'Hanoi, car maintenant il y a un Carmel dans cette ville, c'est celui de Saigon qui l'a fondé récemment. Vous avez visité ce dernier et vous savez qu'en Cochinchine un ordre comme le nôtre ne peut se soutenir sans sujets français, mais hélas ! les vocations sont bien rares et souvent les supérieures ne veulent point laisser partir des soeurs qu'elles croient capables de rendre service à leur propre communauté. Ainsi, dans sa jeunesse, notre bonne Mère fut empêchée par la volonté de son supérieur d'aller soutenir le carmel de Saigon, ce n'est pas à moi de m'en plaindre, je remercie le bon Dieu d'avoir si bien inspiré son représentant, mais je me souviens que les désirs des mères se réalisent parfois dans les enfants et je ne serais pas surprise d'aller sur la rive infidèle prier et souffrir comme notre Mère aurait voulu le faire... Il faut avouer que les nouvelles qu'on nous envoie du Tonkin ne sont cependant pas bien rassurantes à la fin de l'année dernière, des voleurs sont entrés dans le pauvre monastère, ils ont pénétré dans la cellule de la prieure qui ne s'est pas éveillée, mais le matin elle n'a pas trouvé son crucifix à côté d'elle (la nuit le crucifix d'une carmélite repose toujours près de sa tête attaché à l'oreiller), une petite armoire avait été brisée et le peu d'argent composant tout le trésor matériel de la Communauté avait disparu. Les Carmels de France, [3r°] touchés de la détresse de celui d'Hanoi se sont réunis afin de lui donner le moyen de faire bâtir un mur de clôture assez élevé pour empêcher les voleurs de pénétrer dans le monastère.
Peut-être voulez-vous savoir ce que notre Mère pense de mon désir d'aller au Tonkin ? Elle croit à ma vocation (car vraiment, il en faut une à part et toute Carmélite ne se sent pas appelée à s'exiler) mais elle ne croit pas que ma vocation puisse être jamais réalisée, il faudrait pour cela que le fourreau soit aussi solide que l'épée et peut-être (notre Mère le croit) le fourreau serait-il jeté dans la mer avant d'arriver au Tonkin. Ce n'est vraiment pas commode d'être composé d'un corps et d'une âme ! ce misérable frère l'âne, comme l'appelait saint François d'Assise, gêne souvent sa noble Soeur et l'empêche de s'élancer là où elle voudrait... Enfin je ne veux pas le maudire malgré ses défauts, il est encore bon à quelque chose puisqu'il fait gagner le Ciel à sa compagne et le gagne pour lui-même et plaît autant.
Je ne m'inquiète pas du tout de l'avenir, je suis sûre que le bon Dieu fera sa volonté, c'est la seule grâce que je désire, il ne faut pas être plus royaliste que le roi... Jésus n'a besoin de personne pour faire son oeuvre et s'il m'acceptait, ce serait par une pure bonté, mais à vous dire vrai, mon frère, je crois plutôt que Jésus me traitera comme une petite paresseuse ; je ne le désire pas, car je serais bien heureuse de travailler et de souffrir longtemps pour Lui, aussi je Lui demande de se contenter en moi, c'est-à-dire de ne faire aucune attention à mes désirs, soit de L'aimer en souffrant, soit d'aller jouir de Lui au Ciel. J'espère bien, mon frère, que si je quittais l'exil, vous n'oublieriez pas votre promesse de prier pour moi, vous avez toujours accueilli mes demandes avec une si grande bonté que j'ose encore vous en faire une. Je ne désire pas que vous demandiez au bon Dieu de me délivrer des flammes du purgatoire ; sainte Thérèse disait à ses filles [3v°] lorsqu'elles voulaient prier pour elle-même : « Que m'importe à moi de rester jusqu'à la fin du monde en purgatoire si par mes prières je sauve une seule âmes ! » Cette parole trouve écho dans mon coeur, je voudrais sauver des âmes et m'oublier pour elles ; je voudrais en sauver même après ma mort, aussi je serais heureuse que vous disiez alors au lieu de la petite prière que vous faites et qui sera pour toujours réalisée : « Mon Dieu, permettez à ma soeur de vous faire encore aimer. » Si Jésus vous exauce, je saurai bien vous témoigner ma reconnaissance... Vous me demandez, mon frère, de choisir entre les deux noms Marie ou Thérèse pour une des petites filles que vous baptiserez ; puisque les chinoises ne veulent pas deux protectrices au lieu d'une, il faut leur donner la plus puissante, c'est donc la Sainte Vierge qui l'emporte. Plus tard, lorsque vous baptiserez beaucoup d'enfants, vous feriez bien plaisir à ma soeur (carmélite comme moi) en appelant deux petites soeurs Céline et Thérèse, ce sont les noms que nous portions dans le monde. Céline, plus âgée que moi de presque quatre ans, est venue me rejoindre après avoir fermé les yeux de notre bon père ; cette chère Soeur ne connaît pas les rapports intimes que j'ai avec vous, seulement comme nous parlons souvent en récréation du missionnaire de notre Mère (nom que vous portez au Carmel de Lisieux), elle me disait dernièrement son désir que, par vous, Céline et Thérèse aillent revivre en Chine.
Excusez, mon frère, mes demandes et mon trop long bavardage et daignez bénir
Votre indigne petite Soeur
Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face
LT 222 A Mère Agnès de Jésus.
19 mars 1897
J.M.J.T.
Merci ma petite Mère. Oh ! oui Jésus vous aime et moi aussi !... Il vous en donne tous les jours des preuves et pas moi... oui mais quand je serai là-haut, mon petit bras sera tout comme s'il était long et ma petite Mère en saura des nouvelles.
LT 222 bis A M. Guérin.
3 avril 1897
Thérèse de l'Enfant Jésus qui est la plus petite mais qui n'a pas le moins d'amour ! ! !
Ce n'est pas vrai, c'est la fièvre que j'ai, tous les jours à 3h, heure militaire.
La petite Thérèse
Notre Père désire que Thérèse Pougheol entre ici à titre d'essai.
LT 223 A Mère Agnès de Jésus.
5 avril 1897
J'ai peur d'avoir fait de la peine à ma petite Mère, je l'aime pourtant ! oh oui ! mais je ne puis lui dire tout ce que je pense, il faut qu'elle le devine.
LT 224 A l'Abbé Bellière.
J.M.J.T.
25 Avril 1897
Alleluia.
Mon cher petit Frère,
Ma plume ou plutôt mon coeur se refuse à vous appeler désormais « monsieur l'Abbé », et notre bonne Mère m'a dit que je pouvais me servir en vous écrivant du nom que j'emploie toujours lorsque je parle de vous à Jésus. Il me semble que ce Divin Sauveur a daigné unir nos âmes pour travailler au salut des pécheurs, comme Il unit autrefois celles du Vble P. de la Colombière et de la Breuse Marguerite Marie. Je lisais dernièrement dans la vie de cette sainte : « Un jour que je m'approchais de Notre Seigneur pour le recevoir par la Ste communion, il me montra son Sacré Coeur comme une fournaise ardente et deux autres coeurs (le sien et celui du P. de la Cbière) qui s'y allaient unir et abîmer en me disant : C'est ainsi que mon pur amour unit ces trois coeurs pour toujours. Il me fit entendre encore que cette union était toute pour sa gloire et que pour cela, il voulait que nous fussions comme frère et soeur, également partagés de biens spirituels. Là-dessus, représentant à Notre Seigneur ma pauvreté et l'inégalité qu'il y avait entre un prêtre de si grande vertu et une pauvre pécheresse comme moi, il me dit [1v°] Les richesses infinies de mon Coeur suppléeront à tout et égaleront tout. »
Peut-être, mon Frère, la comparaison ne vous paraît pas juste ? Il est vrai que vous n'êtes point encore un P. de la Colombière, mais je ne doute pas qu'un jour vous serez comme lui un véritable apôtre du Christ. Pour moi la pensée ne me vient nullement à l'esprit de me comparer à la Bse Marg. Marie ; je constate simplement que Jésus m'a choisie pour être la soeur d'un de ses apôtres et les paroles que la sainte Amante de son Coeur lui adressait par humilité, je les lui répète, moi, en toute vérité ; aussi j'espère que ses richesses infinies suppléeront à tout ce qui me manque pour accomplir l'oeuvre qu'Il me confie.
Je suis vraiment heureuse que le bon Dieu se soit servi de mes pauvres vers pour vous faire un peu de bien, j'aurais été confuse de vous les envoyer si je ne m'étais souvenue qu'une soeur ne doit avoir rien de caché pour son frère. C'est bien avec un coeur fraternel que vous les avez accueillis et jugés... Vous avez sans doute été surpris de retrouver : « Vivre d'Amour », mon intention n'était pas de vous l'envoyer deux fois ; j'en avais commencé la copie quand j'ai pensé que vous l'aviez déjà, il était trop tard pour m'arrêter.
Mon cher petit Frère, je dois vous avouer que dans votre lettre il est une chose qui m'a causé de la peine, c'est que vous ne me connaissez pas telle que je suis en réalité. Il est vrai que pour trouver de grandes âmes il faut venir au Carmel ; ainsi que dans les forêts vierges, il y germe des fleurs d'un parfum et d'un éclat inconnus au monde. Jésus dans sa miséricorde a voulu que parmi ces fleurs, il en croisse de plus petites, jamais je ne pourrai l'en remercier assez, car [2r°] c'est grâce à cette condescendance que moi, pauvre fleur sans éclat, je me trouve dans le même parterre que les roses mes soeurs. O mon Frère ! je vous en prie croyez-moi, le bon Dieu ne vous a pas donné pour soeur une grande âme, mais une toute petite et très imparfaite.
Ne croyez pas que ce soit l'humilité qui m'empêche de reconnaître les dons du bon Dieu, je sais qu'Il a fait en moi de grandes choses et je le chante chaque jour avec bonheur. Je me souviens que celui-là doit aimer davantage à qui l'on a plus remis, aussi je tâche de faire que ma vie soit un acte d'amour et je ne m'inquiète plus d'être une petite âme, au contraire je m'en réjouis. Voilà pourquoi j'ose espérer que « mon exil sera court » mais ce n'est pas parce que je suis prête ; je sens que je ne le serai jamais si le Seigneur ne daigne me transformer Lui-Même ; Il peut le faire en un instant ; après toutes les grâces dont Il m'a comblée j'attends encore celle-là de sa miséricorde infinie.
Vous me dites, mon frère, de demander pour vous la grâce du martyre ; cette grâce, je l'ai bien souvent sollicitée pour moi, mais je n'en suis pas digne et vraiment on peut dire avec St Paul : Ce n'est pas l'ouvrage de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Puisque le Seigneur semble ne vouloir m'accorder que le martyre de l'amour, j'espère qu'Il me permettra par vous de cueillir l'autre palme que nous ambitionnons. Je vois avec plaisir que le bon Dieu nous a donné les mêmes attraits, les mêmes désirs. Je vous ai fait sourire, mon cher petit Frère, en chantant « mes Armes », eh bien ! je vais vous faire sourire encore en vous disant que j'ai, [2v°] dans mon enfance, rêvé de combattre sur les champs de bataille... Lorsque je commençais à apprendre l'histoire de France, le récit des exploits de Jeanne d'Arc me ravissait, je sentais en mon coeur le désir et le courage de l'imiter, il me semblait que le Seigneur me destinait aussi à de grandes choses. Je ne me trompais pas, mais au lieu de voix du Ciel m'invitant au combat, j'entendis au fond de mon âme une voix plus douce, plus forte encore, celle de l'Epoux des vierges qui m'appelait à d'autres exploits, à des conquêtes plus glorieuses, et dans la solitude du Carmel j'ai compris que ma mission n'était pas de faire couronner un roi mortel mais de faire aimer le Roi du Ciel, de lui soumettre le royaume des coeurs.
Il est temps que je m'arrête, et cependant je dois encore vous remercier des dates que vous m'envoyez, je voudrais bien que vous y joigniez aussi les années car je ne sais pas votre âge. Afin que vous excusiez ma simplicité, je vous envoie les dates mémorables de ma vie et c'est aussi dans l'intention que nous soyons particulièrement unis par la prière et la reconnaissance en ces jours bénis.
Si le bon Dieu me donne une petite filleule, je serai très heureuse de répondre à votre désir en lui donnant pour protecteurs la Ste Vierge, St Joseph et ma Patronne.
Enfin, mon cher petit Frère, je termine en vous priant d'excuser mon long griffonnage et le décousu de ma lettre.
Dans le Sacré Coeur de Jésus je suis pour l'éternité
Votre indigne petite soeur
Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
rel.carm.ind.
[2r°tv] (Il est bien entendu, n'est-ce pas, que nos rapports resteront secrets ? Personne excepté votre Directeur ne doit connaître l'union que Jésus a formée entre nos âmes.)
LT 225 A soeur Anne du Sacré-Coeur.
J.M.J.T.
Jésus _ 2 Mai. Fête du Bon Pasteur 1897
Ma bien chère Soeur,
Vous allez sans doute être bien surprise de recevoir une lettre de moi. Afin que vous me pardonniez de venir troubler le silence de votre solitude, je vais vous dire comment il se fait que j'ai le plaisir de vous écrire. La dernière fois que je suis allée en direction avec notre bonne Mère, nous avons parlé de vous et du cher carmel de Saigon. Notre Mère m'a dit qu'elle me permettait de vous écrire si cela me faisait plaisir. C'est avec joie que j'ai accepté cette proposition et je profite de la licence du Bon Pasteur pour venir m'entretenir quelques instants avec vous.
J'espère, ma chère Soeur, que vous ne m'avez pas ou [1v°]bliée, pour moi je pense bien souvent à vous, je me rappelle avec bonheur les années que j'ai passées en votre compagnie, et vous le savez, pour une carmélite, penser à une personne que l'on aime c'est prier pour elle. Je demande au Bon Dieu de vous combler de ses grâces et d'augmenter chaque jour en votre coeur son saint amour, je ne doute pas cependant que vous possédiez cet amour à un degré éminent. L'ardent soleil de Saigon n'est rien en comparaison du feu qui brûle dans votre âme. O ma Soeur ! je vous en prie, demandez à Jésus que moi aussi je l'aime et que je le fasse aimer ; je voudrais l'aimer non d'un amour ordinaire mais comme les Saints qui faisaient pour Lui des folies. Hélas ! que je suis loin de leur ressembler !...
Demandez encore à Jésus que je fasse toujours sa volonté, pour cela je suis prête à traverser le monde... et je suis prête aussi à mourir !
Le silence va finir tout à l'heure, il faut que je termine ma lettre et je vois que je [2r°] ne vous ai encore rien dit d'intéressant, heureusement que les lettres de nos Mères sont là pour vous donner toutes les nouvelles de notre carmel. Notre licence a été bien courte, mais si cela ne vous ennuie pas, je viendrai m'entretenir plus longtemps avec vous une autre fois.
Veuillez, ma bien chère Soeur, offrir mon respectueux et filial respect à votre Révérende Mère, elle ne me connaît pas, mais moi j'entends souvent parler d'elle à notre bonne Mère, je l'aime et je prie Jésus de la consoler dans ses épreuves.
Je vous quitte, ma chère Soeur, en vous restant bien unie dans le Coeur de Jésus, là je suis heureuse de me dire pour toujours
Votre toute petite soeur
Thérèse de l'Enfant-Jésus de la Ste Face
rel.carm.ind.
LT 226 An P. Roulland.
J.M.J.T.
Carmel de Lisieux 9 Mai 1897
Mon Frère,
J'ai reçu avec joie ou plutôt avec émotion les reliques que vous avez bien voulu m'envoyer, votre lettre est presque une lettre d'au revoir pour le Ciel, il me semblait en la lisant entendre le récit des épreuves de vos ancêtres dans l'apostolat.
Sur cette terre où tout change, une seule chose reste stable, c'est la conduite du Roi des cieux à l'égard de ses amis ; depuis qu'il a levé l'étendard de la Croix, c'est à son ombre que tous doivent combattre et remporter la victoire : « Toute vie de Missionnaire est féconde en Croix » disait Th. Vénard, et encore : « Le vrai bonheur est de souffrir. Et pour vivre il nous faut mourir. »
Mon Frère, les débuts de votre apostolat sont marqués du sceau de la croix, le Seigneur vous traite en privilégié ; c'est bien plus par la persécution et par la souffrance que par de brillantes prédications qu'Il veut affermir son règne dans les âmes. - Vous dites : « Je suis encore un petit enfant qui ne sait pas parler. » Le P. Mazel qui fut ordonné prêtre le même jour que vous, ne savait pas parler non plus, cependant il a déjà cueilli la palme... Oh ! que les pensées divines sont au-dessus des nôtres !... En apprenant la mort de ce jeune missionnaire que j'entendais nommer pour la première fois, je me suis sentie portée à l'invoquer, il me semblait le voir au Ciel dans le glorieux choeur des Martyrs. Je le sais, aux yeux des hommes son martyre ne porte pas ce nom, mais au regard du bon Dieu ce sacrifice sans gloire n'est pas moins fécond que ceux des premiers chrétiens qui confessaient leur foi devant les tribunaux. La persécution a changé de forme, les apôtres du Christ n'ont pas changé de sentiments, aussi leur Divin Maître ne saurait changer ses récompenses à moins que ce ne soit pour les augmenter en comparaison de la gloire qui leur est refusée ici-bas.
Je ne comprends pas, mon frère, que vous paraissiez douter de votre entrée immédiate au Ciel si les infidèles vous ôtaient la vie. [1v°] Je sais qu'il faut être bien pur pour paraître devant le Dieu de toute Sainteté, mais je sais aussi que le Seigneur est infiniment Juste et c'est cette justice qui effraye tant d'âmes qui fait le sujet de ma joie et de ma confiance. Etre juste, ce n'est pas seulement exercer la sévérité pour punir les coupables, c'est encore reconnaître les intentions droites et récompenser la vertu. J'espère autant de la justice du Bon Dieu que de sa miséricorde. C'est parce qu'Il est juste qu'« Il est compatissant et rempli de douceur, lent à punir et abondant en miséricorde. Car Il connaît notre fragilité, Il se souvient que nous ne sommes que poussière. Comme un père a de la tendresse pour ses enfants, ainsi le Seigneur a compassion de nous »... O mon Frère, en entendant ces belles et consolantes paroles du Prophète-Roi, comment douter que le Bon Dieu ne puisse ouvrir les portes de son royaume à ses enfants qui l'ont aimé jusqu'à tout sacrifier pour Lui, qui non seulement ont quitté leur famille et leur patrie pour le faire connaître et aimer, mais encore désirent donner leur vie pour Celui qu'ils aiment... Jésus avait bien raison de dire qu'il n'y a pas de plus grand amour que celui-là !
Comment donc se laisserait-Il vaincre en générosité ? Comment purifierait-Il dans les flammes du purgatoire des âmes consumées des feux de l'amour divin ? Il est vrai que nulle vie humaine n'est exempte de fautes, seule la Vierge Immaculée se présente absolument pure devant la Majesté Divine. Quelle joie de penser que cette Vierge est notre mère ! Puisqu'elle nous aime et qu'elle connaît notre faiblesse, qu'avons-nous à craindre.
Voici bien des phrases pour exprimer ma pensée ou plutôt pour ne pas arriver à le faire, je voulais simplement dire qu'il me semble que tous les missionnaires sont martyrs par le désir et la volonté, et que par conséquent pas un ne devrait aller en purgatoire. S'il reste dans leur âme au moment de paraître devant Dieu quelque trace de la faiblesse humaine, la Ste Vierge leur obtient la grâce de faire un acte d'amour parfait et puis leur donne la palme et la couronne qu'ils ont si bien méritées.
Voilà, mon Frère, ce que je pense de la justice du bon Dieu, ma voie est toute de confiance et d'amour, je ne comprends pas les âmes qui ont peur d'un si tendre Ami. Parfois lorsque [2r°] je lis certains traités spirituels où la perfection est montrée à travers mille entraves, environnée d'une foule d'illusions, mon pauvre petit esprit se fatigue bien vite, je ferme le savant livre qui me casse la tète et me dessèche le coeur et je prends l'Ecriture Sainte. Alors tout me semble lumineux, une seule parole découvre à mon âme des horizons infinis, la perfection me semble facile, je vois qu'il suffit de reconnaître son néant et de s'abandonner comme un enfant dans les bras du Bon Dieu. Laissant aux grandes âmes, aux grands esprits les beaux livres que je ne puis comprendre, encore moins mettre en pratique, je me réjouis d'être petite puisque les enfants seuls et ceux qui leur ressemblent seront admis au banquet céleste. Je suis bien heureuse qu'il y ait plusieurs demeures dans le royaume de Dieu, car s'il n'y avait que celle dont la description et le chemin me semblent incompréhensibles, je ne pourrais y entrer. Je voudrais bien cependant n'être pas trop éloignée de votre demeure ; en considération de vos mérites, j'espère que le bon Dieu me fera la grâce de participer à votre gloire, de même que sur la terre la soeur d'un conquérant, serait-elle dépourvue des dons de la nature, participe malgré sa pauvreté aux honneurs rendus à son frère.
Le premier acte de votre ministère en Chine m'a semblé ravissant. La petite âme dont vous avez béni la dépouille mortelle devait en effet vous sourire et vous promettre sa protection ainsi qu'aux vôtres. Combien je vous remercie de me compter parmi eux ! Je suis aussi profondément touchée et reconnaissante du souvenir que vous avez à la Sainte messe pour mes parents chéris. J'espère qu'ils sont maintenant en possession du Ciel vers lequel tendaient toutes leurs actions et leurs désirs ; cela ne m'empêche pas de prier pour eux, car il me semble que les âmes bienheureuses reçoivent une grande gloire des prières qui sont faites à leur intention et dont elles peuvent disposer pour d'autres âmes souffrantes.
Si, comme je le crois, mon père et ma mère sont au Ciel, ils doivent regarder et bénir le frère que Jésus m'a donné. Ils avaient tant désiré un fils missionnaire !... On m'a raconté qu'avant ma naissance, mes parents espéraient que leur voeu allait enfin se réaliser. S'ils avaient pu pénétrer le voile de l'avenir, ils auraient vu que c'était en effet par moi que leur désir serait accompli ; puisqu'un missionnaire est devenu mon frère, il est aussi leur fils, et dans leurs prières ils ne peuvent séparer le frère de son indigne soeur.
[2v°] Vous priez, mon Frère, pour mes parents qui sont au ciel, moi je prie souvent pour les vôtres qui sont encore sur la terre, c'est pour moi une bien douce obligation et je vous promets d'être toujours fidèle à la remplir, même si je quitte l'exil et plus encore peut-être puisque je connaîtrai mieux les grâces qui leur seront nécessaires ; et puis, lorsque leur course ici-bas sera finie, je viendrai les chercher en votre nom et les introduirai au Ciel. - Qu'elle sera douce la vie de famille dont nous jouirons pendant toute l'éternité !
En attendant cette bienheureuse éternité, qui dans peu de temps s'ouvrira pour nous, puisque la vie n'est qu'un jour, travaillons ensemble au salut des âmes ; moi je puis faire bien peu de chose, ou plutôt absolument rien si j'étais seule, ce qui me console c'est de penser qu'à vos côtés je puis servir à quelque chose ; en effet le zéro par lui-même n'a pas de valeur, mais placé près de l'unité il devient puissant, pourvu toutefois qu'il se mette du bon côté, après et non pas avant !... C'est bien là que Jésus m'a placée et j'espère y rester toujours, en vous suivant de loin, par la prière et le sacrifice.
Si j'écoutais mon coeur je ne terminerais pas ma lettre aujourd'hui mais la fin du silence va sonner, il faut que je porte ma lettre à notre bonne Mère qui l'attend.
Je vous prie donc, mon Frère, de bien vouloir envoyer votre bénédiction au petit zéro que le Bon Dieu a placé près de vous.
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste F.
rel.carm.ind.
LT 227 A soeur Geneviève.
13 mai 1897
Jésus est content de la petite Céline à laquelle Il s'est donné pour la 1re fois il y a 13 ans, il est plus fier de ce qu'Il fait dans son âme, [v°] de sa petitesse, de sa pauvreté, qu'Il n'est fier d'avoir créé les millions de soleils et l'étendue des Cieux !...
LT 228 A soeur Geneviève.
Avril-mai 1897
(?)
J'ai peur que Notre Mère ne soit pas contente, elle tient beaucoup aux frictions, surtout dans le dos. Si Mr Clodion vient dimanche agiter sa longue chevelure dans mon dos, il se demandera pourquoi l'on n'a point fait ce qu'il avait dit... Peut-être vaudrait-il mieux attendre à lundi ; enfin Pauvre, Pauvre, faites comme vous voudrez, tout sera prêt demain. Surtout ne parlez pas à ce Pauvre Mr, opérez comme bon vous semblera et souvenez-vous que nous devons être riches, trais riches tous les deux !...
LT 229 A Mère Agnès de Jésus.
23 mai 1897
J.M.J.T.
J'ai bien peur d'avoir fait de la peine à ma petite Mère... Ah ! moi qui voudrais être sa petite joie, je sens bien que je suis au contraire sa petite peine...
Oui, mais ! quand je serai loin de cette triste terre où les fleurs se flétrissent, où les oiseaux s'envolent, je serai tout près de ma Mère chérie, de l'Ange que Jésus a envoyé devant moi pour me préparer le chemin, la voie qui conduit au ciel, l'ascenseur qui devait m'élever sans fatigue vers les régions infinies de l'amour... Oui je serai tout près d'elle et sans quitter la Patrie, car ce n'est pas moi qui descendrai, c'est ma petite Mère qui montera là où je serai... Oh ! Si je savais comme elle exprimer ce que je pense, si je savais lui dire combien mon coeur déborde de reconnaissance et d'amour pour elle, je crois que je serais déjà sa petite joie même avant d'être loin de la triste terre.
Petite Mère chérie, le bien que vous avez fait à mon âme, c'est à Jésus que vous l'avez fait car Il a dit : Ce que vous ferez au plus petit d'entre les miens c'est à moi que vous l'aurez fait... Et c'est moi qui suis le plus petit...
LT 230 A Mère Agnès de Jésus.
28 mai 1897
J.M.J.T.
Petite Mère chérie, votre petite fille a encore versé de douces larmes tout à l'heure, des larmes de repentir mais encore plus de reconnaissance et d'amour... Ah ! ce soir, je vous ai montré ma vertu, mes trésors de patience !... Et moi qui prêche si bien les autres ! ! ! Je suis contente que vous ayez vu mon imperfection. Ah ! que cela me fait de bien d'avoir été méchante !... Vous n'avez pas grondé votre petite fille, cependant elle le méritait, mais à cela la petite fille est habituée, votre douceur lui en dit plus long que des paroles sévères, vous êtes pour elle l'image de la miséricorde du bon Dieu. Oui mais... Sr St J. Baptiste au contraire est ordinairement l'image de la sévérité du bon Dieu, eh bien ! je viens de la rencontrer, au lieu de passer froidement à côté de moi, elle m'a embrassée en me disant (absolument comme si j'avais été la plus mignonne petite fille du monde) : « Pauvre petite soeur, vous m'avez fait pitié, je ne veux pas vous fatiguer, j'ai eu tort, etc., etc. » Moi qui sentais en mon coeur la contrition parfaite, je n'en revenais pas qu'elle ne me fasse aucun reproche. Je sais bien que dans le fond elle doit me trouver imparfaite, c'est parce qu'elle croit que je vais mourir qu'elle m'a ainsi parlé, mais n'importe, je n'ai entendu que des paroles douces et tendres sortir de sa bouche, alors je l'ai trouvée bien bonne et moi bien méchante... En rentrant dans notre cellule, je me demandais ce que Jésus pensait de moi, aussitôt je me suis rappelé ces paroles qu'il adressa un jour à la femme adultère : « Quelqu'un t'a-t-il condamnée ?... » Et moi, les larmes aux yeux, je lui ai répondu : « Personne, Seigneur... Ni ma petite Mère, image de votre tendresse, ni ma Sr St Jean B., image de votre justice, et je sens bien que je puis aller en paix, car vous ne me condamnerez pas non plus !... »
Petite Mère, pourquoi donc le Bon Jésus est-Il si doux envers moi ? Pourquoi ne me gronde-t-il jamais ?... Ah ! vraiment il y a de quoi mourir de reconnaissance et d'amour !...
[v°] Je suis bien plus heureuse d'avoir été imparfaite que si, soutenue par la grâce, j'avais été un modèle de douceur... Cela me fait tant de bien de voir que Jésus est toujours aussi doux, aussi tendre envers moi !... Ah ! dès à présent je le reconnais ; oui toutes mes espérances seront comblées... oui le Seigneur fera pour nous des merveilles qui surpasseront infiniment nos immenses désirs !...
Petite Mère, Jésus fait bien de se cacher, de ne me parler que de temps en temps et encore « à travers les barreaux » (cant. des cant.) car je sens bien que je ne pourrais en supporter davantage, mon coeur se briserait étant impuissant à contenir tant de bonheur... Ah ! vous le doux Echo de mon âme, vous comprendrez que ce soir le vase de la miséricorde Divine a débordé pour moi !... vous comprendrez que vous avez été et que vous serez toujours l'Ange chargé de me conduire et de m'annoncer les miséricordes du Seigneur !...
Votre toute petite fille
Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
rel.carm.ind.
LT 231 A Mère Agnès de Jésus.
30 Mai 97
J.M.J.T.
N'ayez pas de peine, ma petite Mère chérie, que votre petite fille ait semblé vous cacher quelque chose, je dis semblé car vous le savez bien, si elle a caché un petit coin de l'enveloppe, elle ne vous a jamais caché une seule ligne de la lettre, et qui donc la connaît mieux que vous, cette petite lettre que vous aimez tant ? Aux autres on peut bien montrer l'enveloppe de tous les côtés puisqu'elles ne peuvent voir que cela mais à vous ! ! !... Oh ! petite Mère, vous savez maintenant que c'est le Vendredi Saint que Jésus a commencé à déchirer un peu l'enveloppe de votre petite lettre, n'êtes-vous pas contente qu'Il s'apprête à la lire, cette lettre que vous écrivez depuis 24 ans ! Ah ! si vous saviez comme elle saura bien lui dire votre amour pendant toute l'Eternité.
LT 232 A Mère Agnès de Jésus.
30 mai 1897
(2e petit mot) J.M.J.T.
J'ai mis mon 1er petit mot dans la main de Sr Geneviève comme elle me donnait le vôtre, gai raigrette maintenant d'avoir mis ma missive à la poste, mais je vais payer un double port pour vous dire que je comprends bien votre chagrin. Je désirais plus que vous peut-être ne rien vous cacher, mais il me semblait qu'il fallait attendre, si j'ai mal fait pardonnez-moi et croyez que jamais je n'ai manqué de confiance en vous !... Ah ! je vous aime trop pour cela !... Je suis bien contente que vous ayez deviné avec moi - Je ne me rappelle pas avoir caché autre chose de l'enveloppe à ma petite Mère et je la supplie après ma mort de ne point croire ce qu'on pourra lui dire. Oh ! ma petite Mère, la lettre est à vous, je vous en prie, continuez de l'écrire jusqu'au jour où Jésus déchirera complètement la petite enveloppe qui vous a fait tant de chagrin depuis qu'elle est faite !...
LT 233 A Mère Agnès de Jésus.
1er juin 1897
J. M.J.T.
C'est par trop touchant, par trop mélodieux !... J'aime mieux me taire que d'essayer en vain à chanter ce qui se passe dans ma petite âme !... Merci petite Mère !...
LT 234 A soeur Marie de l'Eucharistie.
J.M.J.T.
2 Juin 1897
A ma petite Soeur chérie, souvenir du beau jour où l'Epoux de son âme daigne poser son signe sur le front qu'Il s'apprête à couronner un jour devant tous les Elus...
Autrefois le Ciel entier se réunit le 2 Juin, afin de contempler ce mystère d'amour : Jésus, le doux Jésus de l'Eucharistie se donnant pour la première fois à Marie. Il est là encore aujourd'hui ce beau Ciel composé des Anges et des Saints, il est là, contemplant avec ravissement : Marie se donnant à Jésus devant le monde étonné d'un sacrifice qu'il ne comprend pas. Ah ! s'il avait compris le regard que Jésus abaissa sur Marie au jour de sa première visite, il comprendrait aussi le signe mystérieux qu'elle veut recevoir aujourd'hui de Celui qui l'a blessée d'amour... Ce n'est plus le gracieux voile aux longs plis neigeux qui doit envelopper Marie de l'Eucharistie, c'est un sombre voile qui rappelle à l'Epouse de Jésus qu'elle est exilée, que son Epoux n'est point un Epoux qui doit la conduire dans les fêtes, mais sur la montagne du Calvaire. Désormais, Marie ne doit plus rien regarder ici-bas, rien que le Dieu Miséricordieux, Le Jésus de l'Eucharistie !...
La petite Sr Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
rel.carm.ind.
LT 235 A soeur Marie de l'Eucharistie.
2 juin 1897
Souvenir du beau jour de la prise de voile de ma petite Soeur chérie. 2 Juin 1897.
Que le Petit Jésus de Thérèse caresse toujours Marie de l'Eucharistie.
LT 236 A soeur Marie de la Trinité.
2 juin 1897
Le bon Dieu veut que vous supportiez seule votre épreuve, Il le prouve de bien des manières... Mais ma chère petite p. je souffre avec vous ! ! !... et je vous aime beaucoup...
[v°] N'ayez pas de peine, j'irai vous trouver qq minutes demain matin, et le lendemain du lavage j'irai avec vous aux pains.
LT 237 A Mère Agnès de Jésus.
2 juin 1897
Non, la petite colombe ne veut pas quitter sa petite Mère, elle veut toujours voler et se reposer dans le ravissant petit monde [v] de son coeur - Demain je dirai merci à ma petite Mère, je ne dis rien ce soir pour ne pas lui crever le coeur et parce qu'il est trop tard. Bébé va faire dodo.
LT 238 A Léonie.
3 juin 1897
Chère petite Soeur, qu'il m'est doux de penser qu'un jour nous suivrons ensemble l'Agneau pendant toute l'éternité !...
Souvenir du 3 Juin 1897
Sr Thérèse de l'Enfant Jésus de la St Face
rel.carm.ind.
LT 239 A Mère Agnès de Jésus.
3 juin (?) 1897
Il faut que je marche jusqu'à mon dernier instant - C'est lui qui finira mon tourment - Comme le pauvre Juif errant -
LT 240 A soeur Marie de la Trinité.
3 (?) juin 1897
J.M. J.T.
Petite fleur chérie de Jésus, j'ai très bien compris tout, sachez qu'il n'est pas nécessaire que vous m'en disiez long, le petit oeil qui se trouve dans votre calice m'indique ce que je dois penser de toute la petite fleur... Je suis bien contente, bien consolée, mais il ne faut plus avoir envie de manger de la terre, il faut que le myosotis entrouvre ou plutôt élève sa corolle afin que le Pain des Anges vienne comme une Rosée Divine la fortifier et lui donner tout ce qui lui manque.
Bonsoir, pauvre fleurette, croyez que je vous aime plus que vous ne le supposez !...
LT 241 A soeur Marthe de Jésus.
Juin 1897 (?)
J.M.J.T.
Petite Soeur chérie, oui j'ai tout compris... Je prie Jésus de faire luire sur votre âme le soleil de sa grâce, ah ! ne craignez pas de lui dire que vous l'aimez, même sans le sentir, c'est le moyen de forcer Jésus à vous secourir, à vous porter comme un petit enfant trop faible pour marcher.
C'est une grande épreuve de voir tout en noir, mais cela ne dépend pas de vous complètement, faites ce que vous pourrez, détachez votre coeur des soucis de la terre et surtout des créatures, puis soyez sûre que Jésus fera le reste, il ne pourra permettre que vous tombiez dans le bourbier redouté... Consolez-vous, petite soeur chérie, au Ciel vous ne verrez plus tout en noir mais tout en blanc... Oui, tout sera revêtu de la blancheur Divine de notre Epoux, le Lys des vallées. Ensemble nous le suivrons partout où il ira... Ah ! profitons du court instant de la vie... ensemble faisons plaisir à Jésus, sauvons-lui des âmes, par nos sacrifices... Surtout, soyons petites, si petites que tout le monde puisse nous fouler aux pieds, sans même que nous ayons l'air de le sentir et d'en souffrir...
A bientôt, petite Soeur chérie, je me réjouis de vous voir...
LT 242 A soeur Marie de la Trinité.
J.M.J.T.
Jésus _ 6 Juin 1897
Ma chère petite Soeur, votre jolie petite lettre me réjouit l'âme, je vois bien que je ne me suis pas trompée en pensant que le Bon Dieu vous appelle à être une grande sainte tout en restant petite et le devenant chaque jour davantage. - Je comprends très bien votre peine de ne plus pouvoir me parler, mais soyez sûre que je souffre aussi de mon impuissance et que jamais je n'ai si bien senti que vous tenez une place immense dans mon coeur !...
Une chose qui me fait plaisir c'est de constater que la tristesse ne vous rend pas mélancolique, je n'ai pas pu [v°] m'empêcher de rire en lisant la fin de votre lettre, ah ! c'est comme cela que vous vous moquez de moi ? et qui donc vous a parlé de mes écritures, à quels in-folio faites-vous allusion ? Je vois bien que vous plaidez le faux pour savoir le vrai, eh bien ! vous le saurez un jour, si ce n'est pas sur la terre ce sera au Ciel, mais bien sûr que cela ne vous inquiétera guère, nous aurons autre chose à penser alors...
Vous voulez savoir si j'ai de la joie d'aller au Paradis ? J'en aurais beaucoup si j'y allais, mais... je ne compte pas sur la maladie, c'est une trop lente conductrice. Je ne compte plus que sur l'amour, demandez au Bon Jésus que toutes les prières qui sont faites pour moi servent à augmenter le Feu qui doit me consumer...
[v°tv] Je crois que vous n'allez pas pouvoir lire, gai raigrette, mais je n'avais que quelques minutes.
LT 243 A soeur Geneviève.
J.M.J.T.
7 Juin 1897
Petite Soeur bien-aimée, ne recherchons jamais ce qui parait grand aux yeux des créatures. Salomon, le roi le plus sage qui fut jamais sur la terre, ayant considéré les différents travaux qui occupent les hommes sous le soleil, la peinture, la sculpture, tous les arts, comprit que toutes ces choses étaient soumises à l'envie, il s'écria qu'elles ne sont que vanité et affliction d'esprit !...
La seule chose qui ne soit point enviée c'est la dernière place, il n'y a donc que cette dernière place qui ne soit point vanité et affliction d'esprit...
[v°] Cependant « la voie de l'homme n'est pas en son pouvoir » et parfois nous nous surprenons à désirer ce qui brille. Alors rangeons-nous humblement parmi les imparfaits, estimons-nous de petites âmes qu'il faut que le Bon Dieu soutienne à chaque instant ; dès qu'Il nous voit bien convaincues de notre néant il nous tend la main ; si nous voulons encore essayer de faire quelque chose de grand même sous prétexte de zèle, le Bon Jésus nous laisse seules. « Mais dès que j'ai dit : Mon pied a chancelé, votre miséricorde, Seigneur, m'a affermi !... Ps. xciii. » Oui, il suffit de s'humilier, de supporter avec douceur ses imperfections. Voilà la vraie sainteté ! Prenons-nous par la main, petite soeur chérie, et courons à la dernière place... personne ne viendra nous la disputer...
LT 244 A l'abbé Bellière.
J.M.J.T.
9 Juin 1897
Mon cher petit Frère, j'ai reçu votre lettre ce matin, et je profite d'un moment où l'infirmière est absente pour vous écrire un dernier petit mot d'adieu, quand vous le recevrez j'aurai quitté l'exil... Pour jamais votre petite soeur sera unie à son Jésus, c'est alors qu'elle pourra vous obtenir des grâces et voler avec vous dans les missions lointaines.
O mon cher petit frère, que je suis heureuse de mourir !... oui je suis heureuse, non pas parce que je serai délivrée des souffrances d'ici-bas (la souffrance, au contraire, est la seule chose qui me paraît désirable en la vallée des larmes), mais parce que je sens bien que telle est la volonté du Bon Dieu.
Notre bonne Mère voudrait me retenir sur la terre ; en ce moment on dit pour moi une neuvaine de messes à N.D. des Victoires, elle m'a déjà guérie dans mon enfance mais je crois que le miracle qu'elle fera ne sera autre que [v°] de consoler la Mère qui m'aime si tendrement.
Cher petit Frère, au moment de paraître devant le bon Dieu, je comprends plus que jamais qu'il n'y a qu'une chose nécessaire, c'est de travailler uniquement pour Lui et de ne rien faire pour soi ni pour les créatures.
Jésus veut posséder complètement votre coeur, il veut que vous soyez un grand saint. Pour cela il vous faudra beaucoup souffrir, mais aussi quelle joie inondera votre âme quand vous serez arrivé au moment heureux de votre entrée dans l'Eternelle Vie !... Mon frère, tous vos amis du Ciel, je vais aller bientôt leur offrir votre amour, les prier de vous protéger. - Je voudrais vous dire, mon cher petit Frère, mille choses que je comprends étant à la porte de l'éternité, mais je ne meurs pas, j'entre dans la vie et tout ce que je ne puis vous dire ici-bas, je vous le ferai comprendre du haut des Cieux...
A Dieu, petit Frère, priez pour votre petite soeur qui vous dit : A bientôt, au revoir au Ciel !...
Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face
rel.carm.ind.
LT 245 A Mère Agnès de Jésus, soeur Marie du Sacré-Coeur et soeur Geneviève.
Juin (?) 1897
Recto
en haut : Ne pleurez pas sur moi, car je suis au Ciel
avec l'Agneau et les Vierges Sacrées !...
bas : Je vois ce que j'ai cru
Je possède ce que j'ai espéré
Je suis unie à Celui que j'ai aimé
de toute ma puissance d'aimer.
de chaque côté : Le plus petit mouvement de pur Amour
est plus utile à l'Eglise que toutes les
autres oeuvres réunies ! Il est donc de la
plus haute importance que l'âme s'exerce
beaucoup à l'Amour afin que, se consom-
mant rapidement, elle ne s'arrête guère
ici-bas et arrive promptement à voir son
Dieu Face à Face.
(St Jean de la Croix)
Verso
Je ne trouve rien sur la terre qui me rende heureuse ; mon coeur est trop grand, rien de ce qu'on appelle bonheur en ce monde ne peut le satisfaire. Ma pensée s'envole vers l'Eternité, le temps va finir !... mon coeur est paisible comme un lac tranquille ou un ciel serein ; je ne regrette pas la vie de ce monde, mon coeur a soif des eaux de la vie éternelle !... Encore un peu et mon âme quittera la terre, finira son exil, terminera son combat... Je monte au Ciel... je touche la patrie, je remporte la victoire !... Je vais entrer dans ce séjour des élus, voir des beautés que l'oeil de l'homme n'a jamais vues, entendre des harmonies que l'oreille n'a jamais entendues, jouir de joies que le coeur n'a jamais goûtées... Me voici rendue à cette heure que chacune de nous a tant désirée !... Il est bien vrai que le Seigneur choisit les petits pour confondre les grands de ce monde... Je ne m'appuie pas sur mes propres forces mais sur la force de Celui qui sur la Croix a vaincu les puissances de l'enfer. Je suis une fleur printanière que le maître du jardin cueille pour son plaisir... Nous sommes toutes des fleurs plantées sur cette terre et que Dieu cueille en son temps, un peu plus tôt, un peu plus tard... Moi petite éphémère je m'en vais la première ! Un jour nous nous retrouverons dans le Paradis et nous jouirons du vrai bonheur !...
(Thérèse de l'Enfant Jésus empruntant les pensées de l'angélique Martyr Théophane Vénard.)
LT 246 A soeur Marie de la Trinité.
13 juin 1897
Que le divin petit Jésus trouve en votre âme une demeure toute parfumée des roses de l'Amour, qu'Il y trouve encore la lampe ardente de la charité fraternelle qui réchauffera ses petits membres glacés, qui réjouira son petit Coeur en Lui faisant oublier l'ingratitude des âmes qui ne l'aiment pas assez.
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Ste Face
(13 Juin 1897.) r.c.i.
LT 247 A l'abbé Bellière.
Carmel de Lisieux J.M.J.T. 21 Juin 1897
Jésus _
Mon cher petit Frère,
Avec vous j'ai remercié Notre Seigneur de la grande grâce qu'Il a daigné vous accorder le jour de la Pentecôte, c'est aussi le jour de cette belle fête (il y a 10 ans) que j'ai obtenu, non de mon directeur, mais de mon père la permission de me faire apôtre au carmel. C'est encore un rapprochement de plus entre nos âmes.
O mon cher petit frère, je vous en prie ne croyez jamais « m'ennuyer, ni me distraire » en me parlant beaucoup de vous. Serait-il possible qu'une soeur ne prît pas d'intérêt à tout ce qui touche son frère ? Pour ce qui est de me distraire, vous n'avez rien à craindre, vos lettres au contraire m'unissent davantage au bon Dieu, en me faisant [1v°] contempler de près les merveilles de sa miséricorde et de son amour.
Quelquefois Jésus se plaît « à révéler ses secrets aux plus petits », la preuve, c'est qu'après avoir lu votre première lettre du 15 oct. 95, j'ai pensé la même chose que votre Directeur : Vous ne pourrez être un saint à demi, il vous faudra l'être tout à fait ou pas du tout. - J'ai senti que vous deviez avoir une âme énergique et c'est pour cela que je fus heureuse de devenir votre soeur.
Ne croyez pas m'effrayer en me parlant « de vos belles années gaspillées ». Moi je remercie Jésus qui vous a regardé d'un regard d'amour comme autrefois le jeune homme de l'Evangile. Plus heureux que lui vous avez répondu fidèlement à l'appel du Maître, vous avez tout quitté pour Le suivre, et cela au plus bel âge de la vie, à 18 ans. Ah ! mon frère, comme moi vous pouvez chanter les miséricordes du Seigneur, elles brillent en vous dans toute leur Splendeur... Vous aimez St Augustin, Ste Madeleine, ces âmes auxquelles « Beaucoup de péchés ont été remis [2r°] parce qu'elles ont beaucoup aimé ». Moi aussi je les aime, j'aime leur repentir, et surtout... leur amoureuse audace ! Lorsque je vois Madeleine s'avancer devant les nombreux convives, arroser de ses larmes les pieds de son Maître adoré, qu'elle touche pour la première fois ; je sens que son coeur a compris les abîmes d'amour et de miséricorde du Coeur de Jésus, et que toute pécheresse qu'elle est ce Coeur d'amour est non seulement disposé à lui pardonner, mais encore à lui prodiguer les bienfaits de son intimité divine, à l'élever jusqu'aux plus hauts sommets de la contemplation.
Ah ! mon cher petit Frère, depuis qu'il m'a été donné de comprendre aussi l'amour du Coeur de Jésus, je vous avoue qu'il a chassé de mon coeur toute crainte. Le souvenir de mes fautes m'humilie, me porte à ne jamais m'appuyer sur ma force qui n'est que faiblesse, mais plus encore ce souvenir me parle de miséricorde et d'amour.
Comment lorsqu'on jette ses fautes avec une confiance toute filiale dans le brasier dévorant de l'Amour, [2v°] comment ne seraient-elles pas consumées sans retour ?
Je sais qu'il y a des saints qui passèrent leur vie à pratiquer d'étonnantes mortifications pour expier leurs péchés ; mais que voulez-vous, « Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père Céleste », Jésus l'a dit et c'est pour cela que je suis la voie qu'Il me trace. Je tâche de ne plus m'occuper de moi-même en rien, et ce que Jésus daigne opérer en mon âme je le lui abandonne, car je n'ai pas choisi une vie austère pour expier mes fautes, mais celles des autres.
Je viens de relire mon petit mot et je me demande si vous allez me comprendre, car je me suis très mal expliquée. Ne croyez pas que je blâme le repentir que vous avez de vos fautes et votre désir de les expier. Oh non ! j'en suis bien loin, mais vous savez : maintenant nous sommes deux, l'ouvrage se fera plus vite (et moi avec ma manière je ferai plus de besogne que vous), aussi j'espère qu'un jour Jésus vous fera marcher par la même voie que moi.
Pardon, cher petit frère, je ne sais pas ce que j'ai aujourd'hui, car je dis vraiment ce que je ne voudrais pas dire. Je n'ai plus de place pour répondre à votre [2v°tv] lettre, je le ferai une autre fois. Merci pour vos dates, j'ai déjà fêté vos 23 ans. Je prie pour vos chers parents que Dieu a retirés de ce monde et je n'oublie pas la mère que vous aimez.
Votre indigne petite Soeur
Th. de l'Enfant Jésus de la Ste Face
rel.carm.ind.
LT 248 A Léonie.
Fin juin (?) 1897
J.M.J.T.
Ma chère petite Léonie,
Je suis on ne peut plus touchée de ton empressement à me faire plaisir. Je te remercie de tout mon coeur et suis ravie de la petite couverture que tu m'as faite. Elle est telle que je la désirais...
Je ferai pour toi la communion demain...
Je t'aime et je t'embrasse
Ta petite Soeur
Thérèse de l'Enfant Jésus
rel. carm. ind.
LT 249 A soeur Marie de la Trinité. (Fragments.)
Mi-juillet (?) 1897
J.M.J.T.
Ma chère petite soeur,
Je ne veux pas que vous soyez triste. Vous savez quelle perfection je rêve pour votre âme,
(...)
j'ai pitié de votre faiblesse (...) avec vous c'est tout de suite qu'il faut dire ce qu'on pense -
(...)
infirmerie devrait vous faire comprendre qu'il vous serait plus difficile d'obtenir la permission de venir après matines
(...)
le démon s'éloigne
Maintenant il ne me
(...)
compris votre combat et vous aurais consolée doucement, si vous ne l'aviez pas dit haut mais que vous
(...)
Adieu, pauvre petite p. qu'il faudra que j'emmène bien vite au ciel ! je veux l'avoir tout entière
LT 250 A soeur Marie de Saint-Joseph.
Juillet (?) 1897
J.M.J.T.
J'espère que Sr Geneviève vous a consolée, c'est la pensée que vous n'avez plus de peine qui fait disparaître la mienne !... Ah ! que nous serons heureux au Ciel, alors nous participerons aux perfections divines et nous pourrons donner à tout le monde sans être obligés de priver nos plus chers amis !...
Le Bon Dieu a [v°] bien fait de ne pas nous donner cette puissance sur la terre, peut-être n'aurions-nous point voulu la quitter, et puis cela fait tant de bien de reconnaître que Lui seul est parfait, que Lui seul doit nous suffire lorsqu'Il Lui plaît d'ôter la branche qui soutenait le petit oiseau ! L'oiseau a des ailes, il est fait pour voler !-
LT 251 A soeur Marthe de Jésus.
Juin-juillet (?)
1897
J.M.J.T.
Il ne faut pas que la petite épouse de Jésus soit triste, car Jésus le serait aussi ; il faut toujours qu'elle chante en son coeur le cantique de l'amour. Il faut qu'elle oublie ses petites peines pour consoler les grandes peines de son Epoux.
Petite soeur chérie, ne soyez pas une petite fille triste en voyant qu'on ne vous comprend pas, qu'on vous juge mal, qu'on vous oublie, mais attrapez tout le monde en tâchant de faire comme les autres [v] ou plutôt en faisant pour vous-même ce que les autres font pour vous, c'est-à-dire oubliez tout ce qui n'est pas Jésus, oubliez-vous pour son amour !... Petite soeur chérie, ne dites pas que c'est difficile, si je parle ainsi c'est votre faute, vous m'avez dit que vous aimiez beaucoup Jésus, et rien ne semble impossible à l'âme qui aime...
Croyez bien que votre petit mot m'a fort agréé !...
LT 252 A Mère Agnès de Jésus.
13 juillet 1897
Je vous aime beaucoup, ma petite maman, vous le verrez bientôt !... oh oui !...
LT 253 A l'abbé Bellière.
J.M.J.T.
Jésus _ 13 Juillet 1897
Mon cher petit Frère,
Peut-être quand vous lirez ce petit mot ne serai-je plus sur la terre, mais au sein des délices éternelles ! Je ne connais pas l'avenir, cependant je puis vous dire avec assurance que l'Epoux est à la porte, il faudrait un miracle pour me retenir dans l'exil et je ne pense pas que Jésus fasse ce miracle inutile.
O mon cher petit frère, que je suis heureuse de mourir ! oui je suis heureuse, non d'être délivrée des souffrances d'ici-bas (la souffrance unie à l'amour est au contraire la seule chose qui me parait désirable en la vallée des larmes). [1v°] Je suis heureuse de mourir parce que je sens que telle est la volonté du bon Dieu et que bien plus qu'ici-bas. je serai utile aux âmes qui me sont chères, à la vôtre tout particulièrement. Vous demandiez dans votre dernière lettre à notre Mère que je vous écrive souvent pendant les vacances. Si le Seigneur veut encore prolonger quelques semaines mon pèlerinage et que notre bonne Mère le permette, je pourrai vous brouillonner encore des petits mots comme celui-ci, mais le plus probable c'est que je ferai plus qu'écrire à mon cher petit frère, plus même que lui parler le langage fatigant de la terre, je serai tout près de lui, je verrai tout ce qui lui [2r°] est nécessaire et je ne laisserai pas de repos au bon Dieu qu'Il ne m'ait donné tout ce que je voudrai !... Quand mon cher petit frère partira pour l'Afrique, je le suivrai non plus par la pensée, par la prière, mon âme sera toujours avec lui et sa foi saura bien découvrir la présence d'une petite soeur que Jésus lui donna non pour être son soutien pendant deux ans à peine mais jusqu'au dernier jour de sa vie.
Toutes ces promesses, mon frère, vous paraissent peut-être un peu chimériques, cependant vous devez commencer à savoir que le bon Dieu m'a toujours traitée en enfant gâtée, il est vrai que sa croix m'a suivie dès le berceau [2v°] mais cette croix, Jésus me l'a fait aimer avec passion. Il m'a toujours fait désirer ce qu'Il voulait me donner. Commencera-t-Il donc au Ciel à ne plus combler mes désirs ? Vraiment je ne puis le croire et je vous dis : « Bientôt, petit frère, je serai près de vous. »
Ah ! je vous en conjure, priez beaucoup pour moi, les prières me sont si nécessaires en ce moment, mais surtout priez pour notre Mère, elle aurait voulu me retenir ici-bas longtemps encore ; pour l'obtenir, cette Mère vénérée a fait dire une 9ne de messes à N.D. des Victoires qui m'avait déjà guérie dans mon enfance, mais moi, sentant que le miracle n'aurait pas lieu, j'ai demandé et obtenu de la Ste Vierge qu'elle console un peu le coeur de ma Mère ou plutôt qu'elle lui fasse consentir à ce que Jésus m'emporte au Ciel.
[2r°tv] A Dieu petit frère, à bientôt au revoir dans le beau Ciel.
Th. de l'Enfant Jésus de la Ste Face
rel.carm.
LT 254 Au P. Roulland.
J.M.J.T.
Carmel de Lisieux 14 Juillet 1897.
Jésus _
Mon Frère,
Vous me dites dans votre dernière lettre (qui m'a fait grand plaisir) : « Je suis un bébé qui apprend à parler. » Eh bien ! moi, depuis cinq ou six semaines, je suis aussi un bébé, car je ne vis que de lolo, mais bientôt je vais m'asseoir au banquet céleste, je vais me désaltérer des eaux de la vie éternelle ! Quand vous recevrez cette lettre, sans doute j'aurai quitté la terre. Le Seigneur, dans son infinie miséricorde, m'aura ouvert son royaume et je pourrai puiser dans ses trésors pour les prodiguer aux âmes qui me sont chères. Croyez, mon Frère, que votre petite soeur tiendra ses promesses, et qu'avec bonheur son âme, délivrée du poids de l'enveloppe mortelle, volera vers les lointaines régions que vous évangélisez. Ah ! mon frère, je le sens, je vous serai bien plus utile au Ciel que sur la terre et c'est avec bonheur que je viens vous annoncer ma prochaine entrée dans cette bienheureuse cité, sûre que vous partagerez ma joie et remercierez le Seigneur de me donner le moyen de vous aider plus efficacement dans vos oeuvres apostoliques.
Je compte bien ne pas rester inactive au Ciel, mon désir est de travailler encore pour l'Eglise et les âmes, je le demande au bon Dieu et je suis certaine qu'il m'exaucera. Les Anges ne sont-ils pas continuellement occupés de nous sans jamais cesser de voir la Face divine, de se perdre dans l'Océan sans rivages de l'Amour ? Pourquoi Jésus ne me permettrait-Il pas de les imiter ?
Mon Frère, vous voyez que si je quitte déjà le champ de bataille, ce n'est pas avec le désir égoïste de me reposer, la pensée de la béatitude éternelle fait à peine tressaillir mon coeur, depuis longtemps la souffrance est devenue mon Ciel ici-bas et j'ai vraiment du mal à concevoir comment je pourrai m'acclimater dans un Pays où la joie règne sans aucun mélange de tristesse. Il faudra que Jésus transforme mon âme et lui donne la capacité de jouir, autrement je ne pourrai supporter les délices éternelles.
Ce qui m'attire vers la Patrie des Cieux, c'est l'appel du Seigneur, c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré et la pensée que je pourrai le faire aimer d'une multitude d'âmes qui le béniront éternellement.
Mon Frère, vous n'aurez pas le temps de m'envoyer vos commissions pour le Ciel, mais je les devine et puis vous n'aurez qu'à me les dire tout bas, je vous entendrai et porterai fidèlement vos messages au Seigneur, à Notre Mère Immaculée, aux Anges, aux Saints que vous aimez. Je demanderai pour vous la palme du martyre et je serai près de vous, soutenant votre main afin qu'elle cueille sans effort cette palme glorieuse, et puis, avec allégresse, nous volerons ensemble dans la Patrie céleste, environnés de toutes les âmes qui seront votre conquête !
Au revoir, mon Frère, priez beaucoup pour votre soeur, priez pour Notre Mère, dont le coeur sensible et maternel a bien du mal à consentir à mon départ. Je compte sur vous pour la consoler.
Je suis pour l'éternité votre petite soeur
Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Ste Face
rel. carm. ind.
LT 255 A M. et Mme Guérin.
J.M.J.T.
16 Juillet 1897
Jésus
Mon cher Oncle et ma chère Tante,
Je suis tout heureuse de vous prouver que votre petite Thérèse n'a pas encore quitté l'exil, car je sais que cela vous fera plaisir. Cependant il me semble, mes Parents chéris, que votre joie sera plus grande encore lorsqu'au lieu de lire quelques lignes que je trace d'une main tremblante, vous sentirez mon âme auprès de la vôtre. Ah ! j'en suis certaine, le bon Dieu me permettra de répandre à pleines mains ses grâces, sur vous, sur ma petite soeur Jeanne et son cher Francis, je choisirai pour eux le plus beau chérubin du Ciel [1v°] et je demanderai au bon Jésus de le donner à Jeanne afin qu'il devienne « un grand pontife et un grand saint ». Si je ne suis pas exaucée, il faudra vraiment que ma chère petite soeur n'ait plus le désir d'être mère ici-bas, mais elle pourra se réjouir en pensant qu'au Ciel « le Seigneur lui donnera la joie de se voir Mère de nombreux enfants », comme le St Esprit l'a promis en chantant par la bouche du Roi Prophète les paroles que je viens d'écrire. - Ces enfants seraient les âmes que son sacrifice bien accepté ferait naître à la vie de la grâce, mais j'espère bien obtenir mon Chérubin c'est-à-dire une petite âme qui soit sa copie, car hélas ! pas un chérubin ne voudrait s'exiler même pour recevoir les douces caresses d'une mère !...
Je m'aperçois que dans ma lettre, jamais je ne vais avoir la place de dire tout ce que je voudrais. [2r°] Je voulais, mes chers parents, vous parler en détail de ma communion de ce matin que vous avez rendue si touchante ou plutôt si triomphante par vos gerbes fleuries. Je laisse ma chère petite soeur M. de l'Eucharistie vous raconter les détails et veux seulement vous dire qu'elle a chanté avant la communion un petit couplet que j'avais composé pour ce matin. Quand Jésus a été dans mon coeur elle a chanté encore ce couplet de « Vivre d'Amour » : Mourir d'Amour c'est un bien doux martyre. Je ne puis vous dire comme sa voix était haute et belle, elle m'avait promis de ne pas pleurer pour me faire plaisir ; mes espérances ont été bien dépassées. Le bon Jésus a dû parfaitement entendre et comprendre ce que j'attends de Lui et c'était justement ce que je voulais !...
[2v°] Mes soeurs, je le sais, vous ont parlé de ma gaîté ; c'est vrai que je suis comme un pinson excepté quand j'ai la fièvre ; heureusement elle ne vient ordinairement me visiter que le soir, à l'heure où les pinsons sommeillent, la tête cachée sous l'aile. Je ne serais pas si gaie que je le suis si le Bon Dieu ne me montrait que la seule joie sur la terre, c'est d'accomplir sa volonté. Un jour, je me crois à la porte du Ciel à cause de l'air consterné de Mr de C., et le lendemain il s'en va tout joyeux, disant : Vous voilà en voie de guérison... Ce que je juge, moi (petit bébé au lolo), c'est que je ne guérirai pas mais que je pourrais traîner longtemps encore - A Dieu, mes chers Parents, je ne vous dirai qu'au ciel mon affection, tant que je traînerai, mon crayon ne pourra vous la traduire.
Votre petite fille
Th. de l'Enfant Jésus
r.c.i.
LT 256 A soeur Marthe de Jésus.
16 (?) juillet
1897
J.M.J.T.
Ma chère petite soeur, je me rappelle à l'instant que je ne vous ai pas fêté votre anniversaire. Ah ! croyez que c'est un oubli qui me crève le coeur, je m'en faisais une si grande joie. Je voulais vous offrir la prière sur l'humilité, elle n'est pas tout à fait finie de recopier mais bientôt vous l'aurez. Votre petite jumelle qui ne pourrait dormir si elle ne [v°] vous envoyait ce petit mot.
Thérèse de l'Enfant Jésus
rel. carm. ind.
LT 257 A Léonie.
J.M.J.T.
17 Juillet 1897
Jésus _
Ma chère Léonie
Je suis bien heureuse de pouvoir encore m'entretenir avec toi, il y a quelques jours je ne pensais plus avoir cette consolation sur la terre mais le bon Dieu paraît vouloir prolonger un peu mon exil, je ne m'en afflige pas car je ne voudrais point entrer au Ciel une minute plus tôt par ma propre volonté. L'unique bonheur sur la terre c'est de s'appliquer à toujours trouver délicieuse la part que Jésus nous donne, la tienne est bien belle, ma chère [v°] petite soeur, si tu veux être une sainte cela te sera facile, puisqu'au fond de ton coeur le monde n'est rien pour toi. Tu peux donc comme nous t'occuper de « l'unique chose nécessaire », c'est-à-dire que tout en te livrant avec dévouement aux oeuvres extérieures ton but soit unique : Faire plaisir à Jésus, t'unir plus intimement à Lui.
Tu veux qu'au Ciel je prie pour toi le Sacré Coeur, sois sûre que je n'oublierai pas de Lui faire tes commissions et de réclamer tout ce qui te sera nécessaire pour devenir une grande Sainte.
A Dieu, ma Soeur chérie, je voudrais que la pensée de mon entrée au Ciel te remplisse d'allégresse, puisque je pourrai t'aimer encore davantage.
Ta petite soeur Th. de l'Enfant Jésus
[v°tv] je t'écrirai plus longuement une autre fois, je ne le puis maintenant, bébé ayant besoin de faire dodo.
LT 258 A l'abbé Bellière.
J.M.J.T.
18 Juillet 1897
Jésus _
Mon pauvre et cher petit Frère,
Votre douleur me touche profondément, mais voyez comme Jésus est bon, Il permet que je puisse encore vous écrire pour essayer de vous consoler et sans doute ce n'est pas la dernière fois. Ce doux Sauveur entend vos plaintes et vos prières, c'est pour cela qu'Il me laisse encore sur la terre. Ne croyez pas que je m'en afflige, oh ! non, mon cher petit frère, au contraire, car je vois dans cette conduite de Jésus combien Il vous aime !...
Je me suis sans doute bien mal expliquée dans mon dernier petit mot puisque vous me dites, mon très cher petit frère, « de ne pas vous demander cette joie que je ressens à l'approche du bonheur ». Ah ! si pour quelques instants vous pouviez lire dans mon âme, que vous seriez surpris ! La pensée du bonheur céleste, non seulement ne me cause aucune joie, mais encore je me demande parfois comment il me sera possible d'être heureuse sans souffrir. Jésus, sans doute, changera ma nature, autrement je regretterais la souffrance et la vallée des larmes. Jamais je n'ai demandé au bon Dieu de mourir jeune, [1v°] cela m'aurait paru de la lâcheté, mais Lui dès mon enfance a daigné me donner la persuasion intime que ma course ici-bas serait courte. C'est donc la seule pensée d'accomplir la volonté du Seigneur qui fait toute ma joie.
O mon petit frère, que je voudrais pouvoir verser en votre coeur le baume de la consolation ! Je ne puis qu'emprunter les paroles de Jésus à la dernière cène, Il ne pourra s'en offenser puisque je suis sa petite épouse et que par conséquent ses biens sont à moi. Je vous dis donc comme Lui à ses intimes : « Je m'en vais à mon Père, mais parce que je vous ai parlé de la sorte, vous avez le coeur rempli de tristesse, je vous dis pourtant la vérité : il est de votre intérêt que je m'en aille. Vous êtes maintenant dans la tristesse, mais je vous reverrai, et votre coeur sera dans la joie et personne ne vous ôtera votre joie. »
Oui j'en suis certaine, après mon entrée dans la vie la tristesse de mon cher petit frère se changera en une joie paisible qu'aucune créature ne pourra lui ravir. Je le sens, nous devons aller au Ciel par la même voie, celle de la souffrance unie à l'amour. Quand je serai au port je vous enseignerai, cher petit frère de mon âme, comment vous devrez naviguer sur la mer orageuse du monde avec l'abandon et l'amour d'un enfant qui sait que son Père le chérit [2r°] et ne saurait le laisser seul à l'heure du danger. Ah ! que je voudrais vous faire comprendre la tendresse du Coeur de Jésus, ce qu'Il attend de vous. Dans votre lettre du 14 vous avez fait tressaillir doucement mon coeur, j'ai compris plus que jamais à quel point votre âme est soeur de la mienne puisqu'elle est appelée à s'élever vers Dieu par l'ascenseur de l'amour et non pas à gravir le rude escalier de la crainte... Je ne m'étonne en aucune façon que la pratique de la familiarité avec Jésus vous semble un peu difficile à réaliser ; on ne peut y arriver en un jour, mais j'en suis sûre, je vous aiderai beaucoup plus à marcher par cette voie délicieuse quand je serai délivrée de mon enveloppe mortelle, et bientôt comme St Augustin vous direz : « L'amour est le poids qui m'entraîne. »
Je voudrais essayer de vous faire comprendre par une comparaison bien simple combien Jésus aime les âmes même imparfaites qui se confient en Lui : Je suppose qu'un père ait deux enfants espiègles et désobéissants, et que venant pour les punir il en voie un qui tremble et s'éloigne de lui avec terreur, ayant pourtant au fond du coeur le sentiment qu'il mérite d'être puni ; et que son frère, au contraire, se jette dans les bras du père en disant qu'il regrette de lui avoir fait de la peine, qu'il l'aime et que, pour le prouver, il sera sage désormais, puis si cet enfant demande à son père [2v°] de le punir par un baiser, je ne crois pas que le coeur de l'heureux père puisse résister à la confiance filiale de son enfant dont il connaît la sincérité et l'amour. Il n'ignore pas cependant que plus d'une fois son fils retombera dans les mêmes fautes mais il est disposé à lui pardonner toujours, si toujours son fils le prend par le coeur... Je ne vous dis rien du premier enfant, mon cher petit frère, vous devez comprendre si son père peut l'aimer autant et le traiter avec la même indulgence que l'autre...
Mais pourquoi vous parler de la vie de confiance et d'amour ? je m'explique si mal qu'il me faut attendre le ciel pour vous entretenir de cette heureuse vie. Ce que je voulais faire aujourd'hui, c'était vous consoler. Ah ! que je serais heureuse si vous accueilliez ma mort comme l'accueille mère Agnès de Jésus. Vous ignorez sans doute qu'elle est deux fois ma soeur et que c'est elle qui m'a servi de mère en mon enfance, notre bonne Mère craignait beaucoup que sa nature sensible et sa grande affection pour moi lui rendent bien amer mon départ ; le contraire est arrivé ; elle parle de ma mort comme d'une fête et c'est une grande consolation pour moi ; je vous en prie, mon cher petit frère, essayez comme elle de vous persuader qu'au lieu de me perdre vous me trouverez, et que je ne vous quitterai plus. Demandez la même grâce pour la Mère que vous aimez et que j'aime encore plus que vous ne l'aimez puisqu'elle est mon Jésus visible. - Je vous donnerais avec joie ce que vous demandez si je n'avais pas fait le voeu de pauvreté mais, à cause de lui, je ne puis même disposer d'une image, c'est notre Mère seule qui peut vous satisfaire et je sais qu'elle [2v°tv] comblera vos désirs. Justement, en vue de ma mort prochaine, une soeur m'a photographiée pour la fête de [1v°tv] notre Mère. Les novices se sont écriées en me voyant que j'avais pris mon grand air, il parait que je suis ordinairement plus souriante, mais croyez, mon petit frère, que si ma photographie ne vous sourit pas, mon [2r°tv] âme ne cessera de vous sourire quand elle sera près de vous. A Dieu mon cher et très aimé frère, croyez que je serai toute l'éternité votre vraie petite soeur.
Th. de l'Enfant Jésus r.c.i.
LT 259 A soeur Geneviève.
J.M.J.T.
Jésus _ 22 Juillet 1897 - Fête de St Madeleine
« Que le juste me brise par compassion pour les pécheurs, que l'huile dont on parfume la tête n'amollisse point la mienne. »
Je ne puis être brisée, éprouvée que par des justes, puisque toutes mes soeurs sont agréables à Dieu. C'est moins amer d'être brisé par un pécheur que par un juste, mais par compassion pour les pécheurs, pour obtenir leur conversion, [v°] je vous demande, ô mon Dieu ! d'être brisée pour eux par les âmes justes qui m'entourent. Je vous demande encore que l'huile des louanges si douce à la nature n'amollisse pas ma tête, c'est-à-dire mon esprit, en me faisant croire que je possède des vertus qu'à peine j'ai pratiquées plusieurs fois. O Jésus, votre nom est comme une huile répandue, c'est dans ce parfum divin que je veux me baigner tout entière, loin du regard des créatures...
LT 260 A M. et Mme Guérin.
24-25 (?) juillet
1897
J.M.J.T.
La petite Thérèse remercie beaucoup sa chère Tante de la jolie lettre qu'elle lui a envoyée, elle remercie aussi son Oncle chéri du désir qu'il avait de lui écrire et sa petite soeur Léonie qui la ravit par son abandon et sa vraie affection.
La petite Thérèse envoie des cadeaux à tous les siens (hélas ! ce sont des fleurs aussi éphémères qu'elle-même...)
(Très graves Explications pour la distribution des Fleurs)
Il y a une Pensée pour mon Oncle, une Pensée pour ma Tante (sans compter toutes celles qui éclosent pour eux dans le petit jardin de mon coeur).
Les deux Boutons de Roses sont pour Jeanne et Francis, celui qui est seul est pour Léonie.
Avec ses Fleurs la petite Thérèse voudrait envoyer tous les Fruits du St Esprit à ses chers Parents, particulièrement celui de Joie !
LT 261 A l'abbé Bellière.
J.M.J.T.
26 Juillet 1897
Jésus _
Mon cher petit Frère,
Que votre lettre m'a fait de plaisir ! Si Jésus a écouté vos prières et prolongé mon exil à cause d'elles, Il a aussi dans son amour exaucé les miennes, puisque vous êtes résigné à perdre « ma présence, mon action sensible » comme vous le dites. Ah ! mon frère, laissez-moi vous le dire : Le bon Dieu réserve à votre âme de bien douces surprises, elle est, vous me l'avez écrit, « peu habituée aux choses surnaturelles » et moi qui ne suis pas pour rien votre petite soeur, je vous promets de vous faire goûter après mon départ pour l'éternelle vie ce qu'on peut trouver de bonheur à sentir près de soi une âme amie. Ce ne sera pas cette correspondance plus ou moins éloignée, toujours bien incomplète, que vous paraissez regretter, mais un entretien fraternel qui charmera les anges, un entretien que les créatures ne pourront blâmer puisqu'il leur sera caché. Ah ! qu'il me semblera bon d'être affranchie de cette dépouille mortelle qui m'obligerait si par impossible je me trouvais avec plusieurs personnes en présence de mon cher petit frère, à le regarder comme un étranger, un indifférent !... Je vous en prie, mon frère, n'imitez pas les hébreux qui regrettaient « les oignons d'Egypte », je ne [1v°] vous ai que trop servi depuis quelque temps ces légumes qui font pleurer lorsqu'on les approche de ses yeux sans être cuits.
Maintenant je rêve de partager avec vous « la manne cachée » (Apocalypse) que le Tout-Puissant a promis de donner « au vainqueur ». C'est uniquement parce qu'elle est cachée que cette manne céleste vous attire moins que « les oignons d'Egypte », mais j'en suis sûre, aussitôt qu'il me sera permis de vous présenter une nourriture toute spirituelle, vous ne regretterez plus celle que je vous aurais donnée si j'étais encore restée longtemps sur la terre. - Ah ! votre âme est trop grande pour s'attacher à aucune consolation d'ici-bas. C'est dans les cieux que vous devez vivre par avance, car il est dit : « Là où est votre trésor, là est aussi votre coeur. » Votre unique Trésor n'est-ce pas Jésus ? Puisqu'Il est au Ciel, c'est là que doit habiter votre coeur, et je vous le dis tout simplement, mon cher petit frère, il me semble qu'il vous sera plus facile de vivre avec Jésus quand je serai près de Lui pour jamais.
Il faut que vous ne me connaissiez qu'imparfaitement pour craindre qu'un récit détaillé de vos fautes puisse diminuer la tendresse que j'ai pour votre âme ! O mon frère, croyez-le, je n'aurai pas besoin de « mettre la main sur la bouche de Jésus » ! Il a depuis longtemps oublié vos infidélités, seuls vos désirs de perfection sont présents pour réjouir son coeur. Je vous en supplie, ne vous traînez plus a ses pieds, suivez ce « premier élan qui vous entraîne dans ses bras », [2r°] c'est là votre place, et j'ai constaté plus encore que dans vos autres lettres qu'il vous est interdit d'aller au Ciel par une autre voie que celle de votre pauvre petite soeur.
Je suis tout à fait de votre avis, « Le Coeur divin est plus attristé des mille petites indélicatesses de ses amis que des fautes même graves que commettent les personnes du monde » mais, mon cher petit frère, il me semble que c'est seulement quand les siens, ne s'apercevant pas de leurs continuelles indélicatesses s'en font une habitude et ne Lui demandent pas pardon, que Jésus peut dire ces paroles touchantes qui nous sont mises dans la bouche par l'Eglise pendant la semaine sainte : « Ces plaies que vous voyez au milieu de mes mains, ce sont celles que j'ai reçues dans la maison de ceux qui m'aimaient ! » Pour ceux qui l'aiment et qui viennent après chaque indélicatesse Lui demander pardon en se jetant dans ses bras, Jésus tressaille de joie, Il dit à ses anges ce que le père de l'enfant prodigue disait à ses serviteurs : « Revêtez-le de sa première robe, mettez-lui un anneau au doigt, réjouissons-nous. » Ah ! mon frère, que la bonté, l'amour miséricordieux de Jésus sont peu connus !... Il est vrai que pour jouir de ces trésors, il faut s'humilier, reconnaître son néant, et voilà ce que beaucoup d'âmes ne veulent pas faire, mais, mon petit frère, ce n'est pas ainsi que vous agissez, aussi la voie de la confiance simple et amoureuse est bien faite pour vous.
Je voudrais que vous soyez simple avec le bon Dieu, mais aussi... avec moi, vous êtes étonné de ma phrase ? C'est que, [2v°] mon cher petit frère, vous me demandez pardon « de votre indiscrétion » qui consiste à désirer savoir si dans le monde votre soeur s'appelait Geneviève ; moi je trouve la demande toute naturelle ; pour vous le prouver je vais vous donner des détails sur ma famille car vous n'avez pas été très bien renseigné.
Le bon Dieu m'a donné un père et une mère plus dignes du Ciel que [de] la terre, ils demandèrent au Seigneur de leur donner beaucoup d'enfants et de les prendre pour Lui. Ce désir fut exaucé, quatre petits anges s'envolèrent aux Cieux, et les 5 enfants restées dans l'arène prirent Jésus pour Epoux. Ce fut avec un courage héroïque que mon père, comme un nouvel Abraham, gravit trois fois la montagne du Carmel pour immoler à Dieu ce qu'il avait de plus cher. D'abord ce furent ses deux aînées, puis la troisième de ses filles 2 sur l'avis de son directeur et conduite par notre incomparable père fit un essai dans un couvent de la Visitation (le bon Dieu se contenta de l'acceptation, plus tard elle revint dans le monde où elle vit comme étant dans le cloître). Il ne restait plus à l'Elu de Dieu que deux enfants, l'une âgée de 18 ans, l'autre de 14, celle-ci, « la petite Thérèse », lui demanda de voler au Carmel, ce qu'elle obtint sans difficulté de son bon Père qui poussa la condescendance jusqu'à la conduire d'abord à Bayeux, ensuite à Rome afin de lever les obstacles qui retardaient l'immolation de celle qu'il appelait sa reine. Lorsqu'il l'eut conduite au port, il dit à l'unique enfant qui lui restait : « Si tu veux suivre l'exemple de tes soeurs, j'y consens, ne t'inquiète pas de moi. » L'ange qui devait soutenir la vieillesse d'un tel saint lui répondit qu'après son départ pour le Ciel, il volerait aussi vers le cloître, ce qui remplit de joie celui qui ne vivait que pour Dieu seul. Mais une si belle vie devait être couronnée par une épreuve digne d'elle. Peu de temps après mon départ, le père que nous chérissions à si juste titre fut pris d'une attaque de paralysie dans les jambes qui se renouvela plusieurs fois, mais elle ne pouvait se fixer là, l'épreuve aurait été trop douce, car l'héroïque patriarche s'était offert à Dieu en victime, aussi la paralysie changeant son cours se fixa dans la tête vénérable de la victime que le Seigneur avait acceptée... La place me manque pour vous donner des détails touchants, je veux seulement vous dire qu'il nous fallut boire le calice jusqu'à la lie et nous séparer pendant trois ans de notre vénéré père en le confiant à des mains religieuses mais étrangères. [2v°tv°] Il accepta cette épreuve dont il comprenait toute l'humiliation et poussa l'héroïsme jusqu'à ne pas vouloir qu'on demandât sa guérison.
[2r°tv] A Dieu, mon cher petit frère, j'espère vous écrire encore si le tremblement de ma main n'augmente pas, car j'ai été obligée d'écrire ma lettre en plusieurs fois. - Votre petite Soeur, non pas « Geneviève », mais « Thérèse » de l'Enfant Jésus de la Face.
LT 262 A soeur Geneviève.
3 août 1897
O mon Dieu que vous êtes doux pour la petite victime de votre Amour Miséricordieux ! Maintenant même que Vous joignez la souffrance extérieure aux épreuves de mon âme, je ne puis dire : « Les angoisses de la mort m'ont environnée mais je m'écrie dans ma reconnaissance ». Je suis descendue dans la vallée de l'ombre [v°] de la mort, cependant je ne crains aucun mal parce que vous êtes avec moi, Seigneur ! »
(A ma bien-aimée petite Soeur Geneviève de Ste Thérèse)
- 3 Août 1897 - Ps XXII. 4.
LT 263 A l'abbé Bellière.
J.M.J.T.
Carmel de Lisieux 10 Août 1897
Jésus _
Mon cher petit Frète,
Je suis maintenant toute prête à partir, j'ai reçu mon passeport pour le Ciel et c'est mon père chéri qui m'a obtenu cette grâce, le 29 il m'a donné la garantie que j'irais bientôt le rejoindre ; le lendemain, le médecin étonné des progrès que la maladie avait faits en deux jours, dit à notre bonne Mère qu'il était temps de combler mes désirs en me faisant recevoir l'Extrême-Onction. J'ai donc eu ce bonheur le 30, et aussi celui de voir quitter pour moi le tabernacle, Jésus-Hostie que j'ai reçu comme Viatique de mon long voyage !... Ce Pain du Ciel m'a fortifiée, voyez, mon pèlerinage semble ne pouvoir s'achever. Bien loin de m'en plaindre je me réjouis que le bon Dieu me permette de souffrir encore pour son amour, ah ! qu'il est doux de s'abandonner entre ses bras, sans craintes ni désirs.
Je vous avoue, mon petit frère, que nous ne comprenons pas le Ciel de la même manière. Il vous semble que participant à la justice, à la sainteté de Dieu, je ne pourrai comme sur la terre excuser vos fautes. Oubliez-vous donc que je participerai aussi à la miséricorde infinie du Seigneur ? Je crois que les Bienheureux ont une grande compassion de nos misères, ils se souviennent qu'étant comme nous fragiles et mortels, ils ont commis les mêmes fautes, soutenu les mêmes combats et leur tendresse fraternelle devient plus [v°] grande encore qu'elle ne l'était sur la terre, c'est pour cela qu'ils ne cessent de nous protéger et de prier pour ns.
Maintenant, mon cher petit frère, il faut que je vous parle de l'héritage que vous recueillerez après ma mort. Voici la part que notre Mère vous donnera - 1° Le reliquaire que j'ai reçu le jour de ma prise d'habit et qui depuis ne m'a jamais quittée - 2° Un petit Crucifix qui m'est incomparablement plus cher que le grand car ce n'est plus le premier qui m'avait été donné que j'ai maintenant. Au Carmel, on change quelquefois les objets de piété, c'est un bon moyen pour empêcher que l'on s'y attache. Je reviens au petit Crucifix. Il n'est pas beau, la figure du Christ a presque disparu, vous n'en serez pas surpris quand vous saurez que depuis l'âge de 13 ans ce souvenir d'une de mes soeurs m'a suivie partout. C'est surtout pendant mon voyage en Italie que ce Crucifix m'est devenu précieux, je l'ai fait toucher à toutes les reliques insignes que j'avais le bonheur de vénérer, dire le nombre me serait impossible ; de plus il a été béni par le St Père. Depuis que je suis malade je tiens presque toujours dans mes mains notre cher petit Crucifix ; en le regardant je pense avec joie qu'après avoir reçu mes baisers, il ira réclamer ceux de mon petit frère. - Voici donc en quoi consiste votre héritage ; de plus, notre Mère vous donnera la dernière image que j'ai peinte. - Je vais finir, mon cher petit frère, par où j'aurais dû commencer en, vous remerciant du grand plaisir que vous m'avez fait en m'envoyant votre photographie.
[v°tv] A Dieu, cher petit frère, qu'Il nous fasse la grâce de l'aimer et de lui sauver des âmes. C'est le voeu que forme
Votre indigne petite soeur
Thérèse de l'Enfant Jésus de la St Face.
r.c.i.
(C'est par choix que je suis devenue votre soeur.)
[r°tv] Je vous félicite de votre nouvelle dignité ; le 25, jour où je fête mon cher petit père, j'aurai le bonheur de fêter aussi mon frère Louis de France.
LT 264 A soeur Marie de la Trinité.
A ma chère petite Soeur, souvenir
de ses 23 ans. - 12 Août 1897.
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Que votre vie soit toute d'humilité et d'amour
afin que bientôt vous veniez où je vais
dans les bras de Jésus !...
Votre petite soeur, Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face.
LT 265 A soeur Marie de l'Eucharistie.
22 août 1897
A ma chère petite Sr Marie de l'Eucharistie souvenir de ses 27 ans - Th. de l'Enfant Jésus.
LT 266 A l'abbé Bellière.
25 août 1897
Recto :
Je ne puis craindre un Dieu qui s'est fait pour moi si petit... je l'aime !... car Il n'est qu'amour et miséricorde !
Verso :
Dernier souvenir d'une âme soeur de la vôtre
Th. de E. J.